L’Éthiopie accuse l’Érythrée de se «préparer à une guerre», tandis qu’Asmara dénonce les «joutes verbales» d’Addis-Abeba, susceptibles, selon elle, «d’attiser des conflits dangereux». Les tensions entre ces deux voisins de la Corne de l’Afrique s’intensifient, ravivant la crainte d’un nouveau conflit.
Que veut l'Éthiopie ?
Depuis des mois, le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, au pouvoir depuis 2018, demande un accès à la mer pour son pays. Il assure que cela doit avoir lieu par des moyens pacifiques.
L'Éthiopie, deuxième pays le plus peuplé du continent avec quelque 130 millions d'habitants, est enclavée depuis l'indépendance de l'Érythrée en 1993.
Lors d'une déclaration le 28 octobre devant le Parlement, le chef de l'exécutif éthiopien a affirmé être «absolument certain que l'Éthiopie ne restera pas enclavée». M. Abiy, qui peu après son arrivée au pouvoir avait opéré un rapprochement avec l'Érythrée, ce qui lui a valu le Nobel de la Paix -, a également demandé une «médiation», notamment américaine et européenne, afin de trouver une «résolution pacifique» avec l'Érythrée pour garantir un accès à la mer.
Pour Asmara, l'Éthiopie lorgne son port d'Assab et dénonce, par la voix de son ministre de l'Information, une rhétorique «susceptible d'attiser les conflits régionaux».
Le discours de M. Abiy «sur l'accès à la mer Rouge est constant depuis un an», avance auprès de l'AFP Kjetil Tronvoll, professeur à Oslo New University College et spécialiste de la zone. Mais «il construit peu à peu un argumentaire susceptible de justifier une action militaire plus tangible, en présentant l'Érythrée comme un voisin hostile», poursuit-il.
De quoi l'Éthiopie accuse son voisin ?
Début octobre, les autorités d'Addis Abeba ont accusé l'Érythrée de se préparer «activement à une guerre» contre elle, dans une lettre au secrétaire général de l'ONU.
Pour l'Éthiopie, l'Érythrée cherche avec le Front de libération du Peuple du Tigré (TPLF) - parti qui a dominé la vie politique éthiopienne pendant presque 30 ans - à «déstabiliser et fragmenter l'Éthiopie» en soutenant des groupes armés qui combattent les autorités fédérales.
Asmara a de son côté dénoncé une «mascarade mensongère».
«L'Érythrée a commencé à tisser des liens avec le TPLF et d'autres forces antigouvernementales en Éthiopie et au sein de la diaspora», ce qui «pourrait exacerber les tensions entre les deux pays», estime Abel Abate Demissie, chercheur du groupe de réflexion Chatham House.
Pour Kjetil Tronvoll, M. Abiy développe son argumentaire pour justifier «une action de légitime défense, et la dernière étape de ce processus, avant toute action armée, consiste à appeler à des négociations internationales: ce qu'il vient de faire».
Vers un nouveau conflit ?
Une guerre sanglante avait éclaté entre les deux voisins en 1998 à la suite d'un différend frontalier. Le conflit, qui a fait plusieurs dizaines de milliers de morts, avait pris fin en 2000, mais les relations entre les deux pays étaient restées en dents de scie.
Le rapprochement de M. Abiy avec le président Issaias Afeworki, qui dirige l'Érythrée d'une main de fer depuis 1993, n'aura pas survécu à la fin de la guerre au Tigré en 2022, lors de laquelle les forces érythréennes ont appuyé les forces fédérales contre les rebelles tigréens.
Au début de l'année, des images satellites ont montré «des troupes se rassemblant près de la frontière, les deux côtés manifestant un renforcement de leurs capacités», rappelle Alex Vines, du Conseil européen pour les relations internationales.
Aujourd'hui, «absolument rien ne permet d'accréditer une quelconque préparation allant dans le sens» d'un conflit imminent, a affirmé à l'AFP une source sécuritaire, qui a requis l'anonymat.
M. Vines souligne malgré tout que les «tensions montent dans la région», pointant «le facteur égyptien».
Le Caire entretient des relations tendues avec Addis Abeba, notamment à la suite de la construction d'un mégabarrage par l'Éthiopie sur le Nil, que les autorités égyptiennes considèrent comme une «menace existentielle».
L'Érythrée, pays d'un peu plus de trois millions d'habitants, s'est rapproché ces derniers mois de l'Égypte. Le président Issaias Afeworki est rentré mardi d'une visite en Égypte où il a rencontré son homologue Abdel Fattah al-Sissi, qui a réaffirmé «son ferme engagement à soutenir la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Érythrée».
Interrogées sur le risque d'un nouveau conflit, les autorités d'Éthiopie et d'Érythrée n'ont pas donné suite aux sollicitations de l'AFP.
Avec AFP



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