Les États faillis et la fin des intermèdes, le Venezuela et le Proche-Orient
©Ici Beyrouth

En récapitulant les diverses péripéties de la crise vénézuélienne, j’ai été frappé par les similitudes avec la situation au Proche-Orient. On y retrouve les mêmes impasses, les mêmes rhétoriques et les mêmes profils d’acteurs dont le rôle semble se limiter à bloquer toute perspective de changement, alors même que les conditions de vie se dégradent à grande vitesse. Dans les deux cas, il s’agit de régimes faillis, dépourvus de toute légitimité, qui se perpétuent par la violence institutionnalisée ou par une lente décomposition.

Il n’est pas fortuit que les deux contextes subissent, d’un côté, les diktats d’une dictature mafieuse empreinte d’un gauchisme aux références éculées, et, de l’autre, ceux d’une mouvance islamiste pilotée par des dictatures alternées. Dans les deux cas, la supercherie idéologique et les politiques de répression sont venues à bout de l’opposition acharnée de la société civile vénézuélienne, des groupes ethno-nationaux et communautaires (Irak, Syrie, Liban) et de la société civile libanaise, par la terreur et la destruction systématique de contre-pouvoirs aux structurations inégales. Les politiques de terreur et de subversion ne sont que des variantes des autoritarismes et de leur narratif totalitaire.

Le Venezuela, l’un des pays les plus riches de l’hémisphère sud-américain, doté d’une classe moyenne structurée et pleinement intégrée aux dynamiques de modernisation, a été brutalement relégué au rang d’État failli, avec une société ravagée par toutes sortes de dislocations. Un état d’ensauvagement s’est installé, nourri par la paupérisation de masse, une terreur omniprésente, la prise de contrôle d’un système mafieux articulé à la production et à la distribution mondiale de drogue, le déclin d’une économie structurée au profit du crime organisé et d’une économie souterraine déployée à l’échelle domestique comme continentale.

La collusion entre les pouvoirs cubain et vénézuélien a fourni la plateforme d’une politique de répression externalisée et d’une expropriation politique, morale et économique d’un pays soumis au diktat d’une dictature idéologique éprouvée. Le régime « bolivarien », sous Hugo Chavez, avait tenté de construire un prétendu contre-système international visant à s’extraire des régulations de l’ordre démocratique et libéral mondial. Tout cela n’était qu’un mensonge destiné à consolider la dictature, où la terreur et le crime organisé définissent la trame du pouvoir et ses finalités.

La mort de Chavez a marqué la fin du récit idéologique, remplacé par une dictature militaro-mafieuse et un régime de terreur indiscriminée. Les soutiens russe et chinois n’ont jamais pu constituer une véritable instance de sanctuarisation : l’économie des narcotrafiquants, l’effondrement de l’industrie pétrolière et la marginalisation structurelle, aggravée par l’échec de la transition vers l’économie informationnelle, ont miné la société civile et provoqué la migration massive de huit millions de Vénézuéliens.

L’effondrement structurel du régime et sa crise de légitimité vont de pair et influencent le cours de la politique internationale et ses répercussions sur le pays. La politique des États-Unis dans l’hémisphère sud-américain repose désormais sur une stratégie de retournement systémique : la chute du régime « bolivarien » et de ses alliés viserait à déjouer les ambitions chinoises et russes, à relancer l’économie énergétique et à en redéfinir les dynamiques, à démanteler l’économie criminelle et à diversifier les investissements. C’est la politique des dominos, qui pourrait entraîner la chute des régimes de la gauche mafieuse à Cuba, au Nicaragua, en Colombie, et mettre fin à ce que j’appelle, suivant Jorge Castañeda, la « dystopie désarmée » (Dystopia desarmada).

Un scénario similaire pourrait se reproduire, mutatis mutandis, au Proche-Orient, où les États-Unis tirent parti de la nouvelle dynamique créée par la contre-offensive israélienne, laquelle a pulvérisé la plateforme opérationnelle du régime iranien dans la région et ouvert la voie à une restructuration géostratégique et géopolitique de grande ampleur. Le régime iranien, après la perte brutale de son emprise régionale, tente de se réinvestir à travers une politique renouvelée de déstabilisation où se succèdent les guerres civiles, afin d’étendre les friches sécuritaires et d’institutionnaliser le chaos.

Le module quaternaire (israélien, syrien, libanais, irakien) pourrait servir d’assise à une nouvelle équation stratégique capable de déjouer la politique de revanche iranienne, d’endiguer les ambitions impériales de l’islamisme turc et de tarir les zones marécageuses de l’islamisme qui s’alimentent des échecs des modernités arabe et islamique. La Syrie — moyennant des mutations spectaculaires qui restent toutefois en suspens —, le Liban, qui demeure sous emprise iranienne à travers la domination du Hezbollah, et l’Irak, encore tributaire d’une satellisation directe par Téhéran, constituent autant de défis pour la politique de stabilisation projetée par les États-Unis. Le regain d’intérêt américain, le déplacement de son centre de gravité et ses mutations cartographiques s’inscrivent dans des inflexions stratégiques majeures plutôt que dans des ajustements accessoires.

La comparaison des deux cas renvoie finalement à une dynamique commune où les bouleversements géostratégiques, les alliances en formation ou en rupture, les mouvements ethno-nationalistes et l’action structurée des sociétés civiles convergent pour susciter les oppositions, agréger les dynamiques de changement et mettre en marche des trajectoires alternatives dans des sociétés où les aliénations accumulées et leurs effets de sédimentation rendaient jusqu’ici les politiques de démocratisation presque impossibles.

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