Malgré la décision du gouvernement libanais d’imposer le monopole des armes à l’État et le tournant régional initié par l’accord de Charm el-Cheikh entre Israël et le Hamas, le Hezbollah refuse toujours de se désarmer. Ses justifications historiques s’effritent, laissant apparaître un mouvement en perte de légitimité et de cohérence.
Deux mois après la décision du gouvernement libanais de réaffirmer le monopole des armes au profit de l’État, le Hezbollah maintient son refus catégorique de désarmer. Depuis sa création, la milice pro-iranienne justifie son arsenal au nom de la « résistance » et de la « protection du Liban ». Ses armes seraient, selon elle, un bouclier contre Israël et un instrument de dissuasion nationale.
Mais la réalité du terrain contredit de plus en plus ce récit. Après deux ans de guerre entre Israël et le Hamas, l’accord de cessez-le-feu conclu à Charm el-Cheikh — incluant des clauses liées au désarmement du mouvement palestinien — a révélé une nouvelle donne régionale : désormais, la voie du compromis supplante celle de la confrontation.
Dans ce contexte, le Hezbollah, pilier de « l’Axe de la Résistance » dirigé par Téhéran, se retrouve pris dans ses propres contradictions. Ses arguments traditionnels ne suffisent plus à masquer le fossé entre discours et réalité.
L’argument sécuritaire en lambeaux
Le Hezbollah continue de prétendre que « l’armée libanaise ne peut seule défendre les frontières », et que la présence israélienne au Sud-Liban légitime son arsenal. Pourtant, depuis le cessez-le-feu du 27 novembre 2024 entre le Hezbollah et Israël, la milice n’a pas riposté aux violations israéliennes quotidiennes, affirmant vouloir « laisser la chance à l’État d’agir ».
Le Liban reste ainsi piégé entre deux positions irréconciliables : Israël refuse tout retrait tant que le Hezbollah conserve ses armes, et le Hezbollah refuse de désarmer tant que certaines zones du Sud restent occupées.
La « libération du Sud » n’est plus un argument crédible. Ses adversaires rappellent que son arsenal n’a jamais dissuadé les incursions israéliennes ; certains estiment même qu’il les a précipitées. Le 8 octobre 2023, c’est le Hezbollah qui, en solidarité avec Gaza, a ouvert les hostilités, entraînant une escalade ayant permis à Israël de s’emparer de cinq positions stratégiques le long de la frontière.
« Aujourd’hui, le prétexte du Hezbollah repose sur son identité communautaire, explique Riad Kahwaji, expert en sécurité et défense. C’est un groupe sectaire mobilisant le sentiment chiite pour maintenir sa base. Ce n’est pas un mouvement libanais, mais une organisation confessionnelle au service de l’agenda iranien. »
Une légitimité en quête d’équilibre
Face à l’accord de Charm el-Cheikh, le Hezbollah tente de sauver la face. Son secrétaire général par intérim, Naïm Qassem, a salué la trêve comme « une preuve de la persévérance de la résistance », tandis que Mahmoud Qomati, vice-président du Conseil politique du groupe, affirmait que les armes du Hezbollah constituent « une garantie pour la souveraineté du Liban ».
Mais au sein de la formation, l’unité n’est plus totale. « Le Hezbollah n’est plus un bloc homogène, estime Farès Souhaid, ancien député et président du Rassemblement de Saydet el-Jabal. Depuis l’assassinat de Hassan Nasrallah, différentes tendances s’expriment et la cohésion d’autrefois s’est effritée. »
Riad Kahwaji nuance : « Ces divergences sont surtout tactiques. Le Hezbollah entretient cette illusion pour semer la confusion. En réalité, il poursuit le renforcement de ses capacités militaires sous couvert de dialogue. »
La guerre de 2023-2024 a durement frappé la milice. Ses bastions ont été ciblés, ses infrastructures détruites, et ses capacités opérationnelles réduites. De nombreux observateurs doutent aujourd’hui de sa réelle capacité à affronter Israël.
Les menaces proférées contre la classe politique — affirmant qu’il n’y aurait « aucune vie au Liban » si ses armes étaient confisquées — traduisent davantage un affaiblissement moral qu’une démonstration de force. Le refus de la milice d’appliquer la décision gouvernementale sur le monopole des armes confirme son positionnement contre l’État, et non en son garant.
« Le Hezbollah est pris en étau, analyse Souhaid. Le président, le Premier ministre et les pressions américaines se conjuguent pour le pousser à céder. Mais il n’est pas assez irrationnel pour provoquer une ‘Gaza 2’ au Liban. »
Des prétextes de plus en plus fragiles
Le Hezbollah continue d’invoquer la menace du « terrorisme venant de Syrie ». Pourtant, Damas a clairement déclaré qu’elle ne représente plus aucun danger pour ses voisins.
« Ce prétexte est anachronique, commente Souhaid. Même Ahmed al-Chareh, ex-chef rebelle syrien, a été reçu à New York et à Moscou. S’en servir pour justifier un arsenal militaire au Liban n’a plus aucun sens. »
La question des fermes de Chebaa, territoire disputé entre le Liban, la Syrie et Israël, reste également un argument éculé. Ni la souveraineté libanaise sur ces terres ni la capacité du Hezbollah à les libérer n’ont jamais été établies. Cette mission relève de l’État, non d’une milice.
Alors que la région avance vers des compromis — accords israélo-palestiniens, pressions internationales, négociations irano-américaines —, le Liban ne peut plus se permettre d’être l’exception.
Le gouvernement libanais a validé un plan de désarmement graduel, sous supervision de l’armée, soutenu par Washington. Ce programme prévoit la restitution du monopole des armes à l’État d’ici fin 2025.
Souhaid souligne la contradiction : « Le Hezbollah siège dans un gouvernement dont la mission est précisément de rétablir l’autorité de l’État sur les armes. Ils ont signé ce principe tout en refusant de l’appliquer. »
Selon lui, les signes de reddition partielle traduisent un affaiblissement profond : « Le Hezbollah n’a plus la force de dire non. Il dépend de la volonté iranienne. Et si Téhéran entre en négociation avec Washington, il pourrait être sacrifié. »
Sur le terrain, le rôle de l’armée reste plus ou moins limité. « Les armes récupérées ne l’ont pas été volontairement, explique Kahwaji. Elles ont été saisies à la suite d’opérations fondées sur des renseignements américains et israéliens. »
L’armée a contenu certains mouvements de la milice et obtenu la remise d’armes de petites factions palestiniennes, mais ni celles du Hamas ni du Jihad islamique. « Aucune action coercitive majeure n’a encore été entreprise », note l’expert.
Quand toutes les justifications d’une milice s’effondrent, il ne reste qu’une voie : le retour du monopole de la force à l’État. « Le simple fait qu’une arme du Hezbollah soit aujourd’hui entre les mains de l’armée libanaise marque déjà une rupture idéologique, estime Souhaid. Le Hezbollah d’aujourd’hui n’impose plus la politique régionale ; il tente de préserver son existence. »
L’accord israélo-palestinien et le désarmement partiel du Hamas ont agi comme un révélateur : les excuses du Hezbollah ne résistent plus. L’État libanais est capable de protéger ses frontières par sa légitimité internationale, non par la force d’une milice.
Mais, conclut Riad Kahwaji, « tant qu’aucune autorité libanaise ne le défie vraiment, tant qu’il conserve ses financements, le Hezbollah continuera d’exister — jusqu’à la prochaine guerre, dont nul ne peut prédire ni la forme ni l’issue. »




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