En 10 ans, la menace jihadiste transformée mais tenace
Une photo prise le 20 février 2019 montre un camion transportant des hommes, identifiés comme des combattants du groupe État islamique ayant accepté de se rendre aux Forces démocratiques syriennes (FDS) dirigées par les Kurdes, alors qu’ils quittent le dernier bastion de l’EI à Baghouz, dans la province de Deir Ezzor, au nord de la Syrie. ©Bulent Kilic / AFP

Les deux grandes organisations jihadistes mondiales, le groupe État islamique (EI) et Al-Qaïda, ont complètement changé de visage 10 ans après les attentats de Paris, mais, même privés de sanctuaire comme l'était la frontière irako-syrienne pour l'EI, ils restent très actifs et meurtriers dans de nombreux points du globe.

En 2015, les deux organisations avaient des figures de proue (Abou Bakr al-Baghdadi pour l'EI, Ayman Al-Zawahiri pour Al-Qaïda), des directions centrales fortes, et pouvaient former et envoyer en Europe des commandos perpétrer des attaques.

Aujourd'hui, «la structure des deux grandes centrales de commandement est considérablement affaiblie, les chefs peu connus et probablement peu impliqués dans la gestion directe de la menace», résume une source sécuritaire française.

«On voit une reconfiguration de cette mouvance djihadiste, avec certains fronts où les franchises restent particulièrement actives», explique à l'AFP Marc Hecker, du centre de recherche français IFRI, coauteur de «La guerre de vingt ans, djihadisme et contreterrorisme au XXIe siècle».

Ces groupes «sont loin du monde occidental. Ils agissent beaucoup en Afrique, au Moyen-Orient ou en Asie», analyse Alexandre Rodde, du centre de recherche de la gendarmerie nationale française et de l'université anglaise de Coventry.

Pour autant, la menace reste forte en Occident où les attaques suscitées par la propagande et les contenus jihadistes en ligne sont nombreuses. Et «l'objectif stratégique ultime, tant du côté d'Al-Qaïda que de Daech (acronyme arabe l'EI, ndlr), n'a pas changé: l'établissement d'un califat global», juge M. Hecker.

L'épicentre africain

«La majorité des actions meurtrières de ces groupes se déroulent en Afrique», résume la source sécuritaire. Le nombre estimé de jihadistes de l'EI en Syrie, entre 1.000 et 1.500, est bien inférieur au nombre de membres de l'EI en Afrique de l'Ouest, dans la région du lac Tchad et du Nigéria (6 à 7.000) ou au Sahel (2.500).

Au Sahel, le JNIM, lié à Al-Qaïda, est en pleine expansion et menace actuellement la survie de plusieurs régimes de la région, dont la junte malienne.

«On craint de plus en plus que la chute du Mali n'entraîne un effet domino sur d'autres gouvernements de la région, notamment au Burkina Faso et/ou au Niger, et l'on redoute que cette dynamique ne propulse les djihadistes à travers toute l'Afrique de l'Ouest vers la côte», estime le centre d'analyse américain Soufan.

Le JNIM «a atteint un niveau de capacité opérationnelle lui permettant de conduire des opérations complexes, combinant drones, engins explosifs, et un grand nombre de combattants», relevait en juillet un rapport des Nations unies, soulignant la volonté du groupe de se positionner comme un acteur politique local.

Pour autant, jusqu'ici, ni le JNIM ni la branche locale de EI, l'EIGS, n'ont projeté d'attaques hors de leur zone.

Sur le reste du continent, le groupe «État islamique en Afrique de l'Ouest (ISWAP) est une branche très active», et dans la corne de l'Afrique «l'acteur fort reste le mouvement Shebab, lié à Al-Qaïda», résume M. Hecker.

Syrie

Ce fut le ventre qui accoucha du 13 novembre 2015. À l'époque, «le sanctuaire syro-irakien attirait beaucoup de monde», fort de 40 à 50.000 étrangers, rappelle Marc Hecker.

Aujourd'hui, le groupe «État islamique survit dans un certain nombre de zones mais n'a plus la capacité de déploiement d'antan», explique M. Rodde.

«À la chute du régime de Bachar al-Assad, la liberté de mouvement des jihadistes a augmenté», souligne la source sécuritaire française, et «l'EI s'en est saisi, ils sont sortis de leur sanctuaire du désert de la Badiya et se sont ré-établis dans le nord-ouest et à Damas, poursuivant un objectif de déstabilisation du pouvoir».

EI-K, le risque asiatique

L'EI au Khorassan, principalement en Afghanistan et au Pakistan, «est la franchise la plus active, qui a frappé Moscou lors de l'attaque du Crocus City Hall en mars 2024», explique M. Rodde, ou encore l'Iran en janvier de la même année. L'organisation «a une capacité de recrutement au sein des diasporas».

Elle est toutefois en recul. «Sa capacité de nuisance est considérablement réduite», explique la source sécuritaire. «Les talibans leur livrent une guerre féroce et efficace», et d'autre part les actions contre son vivier de combattants russophones en Syrie ont fait mouche.

L'Europe attaquée à bas bruit

La menace en Europe a changé de nature.

En 2024, «la France a déjoué neuf attentats jihadistes» souligne Marc Hecker, et cinq ont été perpétrés depuis juillet 2024. Ils ont fait «peu de morts, mais en réalité, il ne faut pas une grande différence de savoir-faire» pour qu'ils deviennent plus meurtriers.

«Nous sommes passés d'une menace dite projetée (...) à une menace aujourd'hui qui est typiquement endogène», explique à l'AFP le procureur antiterroriste (Pnat) français Olivier Christen, évoquant notamment «des individus qui sont sur le territoire français, ne l'ont jamais quitté et n'ont pas nécessairement des rapports directs avec les organisations terroristes» mais s'en inspirent.

Il s'agit souvent de «processus d'autoradicalisation extrêmement rapides sur internet et les réseaux sociaux», d'après la source sécuritaire. Mais perdurent aussi des menaces téléguidées depuis des zones jihadistes, par le biais de membres de diasporas résidents dans les pays occidentaux.

AFP

 

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