Grippe au Liban : ce qui circule, qui risque le plus, quoi faire
Grippe au Liban : la saison démarre, la prévention aussi ©Photo DR

Après avoir longtemps joué les capricieux, l’hiver semble enfin avoir pris ses quartiers — en tout cas, le froid. Et il n’en fallait pas plus pour relancer la “prévention maison” : vitamine C au réveil, zinc au coucher, double masque au moindre éternuement… et, souvent, un diagnostic expédié en un mot. Vêtu de prudence (et d’un brin de scepticisme), Ici Beyrouth a mené l’enquête : que circule-t-il vraiment, qui doit s’inquiéter, et surtout, comment distinguer la vraie grippe des maux de saison ?

Entre toux, fièvre, mal de gorge et nez qui coule, le mot “grippe” revient partout, souvent à tort. « Au Liban, on fait allègrement l’amalgame entre la vraie influenza et n’importe quel syndrome respiratoire : bronchiolite, rhinite, allergie, rhume… Au point qu’on a inventé un verbe en arabe, garrabet, pour dire “j’ai la grippe” alors qu’il s’agit parfois juste d’un coup de froid », sourit Jacques Choucair, professeur à l’HDF et spécialiste des maladies infectieuses. Derrière la boutade, un enjeu sérieux : la vraie grippe, elle, peut envoyer les plus fragiles à l’hôpital, et la prévention reste le meilleur traitement. Au Liban, la surveillance officielle s’appuie sur des réseaux sentinelles : des hôpitaux pour les infections respiratoires aiguës sévères (SARI) et des centres médicaux pour les syndromes grippaux (ILI), avec des prélèvements analysés au Centre national de la grippe, à l’hôpital gouvernemental Rafic Hariri. Sur les quatre dernières semaines du bulletin respiratoire du ministère de la Santé, 61 patients hospitalisés ont été inclus dans la surveillance SARI : 2 se sont révélés positifs à la grippe (3,3%). En ambulatoire, 97 patients vus pour un syndrome “grippal” ont été testés : 4 étaient positifs à la grippe (4,1%). Ces chiffres ne mesurent pas “toute la grippe au Liban”, mais ils donnent un baromètre : le virus circule, même si une partie des infections ne sont ni testées ni déclarées. Sur le terrain, Jacques Choucair dit voir “assez” de malades : « Oui, ils sont assez nombreux, mais comme ce n’est pas centralisé, je ne peux pas vous donner des chiffres. » Et le Liban n’est pas isolé : à l’échelle régionale, l’OMS indique que la saison grippale 2025-2026 est “déjà en cours” dans la Région de la Méditerranée orientale, avec une hausse de la positivité au fil des semaines. 

Grippe ou rhume : le piège des mots

La confusion est presque structurelle. « La grippe, la vraie, démarre souvent brutalement : forte fièvre, courbatures, fatigue “coup de massue”, toux sèche. Un simple rhume, lui, est plus progressif et plus “ORL” », résume Jacques Choucair. À cela s’ajoute un troisième acteur, désormais banal : le Covid, qui peut mimer l’un ou l’autre. Dans les virus en circulation, il cite la grippe A — notamment H3N2 (ou un sous-type proche, selon les prélèvements), H1N1 — et “toujours ce bon vieux Covid”, qui continue de brouiller les pistes. À la question qui revient dans tous les cabinets — “cette année, le virus est-il plus virulent ?” — il tempère : « Non. Il est différent, mais la saison vient de commencer : c’est encore tôt pour se prononcer sur son impact réel. » Moralité : quand on est fragile, ou quand les symptômes s’aggravent, l’autodiagnostic est rarement une bonne idée. 

Qui doit se sentir concerné en priorité ?

Le message de santé publique est clair : tout le monde peut attraper la grippe, mais tout le monde ne la “paie” pas au même prix. Les personnes âgées, les enfants, les femmes enceintes, les personnes vivant avec des maladies chroniques (cardiaques, pulmonaires, diabète…), ainsi que les soignants figurent parmi les groupes les plus à risque de complications. À l’échelle de plusieurs saisons, des travaux scientifiques ont aussi tenté d’estimer le poids de la grippe au Liban en hospitalisations, rappelant que l’influenza n’est pas une “petite fièvre” quand elle touche des populations fragiles. 

Vaccin : l’outil le plus simple pour éviter le pire

« On ne vaccine pas pour éviter trois jours de nez bouché. On vaccine pour éviter la pneumonie, la décompensation d’une maladie chronique, et l’hospitalisation », insiste Jacques Choucair. Au Liban, la vaccination est disponible via le secteur privé, et elle est aussi portée, côté public, par des campagnes ciblant les plus vulnérables : lors de la saison 2024-2025, le dispositif a notamment été alimenté par 10 000 doses fournies via un programme de soutien, complétées par un achat public additionnel de 27 000 doses. Le bon timing ? Idéalement avant le pic, mais « même si l’hiver a commencé, se vacciner reste utile : la protection met environ une semaine à s’installer et la saison s’étale », rappelle-t-il. Et si “la souche n’est pas exactement la même” que celle qui circule ? C’est précisément l’un des points clés à expliquer au public : même quand il existe des différences génétiques (“drift”) entre les virus en circulation et ceux inclus dans le vaccin, la vaccination peut encore protéger contre les formes graves et réduire le risque d’hospitalisation. L’OMS le rappelle dans son point de situation sur la grippe saisonnière. 

Prévention au quotidien : des gestes simples, qui marchent

Dans un pays où les virus respiratoires circulent vite dans les écoles, les bureaux et les transports, la prévention ne se résume pas au vaccin. Les gestes barrières restent la “petite mécanique” la plus rentable : lavage des mains, aération, éviter de toucher le visage, couvrir toux et éternuements, limiter les contacts quand on est fébrile et, si l’on tousse en lieu clos bondé, porter un masque pour protéger les autres. Et pour les familles qui vivent avec une personne âgée ou immunodéprimée, Choucair le dit simplement : « Le meilleur cadeau, c’est de ne pas ramener le virus à la maison. » 

Vitamine C, zinc, vitamine D : l’illusion du raccourci

À chaque vague, la même tentation refait surface : “booster l’immunité” à coups de vitamine C, vitamine D ou zinc. Jacques Choucair est clair : « Aucun n’a vraiment une efficacité prouvée par une étude solide, telle qu’on puisse le recommander comme prévention de la grippe. Pour la vitamine D et le Covid, il existe des travaux, mais ça reste discuté et pas assez décisif pour en faire une réponse unique. » Autrement dit : si supplémentation il y a, elle ne remplace ni vaccin, ni gestes barrières. 

L’automédication… et l’antibiotique “réflexe” C’est l’autre confusion, plus dangereuse encore : confondre virus et bactéries. « Beaucoup de patients “traitent” une grippe présumée avec un antibiotique, parfois dès le premier jour. C’est inutile contre un virus, et cela favorise la résistance bactérienne », alerte Choucair, pointant aussi une facilité d’accès en officine qui entretient le mauvais réflexe, entre conseils au comptoir, prescriptions “rapides” et automédication. 

Quand faut-il consulter sans attendre ?

La plupart des grippes guérissent avec repos, hydratation et traitement symptomatique. Mais certains signaux doivent faire accélérer : essoufflement, douleur thoracique, confusion, déshydratation, aggravation d’une maladie chronique, fièvre qui persiste ou revient, ou tout tableau inquiétant chez un nourrisson, une femme enceinte, une personne âgée ou immunodéprimée. Au Liban, la “garrabet” est devenue un mot-valise. La santé publique, elle, essaie de remettre les mots à leur place : oui, les virus respiratoires circulent ; non, ce n’est pas toujours “la grippe” ; mais quand c’est la vraie, mieux vaut l’avoir prise de vitesse — par le vaccin, les gestes simples et une prise en charge raisonnable.

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