Alors que le Liban amorce un tournant historique vers la paix, la visite du pape Léon XIV a remis au centre un mot chargé de promesses et de tensions: «espérance». Entre vertu spirituelle, concept théologique et outil politique parfois instrumentalisé, le terme révèle la profondeur d’un pays qui tente encore de se reconstruire. Que signifie espérer lorsque l’avenir collectif se joue, une fois de plus, au bord de l'abîme?
«Jeunes du Liban, devenez forts comme les cèdres et faites fleurir le monde d’espérance!»
C’est par ces paroles que le pape Léon XIV a clôturé son discours adressé aux 15.000 jeunes Libanais rassemblés autour de lui, le 1ᵉʳ décembre, au siège patriarcal de Bkerké.
«Espérance», un mot chargé de significations et de symboliques, qui invite à interroger à la fois la dimension religieuse de ce terme – enracinée dans la tradition chrétienne – et son usage politique, tantôt mobilisateur, tantôt instrumentalisé.
Dans un pays longtemps balloté par les crises, ce mot prend aujourd’hui une résonance particulière. Que signifie espérer lorsque l’avenir même d’un pays bascule vers un choix assumé de paix?
Entre espoir et espérance
Le mot espérance remonte au XIᵉ siècle. Les premiers textes médiévaux utilisent déjà esperance pour désigner «un sentiment qui porte à attendre avec confiance un bien que l’on désire». Le verbe espérer, issu du latin sperare («considérer comme devant se réaliser»), apparaît autour de 1050, avec un sens qui oscille entre confiance, désir et attente.
À partir du XIIᵉ siècle, l’évolution du français distingue progressivement plusieurs usages: l’espérance comme objet même de l’attente et l’espérance comme concept spirituel, «avoir confiance en Dieu».
Si, pendant un temps, espoir et espérance coexistent, la langue française stabilise leur distinction à partir du XVIᵉ siècle. Espoir devient un terme plus laïc, lié aux circonstances et au probable. Espérance acquiert une dimension plus ample: sentiment confiant, durable, et, dans le domaine religieux, attente ardente des promesses divines.

L’espérance religieuse: une boussole morale pour un Liban qui bascule
Dans la tradition chrétienne, l’espérance n’est pas l’optimisme car elle ne dépend pas de ce qui arrive. Elle dépasse le réel, le transcende. Elle ne se nourrit ni des événements ni des cycles politiques mais relève d’un mouvement intérieur, d’une confiance qui survit aux épreuves. Les théologiens la décrivent comme la vertu qui pousse à croire au bien même quand tout semble perdu.
C’est dans ce cadre que prend tout son sens l’appel du pape Léon XIV à la jeunesse. Il ne leur demande pas seulement d’espérer un Liban meilleur, mais de porter une espérance enracinée dans un projet collectif: celui d’un pays qui choisit la paix plutôt que la confrontation, le dialogue plutôt que la paralysie.
Cette conception de l’espérance rejoint une longue tradition pontificale adressée aux peuples meurtris, de Jean-Paul II en Pologne à François en Irak. Toujours, l’espérance y est présentée comme une force active, presque révolutionnaire: un levier de transformation autant spirituel que politique.
Au Liban, ce message trouve un écho particulier. Car la visite du pape a, de fait, consacré une orientation assumée: celle d’un pays qui cherche à sortir des cycles de violence, à restaurer sa souveraineté et à renouer avec ses voisins.
L’espoir comme outil politique: moteur collectif ou ressource instrumentalisée?
Dans le discours politique libanais, l’«espoir» occupe une place singulière. Il apparaît comme un ressort rhétorique familier, invoqué pour apaiser, mobiliser ou ressouder une société habituée aux crises successives. D’une certaine façon, l’espoir devient ce vocabulaire consensuel qui permet aux responsables de parler à un pays fatigué sans promettre explicitement ce qu’ils ne peuvent garantir.
Mais à force d’être ainsi recyclé, l’espoir s’est aussi usé. Il est devenu un instrument d’anesthésie sociale, un mot-refuge qui masque l’absence d’action. Or, il pourrait être un moteur collectif puissant, capable de fédérer lorsqu’il s’appuie sur des décisions réelles, sur des gestes politiques tangibles. C’est là que réside son potentiel politique profond.
Dans ce paysage, l’«espérance» telle que la formule le pape Léon XIV exige une responsabilité, une orientation, un engagement.
L’espérance, dernière forme de résistance dans un pays en crise
Au Liban, continuer malgré tout est devenu, presque malgré soi, une forme d’espérance incarnée. Ce n’est pas une espérance abstraite: elle se manifeste dans la diaspora qui continue de soutenir les familles, dans les initiatives locales qui pallient l’absence d’État, dans les écoles, les hôpitaux, les associations qui persistent coûte que coûte.
Cette espérance-là n’est pas verticale seulement, elle est horizontale. Elle circule dans les gestes, dans l’entraide, dans les communautés qui refusent de se laisser dissoudre. Elle rejoint ensuite la tradition chrétienne évoquée par le pape: une espérance qui n’est ni naïveté ni fuite, mais résistance. Une manière de tenir debout, ensemble, quand tout vacille.
Dans un pays en crise permanente, où chaque génération a vécu son lot de ruptures et de combats, l’espérance apparaît enfin pour ce qu’elle est: non pas un luxe, mais une nécessité. Une dernière bouée de sauvetage, peut-être, mais une bouée qui, jusqu’ici, n’a jamais cessé de porter.





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