Les papillons de nuit australiens ont les étoiles pour boussole 
Bogong: ce papillon australien s’oriente grâce au ciel étoilé. ©Ici Beyrouth

Des milliards de papillons Bogong traversent chaque année l’Australie, accomplissant une migration mystérieuse et spectaculaire. Des chercheurs ont récemment révélé qu’ils s’orientent grâce aux étoiles, devenant les premiers insectes connus à posséder une véritable boussole céleste inscrite dans leur ADN.

Chaque printemps, dans le silence de la nuit australienne, des milliards de papillons Bogong prennent leur envol pour un périple impressionnant. Leur voyage les conduit sur plusieurs centaines de kilomètres, depuis leurs terres natales du sud-est de l’Australie jusqu’aux grottes glacées des Alpes australiennes, où ils s’agglutinent par milliers pour passer l’été dans une torpeur protectrice, une forme d’hibernation appelée estivation. À l’automne, ils repartent vers les plaines pour se reproduire, clôturant un cycle migratoire millénaire. Mais comment ces papillons de nuit, minuscules et fragiles, trouvent-ils leur chemin à travers des territoires qu’ils n’ont jamais vus? Longtemps, le mystère de leur orientation a fasciné scientifiques et naturalistes. En 2025, une équipe internationale a apporté une réponse inattendue: les Bogong lisent littéralement dans le ciel nocturne, s’orientant grâce aux étoiles.

Cette découverte, publiée dans la revue Nature, marque une première dans le monde des insectes migrateurs. Jusque-là, seuls les oiseaux, les phoques et certains poissons étaient soupçonnés d’utiliser le ciel étoilé pour se repérer sur de longues distances. Les chercheurs ont montré que les Bogong possèdent, eux aussi, un sens de l’orientation stellaire, semblable à une boussole céleste gravée dans leur ADN. Pour parvenir à cette conclusion, l’équipe a utilisé un simulateur sophistiqué: les papillons étaient placés dans un environnement contrôlé où l’on pouvait projeter des images réalistes du ciel étoilé. Lorsque la voûte céleste était présentée dans sa configuration naturelle, les Bogong choisissaient systématiquement la direction correspondant à leur route migratoire, même en l’absence de tout autre repère.

Le plus surprenant restait à venir. Lorsque les chercheurs faisaient tourner la carte du ciel de 180 degrés, les papillons ajustaient leur orientation en conséquence, prouvant qu’ils ne suivaient pas simplement une source lumineuse unique, mais reconnaissaient l’ensemble de la cartographie céleste. À l’inverse, lorsqu’un ciel artificiel composé d’étoiles placées au hasard était projeté, les Bogong perdaient leur cap, incapables de retrouver la direction du nord. L’expérience fut poussée plus loin: même quand le champ magnétique terrestre était neutralisé à l’intérieur du simulateur, les papillons s’orientaient toujours correctement en présence d’un ciel étoilé cohérent. Ce résultat démontre que leur faculté à s’orienter ne dépend pas seulement du magnétisme, mais s’appuie sur une véritable lecture du ciel.

Système neuronal programmé

La prouesse de ces insectes, au cerveau minuscule de la taille d’une graine de pavot, suscite l’admiration de la communauté scientifique. Pour comprendre comment le Bogong parvient à décrypter la carte du ciel, les chercheurs ont enregistré l’activité neuronale de son cerveau visuel. Ils ont ainsi observé que certaines cellules nerveuses s’activaient précisément lorsque le papillon était exposé à une constellation ou une direction céleste particulière. L’animal semble ainsi disposer d’un système neuronal programmé pour intégrer les repères stellaires et les transformer en consignes de navigation.

Ce double système – repérage par les étoiles et, en cas de ciel couvert, orientation grâce au champ magnétique terrestre – confère au Bogong une robustesse exceptionnelle pour traverser de longues distances dans des conditions variées. Cette redondance, comparable à celle des oiseaux migrateurs, explique pourquoi les papillons parviennent à effectuer ce voyage, génération après génération, sans modèle parental ni apprentissage préalable: l’itinéraire est codé dans leur patrimoine génétique.

Cependant, cette fabuleuse capacité n’est pas sans fragilité. Le changement climatique, la destruction des habitats et surtout la pollution lumineuse représentent des menaces directes pour le Bogong. Les halos artificiels des villes et des infrastructures perturbent la perception du ciel nocturne, brouillant les repères naturels indispensables à la migration. Ces perturbations s’ajoutent à l’effondrement progressif des populations de Bogong, dont le nombre a considérablement diminué ces dernières décennies. Certains spécialistes redoutent que ces papillons ne puissent plus, un jour, effectuer leur migration ancestrale, perdant ainsi le fil d’un instinct millénaire.

Cette découverte ouvre une nouvelle page dans la compréhension de la migration animale. Elle soulève aussi de multiples questions: quels éléments précis du ciel nocturne les papillons utilisent-ils? La Voie lactée, certaines constellations ou la disposition générale des étoiles? Comment ces informations sont-elles intégrées et traitées par un système nerveux si réduit? La recherche continue, mais la prouesse du Bogong rappelle, à l’heure de l’intelligence artificielle et du GPS, que la nature recèle encore bien des secrets insoupçonnés.

Dans l’immensité de la nuit australienne, des milliards de papillons poursuivent leur route, guidés par la lumière ancestrale des étoiles. Leur migration silencieuse, fragile et admirable, témoigne de la richesse d’un monde animal dont les prodiges ne cessent de fasciner et d’émouvoir. La révélation de leur boussole céleste est une invitation à protéger ces merveilles, avant qu’elles ne s’effacent à jamais du ciel austral.

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