Une loi qui menace vos dépôts avant la fin de l’année Le gouvernement Salam prépare un projet de loi qui pourrait légaliser le pillage des dépôts et exonérer l’État de ses responsabilités. L’article suivant, initialement publié par Lebanon Debate, est reproduit ici intégralement pour présenter leur analyse du projet sur le déficit financier et son impact potentiel sur les déposants et le secteur bancaire libanais.
Une fois de plus, le gouvernement de Nawaf Salam s’apprête à faire adopter, avant la fin de l’année, le projet Gap Law, sous pression extérieure et sans assumer sa responsabilité en l’inscrivant dans un véritable plan de redressement économique global. Un tel plan restituerait les droits des déposants et relancerait l’économie, plutôt que de présenter ce texte comme une simple loi technique destinée à traiter une crise bancaire.
L’approche adoptée par Nawaf Salam, son gouvernement et le ministre des Finances révèle une tentative politico-financière extrêmement dangereuse de redistribution des pertes, visant à exonérer l’État tout en faisant porter le chapeau aux banques et aux déposants, sous des intitulés généraux dont la plupart ne font pas le poids après lecture attentive du texte législatif.
Alors que le ministre des Finances, Yassine Jaber, promeut un discours selon lequel l’État contribuerait à des montants importants, que le projet garantirait le remboursement de 85 % des dépôts et l’échelonnement des 15 % restants, le texte du projet de loi révèle une réalité toute autre: aucune obligation financière claire de l’État, aucun chiffre précis, et aucun article engageant directement le Trésor public ou la Banque du Liban dans la restitution des dépôts.
Il est essentiel de rappeler que ce que traverse le Liban aujourd’hui n’est ni une crise bancaire circonscrite, ni la conséquence de la faillite d’une banque ou d’un groupe de banques en particulier. Il s’agit d’une crise financière systémique à part entière, résultant de politiques accumulées, d’une mauvaise gestion de la Banque du Liban, et d’un effondrement généralisé de la gouvernance et de la transparence.
Au cœur de cette crise se trouvent des facteurs structurels profonds dont, principalement, l’instabilité politique chronique depuis des décennies, les déficits persistants des finances publiques, l’accumulation d’une dette publique non soutenable, le maintien prolongé d’un régime de taux de change fixe, l’échec des gouvernements successifs à traiter les déséquilibres structurels fondamentaux, jusqu’au défaut sur les eurobonds.
Dès lors, une question fondamentale se pose : comment un État, qui a joué un rôle central dans la création de cet effondrement, peut-il aujourd’hui se présenter comme neutre, alors que banques et déposants sont sommés d’en assumer seuls le coût ?
L’article 9 du projet de loi constitue une illustration flagrante de cette logique. Rédigé de manière volontairement floue, il ne précise aucune contribution de l’État au remboursement des dépôts, et ne traite pas clairement de la recapitalisation de la Banque du Liban, alors même que l’article 113 du Code de la monnaie et du crédit oblige explicitement l’État à couvrir les pertes de la banque centrale. Ce flou soulève de sérieuses interrogations quant à une volonté délibérée d’imposer de nouveaux faits accomplis par voie législative.
Concernant les dépôts, le projet révèle une approche choquante qui conduira à des pertes massives pour les déposants. Il prévoit la radiation d’environ 35 milliards de dollars de leurs fonds, incluant les intérêts et les dépôts convertis de la livre libanaise au dollar au taux de 1 500 LBP, classés comme « transactions irrégulières». Le remboursement serait limité à 100 000 dollars par déposant, calculé sur l’ensemble de ses dépôts dans tout le secteur bancaire et non par établissement, étalé sur quatre ans. Le solde sera ensuite transformé en obligations émises par la Banque du Liban, arrivant à échéance dans 10, 15 ou 20 ans.
À la lumière de ces éléments, une question se pose: où sont les 85 % censés être restitués ? Et sur quelle base financière ou juridique peut-on qualifier ce mécanisme de «protection des déposants», alors qu’il repose en réalité sur des annulations, des remboursements forcés échelonnés et un gel de long terme sans garanties effectives?
Plus grave encore, le projet fait assumer l’intégralité des pertes aux banques, ce qui signifie concrètement leur faillite, l’anéantissement de leurs fonds propres et, par conséquent, leur incapacité à restituer les dépôts. Elles se retrouveraient réduites à des squelettes financiers, ne disposant plus que de leurs maigres liquidités et de leurs avoirs gelés auprès de la Banque du Liban. Pendant ce temps, l’État se cantonne au rôle de spectateur, et la Banque du Liban se contente d’émettre des obligations à très long terme, comme si la crise n’avait jamais été le produit de choix publics et de décisions souveraines.
Partant, le projet de loi sur l’écart financier ne traite pas la crise: il la reproduit sous une forme législative, ouvrant une nouvelle phase de confrontation avec les déposants, fondée sur le principe de faire supporter au maillon faible le coût de l’effondrement, tout en exonérant l’État de toute responsabilité financière ou juridique.
Dès lors, le report de l’adoption de ce projet devient une nécessité urgente, afin de permettre des négociations transparentes et constructives entre toutes les parties, plaçant la restitution des dépôts au cœur des priorités, et contraignant l’État et la Banque du Liban à assumer une part essentielle des pertes; et ce, dans le cadre d’un plan de redressement global qui restaure la confiance et évite la destruction de ce qui subsiste du secteur bancaire.
Dans sa forme actuelle, l’issue est inévitable: un État défaillant qui n’aura payé aucun coût effectif, une banque centrale conservant des actifs estimés à près de 60 milliards de dollars, dont l’or, un secteur bancaire en faillite, et, avec lui, la disparition des dépôts des Libanais, refermant ainsi toute perspective de véritable reprise économique.



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