Gouvernement Starmer : le naufrage a-t-il déjà commencé ?
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Et rebelote ! Le gouvernement travailliste de Sir Keir Starmer procède une nouvelle fois à une hausse fiscale d’ampleur, portant à plus de 26 milliards de livres les augmentations d’impôts annoncées cette année, après les quelque 40 milliards prélevés l’an dernier. Or nous n’en sommes qu’au seizième mois d’un mandat censé durer cinq ans. Déjà considéré comme l’exécutif le plus impopulaire depuis 1945 — à l’exception de l’éphémère et très controversé gouvernement Truss — l’équipe Starmer voit sa cote de popularité s’enfoncer davantage. D’après les derniers sondages, le Premier ministre atteindrait désormais – 51 points, un niveau historiquement bas, seulement surpassé par les – 63 points de Liz Truss. Comme si cela ne suffisait pas, un nouveau scandale secoue Downing Street : la chancelière de l’Échiquier, Rachel Reeves — coutumière de polémiques — est accusée d’avoir induit le public en erreur au sujet d’un prétendu « trou noir » laissé dans les finances publiques. Pour nombre d’observateurs, la chute du gouvernement Starmer n’est plus seulement plausible : elle serait inéluctable, une simple affaire de temps. Dès lors, une question cruciale s’impose : la débâcle annoncée de Keir Starmer est-elle réellement si certaine ?

Pour saisir pleinement les enjeux entourant l’avenir du gouvernement Starmer, il importe d’examiner les ressorts du dernier scandale qui fragilise l’exécutif et sa Chancelière de l’Échiquier, Rachel Reeves. Depuis leur arrivée au pouvoir il y a seize mois, le duo Starmer-Reeves affirme avoir découvert un déficit imprévu de 22 milliards de livres dans les comptes publics, présenté comme l’héritage dissimulé du gouvernement conservateur. Cette version est contestée par les anciens responsables, notamment l’ex-chancelier Jeremy Hunt, ainsi que par l’Office for Budget Responsibility (OBR) — l’organisme public indépendant chargé d’évaluer les finances de l’État et de fournir des prévisions impartiales — qui situe plutôt le déficit autour de 9 milliards, un chiffre communiqué aux travaillistes avant les élections dans le cadre des entretiens de transition.

Mis en porte-à-faux après avoir promis de ne pas augmenter les impôts, les travaillistes ont alors construit leur stratégie politique autour de ce « trou noir » afin de légitimer un relèvement fiscal de près de 40 milliards de livres l’an dernier et de 26 milliards de livres cette année. Or, cette justification s’effrite à mesure que les évaluations indépendantes révèlent une réalité moins alarmante : selon un nouveau rapport de l’OBR, le déficit n’aurait jamais dépassé 2,5 milliards et une révision datée du 31 octobre faisait même apparaître un excédent de 4,2 milliards – des données transmises, sous embargo, au 10 et au 11 Downing Street. Pourtant, ces éléments n’ont pas été rendus publics. Le gouvernement aurait préféré maintenir le récit d’une crise budgétaire imminente afin de projeter une image de rigueur financière : une posture destinée à rassurer les marchés obligataires et à obtenir des conditions d’emprunt plus avantageuses, permettant in fine de dégager des marges budgétaires pour financer les priorités sociales sans provoquer d’inquiétude sur la soutenabilité de la dette. Ces dépenses sociales sous forme de réformes exigées par les députés travaillistes auraient pour but d’assurer la survie politique du gouvernement d’une crise interne au parti.

Ces révélations proviennent d’une faille de sécurité informatique au sein de l’OBR, qui a entraîné la publication accidentelle du budget de Rachel Reeves quarante-cinq minutes avant sa présentation à la Chambre des communes, ainsi que la fuite d’une série de lettres de l’organisme adressées à la Chancelière. Ces correspondances dévoilaient les rapports successifs contredisant le « trou noir » des finances publiques qu’elle invoquait inlassablement devant l’opinion. D’où le reproche, largement repris dans la presse britannique, selon lequel Rachel Reeves aurait « induit le public en erreur ». Alors que le débat s’enflamme autour de la crédibilité et de la probité de la ministre — et, par ricochet, de l’ensemble du gouvernement Starmer - l’exécutif a opportunément déplacé son attention vers le directeur de l’OBR, Richard Hughes, en quête manifeste d’un bouc émissaire.

Sir Keir Starmer, lors d’une conférence de presse improvisée à Downing Street lundi matin, s’est rangé fermement derrière sa chancelière tout en tentant de recentrer la conversation nationale sur la défaillance de l’OBR. Sous la pression croissante de ministres, de députés travaillistes et du 10 Downing Street, Richard Hughes a finalement été contraint de remettre sa démission — à la veille de son audition devant une commission parlementaire indépendante chargée d’évaluer la véracité des déclarations de Mme Reeves, audition lors de laquelle il aurait très probablement été sommé de verser l’intégralité de sa correspondance avec elle. Plusieurs formations politiques, des conservateurs au Parti Reform de Nigel Farage, réclament d’ailleurs qu’il s’exécute malgré son départ. Tout porte à croire que cette manœuvre politique n’a d’autre objectif que de préserver, au moins temporairement, la carrière du tandem Starmer-Reeves, dont la chute paraît de plus en plus inévitable.

Une question demeure néanmoins : sur quoi fonder la certitude que la chute du gouvernement Starmer finira par se produire ? Il suffit, pour s’en convaincre, d’examiner l’état de l’opinion publique. Les sondages placent aujourd’hui le Parti travailliste près de dix points derrière Reform UK, le parti d’extrême droite conduit par Nigel Farage, et à peine deux points devant les conservateurs, alors qu’il bénéficiait encore d’une avance de dix points lors des élections générales de 2024. À cette débâcle électorale potentielle s’ajoutent les tensions internes qui minent le parti, où s’expriment de plus en plus ouvertement des mécontentements et des dissensions. Un noyau de députés aurait même commencé à envisager de rejoindre des groupes rebelles susceptibles, si leur nombre s’étoffe, de déclencher une procédure de défiance interne. Pour ce faire, 20 % des élus travaillistes – soit 81 députés – devraient s’y rallier. Un seuil difficile à atteindre aujourd’hui, mais qui pourrait devenir réaliste au mois de mai prochain, lorsque se tiendront plusieurs scrutins en Écosse, au pays de Galles et diverses élections partielles en Angleterre, où les travaillistes sont donnés largement défaits. D’ailleurs, des noms de remplaçants circulent déjà au sein des cercles travaillistes et dans les médias britanniques : le maire de Manchester Andy Burnham, la ministre d’État à l’Intérieur Shabana Mahmood, la ministre d’État aux Affaires étrangères Yvette Cooper ou encore l’ancienne vice-première ministre Angela Rayner, tandis que le secrétaire d’État à la Santé, Wes Streeting, est considéré comme le favori des bookmakers.

Mais pour revenir à Rachel Reeves, dont le départ apparaît désormais plus imminent que celui du Premier ministre, elle n’a pour l’heure sauvé sa place qu’à titre strictement temporaire. Le scandale qui l’éclabousse laisse planer un doute durable sur sa crédibilité et sur sa capacité à incarner une direction économique stable. Si la fuite des documents a momentanément détourné l’attention de difficultés plus profondes, il est hautement improbable qu’elle suffise à enrayer une dégradation politique désormais bien installée. Qu’elle ait ou non cherché à induire le public en erreur, les événements récents l’ont, de facto, reléguée au rang de ministre dépassée par l’ampleur de sa fonction. On la dit indissociable de Keir Starmer, comme deux alpinistes encordés dont la chute de l’un entraînerait irrémédiablement celle de l’autre ; mais conserver aujourd’hui une chancelière discréditée auprès des marchés, des médias et d’une partie des travaillistes relève d’un pari risqué voué à l’échec. Connu pour sa froideur stratégique, le Premier ministre n’hésiterait sans doute pas à l’écarter si cela pouvait préserver son autorité. Pour l’heure, il choisit de la défendre publiquement, dans l’espoir de reprendre le contrôle du récit politique. Mais le temps joue contre lui : faute d’un rétablissement rapide, il se pourrait bien que toute tentative de redressement ne parvienne plus à inverser une trajectoire déjà largement compromise.

Si Rachel Reeves a pu sauver sa peau temporairement grâce au soutien résolu du Premier ministre Sir Keir Starmer, sa carrière politique apparaît néanmoins d’ores et déjà condamnée, vouée à un départ aussi prévisible qu’inéluctable. Et il est très probable que le Premier ministre lui emboîte le pas, avec le mois de mai comme date charnière pour son gouvernement. Qu’il défende encore son exécutif ou qu’il choisisse de sacrifier sa Chancelière, ces manœuvres semblent à présent ne relever que du « too little, too late » : dans une dynamique politique aussi défavorable, le sursaut tant espéré relève désormais de la pure illusion !

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