Les Mains de Mamie réinventent la haute couture
Des mamies qui réinventent la haute couture. © Instagram: @lesmainsdemamie

Leur talent a conquis Dior, Jacquemus et Balmain. Les Mains de Mamie, marque française née à Marseille, met à l’honneur des grand-mères tricoteuses dont les créations fait main bousculent la haute couture. Un nouvel art du luxe, sensible et solidaire.

À première vue, rien ne distingue vraiment l’appartement de Catherine, à Saint-Étienne, de celui de milliers de retraitées françaises. Des pelotes de laine sur le fauteuil, des patrons griffonnés, un vieux mètre ruban et la télévision en bruit de fond. Mais depuis trois ans, ses mains ne tricotent plus seulement pour ses petits-enfants. Elles travaillent désormais pour Balmain, Dior ou Jacquemus. À 68 ans, Catherine fait partie du collectif Les Mains de Mamie: des femmes ordinaires devenues les nouvelles ouvrières discrètes de la haute couture.

L’histoire commence à Marseille, en 2019. Aurélie de Barros, jeune entrepreneure, surprend sa grand-mère en train de tricoter. Elle imagine alors un modèle où le talent de ces retraitées, souvent méprisé ou relégué à la sphère privée, deviendrait le cœur d’un projet social et créatif. Très vite, Les Mains de Mamie rassemble une trentaine de femmes, de 60 à 89 ans. À chaque commande passée sur le site, une pièce est confiée à l’une d’elles, qui la réalise chez elle, à son rythme, sans pression industrielle. La promesse est simple: un tricot fait main, signé, expédié avec le prénom de la «mamie» qui l’a réalisé.


© Instagram: @lesmainsdemamie

Les débuts sont modestes. La marque attire d’abord une clientèle à la recherche d’authenticité, attachée au made in France. Mais rapidement, le bouche-à-oreille opère. En juin 2025, la maison Dior commande une pièce pour son défilé printemps-été. Jacquemus suit le mouvement, confiant la réalisation d’une robe au crochet pour sa collection «Le Paysan». L’été suivant, Balmain invite Les Mains de Mamie à concevoir six créations en macramé et crochet, qui ouvrent le show d’Olivier Rousteing. Plus de cent heures de travail pour certaines pièces. Sur Instagram, la marque salue le résultat: «Des mailles incroyables, tissées comme des armures de féminité.» Sur le podium, le rendu frappe par sa force, mais aussi par sa poésie.

Quand la haute couture tisse un autre lien

Le secret du succès tient à cette rencontre entre la quête de sens qui traverse la mode et le besoin, pour beaucoup de seniors, de se sentir reconnues, utiles, visibles. «Vous ne pouvez pas imaginer la joie dans leurs yeux quand elles se savent vues, reconnues», raconte Aurélie de Barros. Ce retour de l’artisanat répond aussi à l’épuisement d’une génération lassée de la fast-fashion. Ici, chaque pièce est pensée, unique, loin de la production de masse. L’étiquette affiche un prénom. Catherine, Annie, Virginie, Nassera : des mains, des histoires, une transmission.

La démarche va bien au-delà du storytelling ou de la nostalgie. Les Mains de Mamie veille à assurer à ses artisanes une rémunération décente, proportionnelle à la difficulté des modèles. De vingt à cinquante euros par création, parfois contestés mais toujours très supérieurs à l’industrie textile classique. Le collectif défend l’envie, la fierté, la liberté de chaque femme. Les matières premières sont choisies avec soin, la patience des finitions donne à chaque maille une valeur ajoutée qui ne s’invente pas. «Ce n’est pas seulement du crochet, c’est un hommage à la beauté de l’artisanat français», souligne la marque dans une note après le défilé Balmain.


© Instagram: @lesmainsdemamie

Le phénomène n’est pas isolé. Au Québec, la marque Gibou confie la confection de ses accessoires d’hiver à des retraitées locales, et chaque bonnet, chaque bandeau, porte le nom de l’artisane. La tendance gagne aussi l’Italie et l’Espagne, où des ateliers de grand-mères travaillent pour des créateurs en quête de singularité. Selon Trendwatching, la «valeur humaine» du vêtement devient aujourd’hui un argument d’achat pour plus de la moitié des consommateurs de moins de 35 ans.

Le retour du tricot sur les podiums ne parle pas du passé, mais d’un présent en quête d’ancrage. Il porte une autre idée du luxe, qui ne se réduit plus à la rareté du matériau mais à la présence du geste et de la mémoire. Ce mouvement dit quelque chose d’une société qui réapprend à écouter ses aînés et à donner un sens à ses choix. Pour Catherine, l’aventure a transformé le regard qu’on lui porte. «Ma famille ne comprenait pas toujours pourquoi je passais des heures sur mes aiguilles. Maintenant, ils sont fiers. Et moi, je me sens utile, vraiment.»

Les Mains de Mamie ne se contente pas de réhabiliter la maille. La marque ouvre la haute couture à une génération, fait entendre une voix oubliée, et permet au vêtement de redevenir ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être: un récit vivant, un lien palpable entre deux mondes que tout opposait.

 

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