Ces Libanais qui ont vécu les attaques du 13 novembre 2015 à Paris
©DIMITAR DILKOFF / AFP

Ici Beyrouth est allé à la rencontre de Libanais qui étaient présents dans l’agglomération parisienne le 13 novembre 2015, lorsque la capitale française et sa banlieue ont connu une nuit d’horreur, frappées par une vague d’attentats terroristes revendiquée par le groupe terroriste État islamique.


Nous sommes le vendredi 13 novembre 2015, il y a 10 ans. La journée se termine et le week-end s’apprête à débuter. Les Parisiens sortent dans les cafés, bars, restaurants et salles de spectacle de la capitale. Les amateurs de football, eux, se rendent au Stade de France pour assister au match amical entre la France et l’Allemagne.

Mais la soirée vire au cauchemar. Ce soir-là, une série d’attentats terroristes frappent Paris et la Seine-Saint-Denis – où se trouve le Stade de France. Des terroristes de l’organisation État islamique prennent d’assaut des terrasses parisiennes fréquentées du 10e et 11e arrondissements, les abords du Stade de France ainsi que la salle de spectacle du Bataclan, où le groupe de rock Eagles of Death Metal se produit.

Cette attaque – que beaucoup en France n’appellent plus que par la date du 13 Novembre –, perpétrée moins d’un an après l’attaque terroriste contre le journal satirique Charlie Hebdo, fait 130 morts des centaines de blessés sur le coup. Deux rescapés ont ensuite mis fin à leurs jours, alourdissant le bilan après coup à 132. L’attentat provoque une vague d’émotions à travers le monde.

Des Libanais alors présents à Paris, qu’Ici Beyrouth a pu contacter, se souviennent de ce funeste soir du 13 novembre 2015. C’est le cas de Wissam, âgé de 15 ans au moment des faits. Il était présent au Stade de France, l’un des lieux de l’attaque, avec l’un de ses amis. « On a entendu la première détonation, mais on s’est dit que c’étaient des pétards. La deuxième détonation était un peu plus forte. Là, on s’est dit que c’était bizarre », raconte-t-il, expliquant par ailleurs qu’à chaque détonation, le public réagissait, croyant également qu’il s’agissait de pétards. « Ils ne criaient pas de peur, mais pour le spectacle », précise Wissam.

« J’ai entendu les tirs »

Bouchra était également de sortie ce soir-là. « J’étais à Paris pour organiser un concert à l'Olympia pour Aleph, un pianiste libanais. Ce jour-là, nous avions terminé nos rendez-vous et j'avais rejoint, en début de soirée, mon hôtel qui était aux Grands Boulevards à Paris. Vers 20 h, je suis sortie avec une amie pour dîner dans les environs. »

Même son de cloche du côté de Cynthia qui, elle, était dans le 11e arrondissement et se préparait pour un rendez-vous. « Ce soir-là, un ami du quartier voulait m’inviter au restaurant. J’ai donné l’adresse de la Belle équipe (l’un des établissements pris pour cible ce soir-là par les terroristes, NDLR) qui était mon café préféré », raconte-t-elle. Elle poursuit, expliquant avoir, sans succès, essayé d’annuler le rendez-vous. « J’avais une migraine et je n’avais pas envie de sortir. Je suis allé demander un médicament pour le mal de tête chez mes voisins de palier. Je suis restée à discuter avec eux, et cela m’a énormément retardée. Quand la conversation s’est terminée, j’ai pris encore plus de retard parce que je suis retourné chez moi pour me maquiller. Et c’est lorsque j’ai ouvert la fenêtre de la salle de bain que j’ai entendu les tirs ».

Ryan était lui en famille devant la télévision, en train de regarder le match France-Allemagne. Il se souvient : « Au bout d’un moment, on voit un joueur français qui regarde bizarrement les hauteurs du stade en faisant une passe. On entend, juste avant, deux détonations. On pensait qu’il s’agissait de feux d’artifice ou de pétards ». Il explique par la suite que lui et sa famille ont reçu des alertes de plusieurs médias, informant d’une attaque terroriste aux abords du Stade de France. « On commence à appeler tous nos amis pour voir si personne n’est à Paris et pour prévenir le plus de monde possible de ce qu’il se passe actuellement. »

« Un peu avant la mi-temps, plus personne n’avait de réseau dans le stade. On n’arrivait plus à communiquer avec l’extérieur. On s’est dit qu’il y avait sans doute un problème de réseau. Mais le match a repris. On a suivi le match… », se rappelle Wissam. Ce dernier ajoute qu’au moment du coup de sifflet final, l’écran géant du stade a affiché un message demandant de « quitter le stade tranquillement. C’était bizarre. Là, quelques personnes ont commencé à avoir du réseau, à recevoir des messages qui demandaient de leurs nouvelles… on ne comprenait pas trop. Les gens ont ainsi commencé à savoir que des attentats s’étaient produits à Paris et aux abords du Stade de France. »

« Ma vie s’est jouée à quelques minutes »

Wissam décrit par la suite un mouvement de foule des spectateurs dans le stade. « Tout le monde a commencé à courir. Une partie des spectateurs est allée sur la pelouse. Une autre a commencé à fuir vers l’extérieur du stade. Il y avait des personnes qui se faisaient marcher dessus. Tout le monde courait dans tous les sens et craignait pour sa vie. Les gens escaladaient les barrières pour sortir plus vite du stade. Certains se cachaient. D’autres pleuraient. Je suis vite sorti du stade. J’ai perdu de vue l’ami qui était avec moi. On s’est tous perdus. On a chacun pris le métro dans un sentiment de peur. On est rentré à la maison et on a suivi ce qu’il s’était passé. »

Durant son dîner à Paris, Bouchra raconte qu’elle et son amie ont vu « les gens qui s’agitaient. Au début, nous n'avions pas compris ce qu’il se passait. Rapidement nous avons quitté le restaurant et nous nous sommes dirigées vers l'hôtel à pied. L'hôtel était à 600 m à vol d'oiseau du Bataclan ». Elle raconte également que « sur la route, il y avait des policiers partout. Les voitures étaient bloquées. Des klaxons, des sirènes, des gens qui couraient… ». Bouchra poursuit, indiquant qu’une fois arrivées à l’hôtel avec son amie, « tous les clients étaient au lobby (le hall d’entrée, NDLR), le personnel de l'hôtel nous a expliqué qu'ils avaient entendu des tirs et qu'il y a eu plusieurs attaques en même temps à Paris, dont une au Bataclan. C’était l'horreur, on se croyait au milieu d’un champ de bataille, et non à Paris. Ce soir-là, nous n'avons pas dormi. »

« J’ai reconnu les bruits des coups de feu. Et en tant que Libanaise, je me suis dit qu’il n’était pas possible que ça soit ça. Dans mon corps, j’ai senti le danger. Mais dans ma tête, je me suis dit que c’était peut-être le bruit d’une fête ou même un mariage. Cela m’a traversé l’esprit… mais on n’est pas au Liban », raconte Cynthia. Elle raconte par ailleurs que, comme par automatisme, elle est descendue de chez elle, et traversé le boulevard Voltaire. « Et à peine arrivée au début de la rue de Charonne, j’entendais des tirs. Mon cœur battait, je ne savais pas quoi penser. Arrivée à la moitié de la rue, la personne qui m’attendait m’appelle, me demandant où je suis. Le premier réflexe que j’ai eu a été de m’excuser pour mon retard, sans me rendre compte qu’il y a quelque chose de grave. Je voyais que la rue était noire. J’ai été sauvée par mon retard, et par cet appel au cours duquel je ne me suis pas approchée de la Belle équipe. Cette personne m’a sauvée à une dizaine de minutes à pied du lieu du drame. Il m’a dit qu’il y a un attentat. Très peu de gens ont survécu à la Belle Équipe. À l’intérieur, trois survivants ou quatre, dont il faisait partie (…) Ma vie s’est jouée à quelques minutes ».

Le premier réflexe de Cynthia : s’abriter dans un restaurant libanais qui se trouvait non loin de sa position, d’avertir ceux qui étaient là et d’appeler son père « pour lui dire : ‘je suis vivante’ ». Le restaurant met alors les chaînes d’infos. Cynthia raconte que la situation dans le restaurant l’a ramenée plusieurs décennies en arrière, pendant la période de la guerre civile libanaise, qu’elle à vécu. « Le fait de me retrouver dans un restaurant libanais avec des femmes qui pleurent, qui hurlent, qui tapent sur les jambes comme au Liban m’a plongé dans une peur incroyable. J’ai insisté pour rentrer chez moi. Les policiers étaient déjà là. Je leur ai indiqué que je n’habitais pas loin. Je les ai suppliés. Ils ont fini par accepter, mais en m’avertissant qu’il s’agissait de ma responsabilité. Tout le quartier était en alerte. J’ai pris mon courage à deux mains, j’ai traversé, je suis rentré chez moi et je suis resté cloué au lit trois jours ».

Ryan et sa famille arrêtent de regarder le match et basculent sur les chaînes d’info. « On passe toute la soirée devant la télévision à suivre, en famille, ce qu’il s’est passé (…) C’était une nuit assez compliquée pour tout le monde », explique-t-il. Il ajoute que ce qui était le plus choquant était de voir les dizaines de personnes fuir la salle de spectacle du Bataclan, prise pour cible par les terroristes. « Lorsqu’on regardait par la fenêtre, il n’y avait aucun mouvement dehors. Mais on voyait les autres immeubles aux alentours avec Franceinfo ou BFMTV sur toutes les télévisions. On était tous vraiment inquiets de ce qu’il pouvait encore se passer. »

« Une atmosphère vraiment très tendue »

Bouchra décrit les scènes et l’atmosphère au lendemain des attentats. « L'armée et la police étaient partout. La plupart des secteurs étaient fermés. C’était tout simplement horrible et traumatisant. J’ai quitté l'hôtel le samedi vers midi. J’ai pris ma valise et je me suis rendue à pied à la gare Saint-Lazare. J’y ai pris le train pour Colombes pour aller passer le week-end chez mon frère avant de retourner au Liban », explique Bouchra. « Un pays en deuil. Silence total dans les rues. Une atmosphère vraiment très tendue », se souvient de son côté Ryan.

Cynthia explique par ailleurs avoir mis des années à se remettre des attentats du 13 novembre 2015. « Je ne pouvais plus être dans le métro avec la foule, dans une salle de cinéma… cela m’a pris beaucoup d’années pour me remettre de cette phobie des lieux publics », indique-t-elle. D’autant qu’elle raconte avoir vécu une fausse alerte attentat quelques jours plus tard dans le quartier Bastille/République. Assise dans un café avec une amie au niveau de la rue Saint-Antoine, elle décrit un mouvement de foule « incroyable (…) qui s’est dirigé vers la terrasse en hurlant ‘il y a un attentat’ ». Elle raconte par ailleurs que cette fausse alerte « était plus violente que l’attentat lui-même ». « Durant l’attentat, j’ai entendu les tirs, j’ai eu peur, mais je n’étais pas touchée directement, même si j’étais à deux doigts de mourir. Là, j’ai reçu toute la violence de la foule, en plus de la peur après les images que nous avions vues quelques jours auparavant », conclut-elle.

 
 
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