Paracétamol, grossesse, autisme: la controverse relancée
Paracétamol et grossesse, geste banal ou vraie question? ©Shutterstock

Présent dans tous les foyers, le paracétamol est l’un des médicaments les plus utilisés au monde. Mais quels sont ses effets lorsqu’il est pris pendant la grossesse? Retour sur les études récentes, y compris celles qui interrogent un éventuel lien avec l’autisme.

Qui n’a jamais glissé une plaquette de paracétamol dans son sac ou son armoire à pharmacie? Analgésique et antipyrétique de référence, il s’invite au quotidien et plus encore chez les femmes enceintes, souvent privées d’autres traitements. Mais cette banalisation masque une question de fond. La prise de paracétamol durant la grossesse est-elle réellement sans danger pour l’enfant à naître?

Depuis une dizaine d’années, des chercheurs tentent de lever le voile sur les risques liés à une exposition in utero. Ils s’intéressent notamment à d’éventuels troubles du développement neuronal, au point de se demander si le paracétamol ne devrait pas être rangé parmi les perturbateurs endocriniens. Plusieurs grandes études de population ont ainsi été menées, analysant les liens entre la prise de paracétamol par des femmes enceintes et la santé future de leurs enfants.

Leur démarche repose sur l’observation de larges cohortes, recueillant d’un côté des données sur l’exposition au médicament (questionnaires, bases de prescriptions) et, de l’autre, sur l’état de santé de l’enfant (examens, registres de malformations). Les chercheurs se sont concentrés sur trois volets. Le système nerveux avec les troubles du comportement, le déficit de l’attention et les troubles du spectre de l’autisme. Le système respiratoire avec l’asthme et les sifflements. Le système reproducteur avec les malformations. Pourtant, malgré la multiplication de ces études, aucun consensus n’a émergé. D’un travail à l’autre, les résultats diffèrent, parfois se contredisent. Cette divergence tient en grande partie aux limites des études dites de population. La plupart ne précisent ni la durée ni la dose des prises, ni le trimestre de consommation. Impossible de savoir si une exposition unique diffère vraiment d’une prise prolongée. Les méthodes de collecte varient en outre, ce qui complique toute comparaison ou synthèse.

Associations et causalités: où en est la science?

Une méta-analyse récente menée à Harvard, fondée sur 46 études, a mis en évidence des preuves d’association modestes et hétérogènes entre exposition prénatale au paracétamol et risques de troubles neurodéveloppementaux, surtout quand l’exposition dépasse quatre semaines. Les auteurs le rappellent clairement. Une association n’est pas une causalité. Des biais de mémoire, de mesure et de confusion persistent. Le diagnostic de l’autisme a par ailleurs évolué au fil des décennies, avec un spectre élargi qui complique la comparaison des études dans le temps. Des cas autrefois passés inaperçus sont aujourd’hui identifiés, ce qui modifie la perception statistique du risque.

Face à ces incertitudes, les chercheurs plaident pour une documentation plus fine des prescriptions et de l’automédication (doses, durée, trimestre) et pour l’intégration de facteurs génétiques et familiaux. Une vaste cohorte suédoise portant sur près de 2,5 millions d’enfants a observé une faible association en analyse globale entre prise de paracétamol pendant la grossesse et incidence d’autisme ou de TDAH. Cette association disparaît lorsque l’on compare les enfants au sein d’une même fratrie, dans l’analyse intrafamiliale, avec des estimations de risque proches de l’unité (HR ≈ 0,98 pour l’autisme comme pour le TDAH). Ce résultat suggère que des facteurs partagés dans les familles, génétiques et environnementaux, pourraient expliquer une partie des signaux observés dans les analyses classiques.

Pour contourner les limites épidémiologiques, la recherche mobilise aussi des modèles expérimentaux (cultures cellulaires et modèles animaux) afin de tester des effets directs et au long cours. Là encore, les résultats restent hétérogènes. Aucun modèle de laboratoire ne reproduit fidèlement la complexité humaine, et les doses testées chez l’animal ne reflètent pas toujours les usages thérapeutiques réels.

Ni banalisation ni alarmisme

Chez la souris, certains tests comportementaux montrent des altérations après exposition. Rien ne permet toutefois de conclure qu’elles correspondent à des troubles du spectre autistique humain. À ce jour, les données disponibles n’établissent pas de lien causal entre l’usage usuel de paracétamol pendant la grossesse et des effets neurodéveloppementaux chez l’enfant. Les outils in vitro les plus récents, conçus pour dépister une neurotoxicité, n’ont pas mis en évidence de toxicité aiguë aux doses pertinentes, tout en laissant ouverte la question d’effets subtils à long terme.

Le débat a été ravivé en 2025 par des annonces et prises de position médiatisées aux États-Unis, rapidement discutées par des experts et relativisées par les instances internationales. Les autorités sanitaires (OMS, Agence européenne du médicament, NHS britannique, ACOG) convergent aujourd’hui vers la même conclusion. Aucune preuve concluante de causalité. En revanche, un principe de prudence. En pratique, pour les femmes enceintes, le paracétamol reste recommandé lorsque nécessaire, à la dose efficace la plus faible et sur la durée la plus courte, avec avis médical si possible. Ce rappel évite deux écueils. Culpabiliser inutilement les futures mères. Les pousser vers des alternatives potentiellement plus risquées, comme les anti-inflammatoires non stéroïdiens, déconseillés à partir du sixième mois de grossesse.

Les experts sont clairs. Le paracétamol demeure un médicament précieux pour traiter la douleur ou la fièvre, deux symptômes qui, s’ils ne sont pas pris en charge, peuvent eux-mêmes nuire au fœtus. En attendant de meilleures données, mieux contrôlées, mieux renseignées sur les doses et la durée, et intégrant la dimension génétique, la vigilance raisonnée s’impose. Ni banalisation. Ni alarmisme. Une utilisation encadrée, proportionnée au besoin réel.

 

 

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