
La découverte de SCUBE3, molécule produite par le cuir chevelu, bouleverse la recherche sur la calvitie. Ce messager moléculaire, identifié par l’équipe du Pr Maksim Plikus à Irvine, réactive la croissance des cheveux en stimulant les follicules dormants. Premiers essais concluants.
C’est un laboratoire californien, celui de l’Université d’Irvine, qui agite le secteur de la dermatologie. L’équipe du professeur Maksim Plikus y a isolé en 2022 une molécule baptisée SCUBE3, pour Signal peptide, CUB domain, EGF-like 3. Produit naturellement par la papille dermique – un minuscule groupe de cellules à la base de chaque follicule – ce messager semble avoir un pouvoir unique: faire repartir des cheveux là où ils s’étaient définitivement arrêtés.
Jusqu’ici, les solutions proposées contre l’alopécie androgénétique, la calvitie la plus répandue, se limitaient à ralentir la chute ou à donner l’illusion de volume. Minoxidil, finastéride, greffes capillaires – aucune méthode ne réveille véritablement les follicules épuisés. En injectant SCUBE3 dans la peau de souris et sur des greffons de cheveux humains, les chercheurs d’Irvine ont provoqué une repousse rapide, visible à l’œil nu après trois semaines, là où la peau restait nue depuis des mois. Ce résultat, publié dans Developmental Cell en juillet 2022, marque une rupture avec les approches conventionnelles: pour la première fois, un «signal» moléculaire relance la croissance sur du tissu humain vivant.
Le détail frappe: l’expérience ne s’arrête pas aux rongeurs. Les follicules humains transplantés sur la souris reprennent vie sous l’action de SCUBE3, générant de nouveaux cheveux. À ce stade, peu de travaux avaient réussi à obtenir ce résultat sans manipulations génétiques complexes ou traitements invasifs. L’équipe californienne dépose dans la foulée un brevet et crée la start-up Amplifica, basée à Los Angeles, pour porter la découverte vers la clinique.
Au centre du mécanisme: la voie de signalisation Hedgehog/TGF-β, un circuit biologique essentiel à la vie du follicule pileux. SCUBE3, une protéine de 110 kilodaltons, agit comme un déclencheur. Quand elle atteint la papille dermique, elle «réveille» les cellules souches dormantes, qui enclenchent alors la phase anagène (croissance). Contrairement au minoxidil, qui module la vascularisation, ou au finastéride, qui agit sur l’hormone DHT, SCUBE3 cible directement la racine du problème.
Premiers tests humains
L’Université de Californie à Irvine cite précisément la séquence génétique de SCUBE3, désormais brevetée sous le numéro US20230251241A1, et Amplifica annonce en septembre 2023 le lancement de premiers essais cliniques de phase 1 à Los Angeles sur 50 patients volontaires (18-55 ans, perte de cheveux diagnostiquée). Les participants reçoivent des micro-injections de SCUBE3 dans le cuir chevelu, à raison d’une séance par mois sur trois mois. Les résultats intermédiaires, attendus pour début 2025, conditionneront la suite du développement.
Mais la prudence s’impose. La calvitie ne se réduit pas à un simple «sommeil» du follicule. Facteurs inflammatoires, impact des androgènes, vieillissement et stress oxydatif pèsent lourd dans le tableau clinique. Rien ne dit, pour l’instant, que SCUBE3 renversera la donne sur toutes les formes d’alopécie. Aucun effet indésirable sérieux n’a été relevé sur les modèles animaux, mais l’innocuité à long terme doit être confirmée chez l’humain. Se pose aussi la question de la méthode d’administration: injection, crème topique, micro-aiguilles? Amplifica teste plusieurs protocoles, sans communiquer encore sur la formulation définitive.
Autre point vérifiable: la demande de brevet mondiale (WO2022161179A1) concerne à la fois la molécule SCUBE3 et ses analogues synthétiques, pour une application sur tous les types d’alopécie non cicatricielle. Les experts du secteur estiment le marché potentiel à plus de 8 milliards de dollars par an, tant la demande de solutions fiables reste insatisfaite. En France, l’Inserm observe qu’un homme sur deux subit une calvitie à 50 ans. Les rendez-vous en dermatologie explosent, la chirurgie capillaire coûte entre 3.000 et 8.000 euros, sans garantir un effet définitif.
Ce qui distingue SCUBE3, c’est le recours au langage naturel du follicule, sans modifier le génome ni perturber les équilibres hormonaux globaux. La molécule parle la langue intime du cheveu, celle qui décide de son réveil ou de sa chute. C’est sans doute la raison pour laquelle l’annonce californienne suscite autant d’attente, mais aussi de scepticisme prudent.
D’ici à sa commercialisation, le chemin reste long. Les essais de phase 2 puis 3 devront valider l’efficacité sur un large échantillon, avec des suivis prolongés (de 12 à 24 mois). Les premiers résultats, si confirmés, pourraient ouvrir la voie à une prescription dermatologique d’ici 2027, au plus tôt. En attendant, SCUBE3 reste un nom énigmatique, mais déjà une promesse concrète pour ceux que la calvitie hante, chaque matin devant la glace.
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