Noël au Liban-Sud: villages orphelins de leur jeunesse
©Ici Beyrouth

Dans les villages du Liban-Sud, Noël s’allume comme une flamme fragile.  Malgré la peur latente et la tension palpable, les clochers sonnent et les veillées s’organisent.  

À Alma Chaab, Yaroun, Deir Mimas, Khiam ou Marjeyoun, guirlandes et crèches percent timidement des ruelles désertées. Jadis bruissantes de rires et de retrouvailles, ces rues portent désormais le poids de l’exode : jeunes partis, familles déplacées. Célébrer Noël devient un acte de foi et de résistance intime.

L’hémorragie des jeunes: un vide qui s’installe

En quête d’emploi et de stabilité et d’un horizon sans sirènes, les jeunes fuient vers Beyrouth ou l’exil. Leur départ creuse non seulement des façades vides, mais un gouffre dans le tissu social et la mémoire collective. «On dit que les jeunes sont l’avenir, mais ici l’avenir a plié bagage», résume Rami, 30 ans, ingénieur agricole désormais installé à Beyrouth.

Dans plusieurs villages frontaliers, près d’un foyer sur deux a perdu un jeune membre.

Le tissu social se délite, les familles s’éparpillent. La crainte d’un nouveau conflit dissuade les retours, même pour les fêtes. La jeunesse n’est plus qu’une présence virtuelle. «Les réveillons se font désormais à distance, par écrans interposés», soupire Souad, mère de deux garçons expatriés. «Noël? Une façon de clamer: on existe encore».

Noël en résistance : des décorations sur les décombres

À Alma Chaab, les habitants suspendent des guirlandes aux murs encore fissurés. À Yaroun, au milieu des décombres, certains décorent l’intérieur de leurs maisons comme un acte de résistance silencieuse. «Noël, c’est la preuve que la lumière peut percer même dans l’obscurité», dit Mariam, enseignante retraitée d’Alma Chaab.

Rola, déplacée à Beyrouth depuis plus d’un an, raconte ce Noël en exil: «Je pensais rentrer juste pour allumer la crèche… puis j’ai vu l’état de notre maison. Ce Noël sera encore un Noël ailleurs».

À Deir Mimas, Randa revient dans son village mais pas dans sa vie d’avant, «Avant, la maison débordait: cousins, voisins, les enfants qui couraient partout. Aujourd’hui, on est cinq autour de la table. Le vide est assourdissant.»

Les jeunes ne sont pas les seuls à manquer. Des familles entières n’ont toujours pas regagné leurs villages: maisons détruites, quartiers instables, zones encore sensibles. Fouad, déplacé depuis 18 mois, témoigne: «On pensait revenir pour les fêtes. Mais la maison n’est pas sûre… et puis, revenir pour quoi ? Les enfants n’ont plus leurs amis ici.»

Abou Elias, de Marjeyoun, résume la situation avec une netteté désarmante: «Les pierres, on peut les réparer. Mais quand les jeunes partent, c’est l’avenir qui s’en va.»

Marjeyoun, entre mémoire sacrée et réalité blessée

À Marjeyoun, les décorations accrochées par la municipalité et par le Club de la Jeunesse semblent flotter dans le vide, accentuant le sentiment d’exode. Mais ici, Noël puise également dans une profondeur spirituelle unique: selon la tradition, le Christ aurait traversé la région lors de son passage de Tyr vers la Galilée. Cette mémoire offre un sens profond à la fête malgré la fragilité du présent.

«Participer aux veillées, c’est renouer avec notre histoire et notre identité. C’est notre ancre dans la tourmente», confie Fahed.

Cette tension entre vulnérabilité contemporaine et héritage spirituel confère à Marjeyoun une aura particulière : une ville bénie, mais meurtrie.

Les églises, dernier rempart de la fête

Malgré les bancs clairsemés, les églises de Liban-Sud se parent cette année encore de leurs habits de fête: sapins modestes, crèches soigneusement installées, guirlandes lumineuses autour des autels. Décorer l’église n’est pas un geste esthétique, mais une déclaration de présence.

«On prépare l’église comme on prépare une maison pour un enfant qui arrive», confie Antoinette, sexagénaire de Marjeyoun. «Même s’ils sont moins nombreux, les fidèles sont là. Et Jésus, on l’accueille comme avant». À Alma Chaab, le prêtre Philippe insiste: «Décorer, c’est dire que la vie continue. Les gens viennent, prient, pleurent parfois, mais ils vivent Noël». À Khiam, les fidèles allument des cierges. «Tant que l’église s’ouvre, le village respire encore», confie une habitante.

Solidarité retrouvée

Dans ce paysage fragilisé, quelques initiatives tentent de recréer le lien. À l’approche de Noël, l’aumônerie de l’Université Saint-Joseph mènera une mission de solidarité dans plusieurs villages du Liban-Sud, en coordination avec d’autres associations locales. L’objectif : offrir un moment de répit aux enfants et aux adultes éprouvées par des mois de guerre et d’instabilité, à travers des activités psychosociales, éducatives et communautaires.

Un Noël sous respiration surveillée

Au Liban-Sud, Noël ne s’est pas éteint: il s’est transformé. Dépouillé de sa foule, amputé de sa jeunesse, maintenu par ceux qui refusent de laisser leurs villages sombrer dans l’oubli. Entre maisons détruites, familles encore déplacées et exil durable des jeunes, les fêtes se vivent dans une gravité nouvelle. Les églises décorées, les messes célébrées et les lumières allumées ne relèvent plus de l’habitude, mais d’un choix: rester, témoigner, transmettre. «On allume la bougie pour dire que nous sommes encore là. Pas nombreux, mais debout», souffle Abou Georges. Reste une question suspendue, lourde comme le silence des ruelles: combien de temps une terre peut-elle tenir sans sa jeunesse ?

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