Le Théâtre Monnot ouvre la scène aux non-voyants: un acte d’amour, d’humanité et d’inclusion
Sur scène, Josiane Boulos présente officiellement le lancement de l’audiodescription au Théâtre Monnot, une première historique au Liban pour rendre le théâtre accessible à tous. ©Ramy Shahine / Théâtre Le Monnot

Sous les voûtes chaleureuses du Théâtre Monnot, des visages heureux et des rires s’entremêlent, portés par une émotion collective. Ce soir du 30 octobre, l’inédit se joue au cœur de Beyrouth. Pour la première fois au Liban, des personnes non-voyantes peuvent vivre pleinement une expérience théâtrale grâce à un système d’audiodescription en direct. Une initiative portée par la passion, l’humanité et la détermination d’une femme: Josiane Boulos, directrice du Théâtre Monnot, entourée d’une équipe qui a remué ciel et terre pour que cet instant voie «enfin le jour».

«Ce soir, c’est une première au Liban et au Moyen-Orient»

Josiane Boulos ne cache pas son émotion lorsqu’elle accueille l’équipe d’Ici Beyrouth, le regard pétillant et bienveillant, après de longues années de travail acharné. «Ce soir, c’est le lancement officiel de l’audiodescription au Théâtre Monnot», confie-t-elle, les yeux brillants.

«L’idée m’est venue il y a trois ans, lors d’un voyage aux États-Unis. J’assistais à une comédie musicale, assise tout au fond de la salle. Derrière moi, deux personnes parlaient doucement. Curieuse de nature et très intriguée, j’ai appris qu’il s’agissait d’une séance spéciale pour les aveugles, avec audiodescription. À ce moment-là, je me suis promis: un jour, je le ferai au Monnot.»

Même si le rêve a pris du temps, comme de nombreux rêves dans la vie de tout un chacun, Josiane Boulos n’a jamais failli à sa promesse. Et ce soir, il se concrétise.

Pourtant, les obstacles sur sa route furent multiples: crise économique qui perdure depuis 2019, guerre, fonds coupés… rien n’a été simple. «Les Américains devaient financer une partie du projet, mais le soutien a été réduit de moitié. Heureusement, grâce à une équipe soudée et à des donateurs privés, nous avons pu continuer», précise-t-elle. «Mais rien de tout cela n’aurait été possible sans mon équipe, qui a cru en ce rêve autant que moi. Je leur suis profondément reconnaissante, ils ont tous mis du cœur et de la passion pour que cette soirée devienne réalité.»

Et d’ajouter: «Même pendant la guerre entre le Hezbollah et Israël, alors que tout le monde était déprimé en novembre 2023, nous avons trouvé une Américaine qui a formé nos acteurs à distance. C’était un signe qu’il fallait aller jusqu’au bout.»

Pour la directrice du Théâtre Monnot, cette initiative dépasse le cadre culturel et artistique. Elle s’inscrit dans une démarche profondément humaine, mais aussi personnelle.

«J’ai une fille autiste, et cela m’a appris à regarder le monde autrement, à développer mon empathie. L’inclusion est une nécessité. Au Théâtre Monnot, nous voulons que chaque personne, quelle qu’elle soit, puisse ressentir la magie du théâtre», poursuit-elle, émue.

Un projet collectif qui comprend trois services principaux

Ce projet, baptisé «Accessibilité et Inclusion», repose sur trois volets:

• L’audiodescription, permettant aux spectateurs aveugles de suivre le spectacle à l’aide d’écouteurs sans fil, diffusant une description en direct des scènes, décors et mouvements des acteurs.

• La traduction en langue des signes, assurée par des interprètes professionnels positionnés dans la salle pour faciliter la compréhension des dialogues et du jeu des comédiens (ce service est en cours d’étude).

• Les visites tactiles, ou touch tours, qui offrent aux spectateurs non-voyants la possibilité de visiter la scène avant la représentation afin de découvrir, par le toucher, les éléments de décor et les costumes, favorisant ainsi une meilleure appréhension de la représentation artistique.

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Un projet né de la participation de Mme Boulos au Programme international de leadership des visiteurs (IVLP) du Département d’État américain, où elle a puisé l’inspiration pour développer une initiative locale dédiée à l’accessibilité culturelle.

Une formation inédite et un nouveau métier pour les acteurs libanais

Grâce à celui-ci, une vingtaine de jeunes acteurs ont été formés à la technique de l’audiodescription. «Ils ne peuvent pas être non-voyants, bien sûr, car ils doivent décrire ce qui se passe sur scène, mais cette formation leur a ouvert de nouvelles perspectives, surtout en période de crise économique», explique-t-elle.

«Désormais, une fois par mois, ils seront engagés pour assurer la description en direct des pièces, des vêtements et actions des comédiens, des couleurs, etc. Ce n’est pas seulement un service pour les non-voyants, c’est aussi une nouvelle activité professionnelle que nous offrons à de jeunes artistes.»

Jad, spectateur non-voyant: «Ce soir, je suis très heureux»

En ce soir de lancement, l’émotion est palpable. Les spectateurs non-voyants ont pu suivre attentivement la pièce Kezbe bil Saniyeh grâce à leurs casques d’audiodescription.

Parmi eux, Jad, membre de l’association Blind With Vision, ne cache pas sa joie: «Je suis très content. Cela nous permet enfin, en tant qu’aveugles, de participer à la vie culturelle. C’est une première au Liban et je suis très excité de pouvoir assister à la pièce comme tout le monde.»

Ce qui est certain, c’est que moi aussi, je suis très émue, comme tant d’autres, de voir une telle initiative voir le jour dans l’enceinte du Théâtre Monnot, espace d’égalité, où le handicap n’est plus un frein au partage, à l’émotion et surtout à la magie d’une représentation théâtrale.

Un Liban à la traîne de l’inclusion

Pourtant, le quotidien des personnes en situation de handicap continue de se heurter à de nombreux obstacles, dans un pays où tout reste encore à faire: infrastructures inadaptées, absence de politiques publiques efficaces et manque criant de sensibilisation.

«Malheureusement, tout repose sur des initiatives privées», déplore Josiane Boulos. «Mais c’est aussi ce qui nous pousse à être inventifs. Quand on n’a pas les moyens, on trouve des idées», ajoute-t-elle.

Le Théâtre Monnot, déjà accessible aux personnes en fauteuil roulant, entend aller encore plus loin. «Nous avons un siège mobile qui peut être remplacé par un fauteuil roulant. Maintenant, nous voulons inclure les personnes sourdes. Nous étudions plusieurs options: surtitrage, langue des signes, lunettes connectées… Il faut que ce soit faisable financièrement et aussi artistiquement.»

De l’espoir dans un pays ombrageux

Dans un Liban encore marqué par les crises et le désenchantement sociétal, cette initiative est une lueur d’espoir lumineuse.

Le projet a déjà suscité l’admiration du milieu culturel. De nombreux artistes saluent une avancée historique, plaçant le Théâtre Monnot à l’avant-garde de l’innovation et de la responsabilité sociale au Liban.

Ce qu’on retient ce soir-là en repartant du théâtre, c’est que le projet «Accessibilité et Inclusion» est avant tout un acte d’amour, d’humanité et d’inclusion indispensable. Non seulement au nom de l’amour de l’art et de la culture, mais surtout du théâtre, de sa magie et du partage. Ce qu’on retient aussi, c’est que la différence et le handicap ne doivent jamais être un frein à la solidarité, à l’émotion, au lien entre les êtres, ni à la magie du spectacle.

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