Blocages politiques et alternatives
©Ici Beyrouth

Les interdépendances géopolitiques majeures s’accumulent au fil du temps et semblent désormais caractériser le paysage international. Du Venezuela au Moyen-Orient, les fils d’Ariane tissent les différents théâtres autour de schémas stratégiques similaires. Les dictatures de gauche et islamistes, résolument engagées dans la construction de contre-ordres internationaux et dans le ralliement aux axes néototalitaires russo-chinois, peinent aujourd’hui à survivre sur leurs propres terrains, alors même que leur jeu de puissance à l’échelle internationale est en train de se déliter.

Le couvert international Chávez–Ahmadinejad a dépéri, et les arrière-cours stratégiques de la Russie et de la Chine sur le sous-continent latino-américain s’érodent avec le déclin fatal du Venezuela, pivot du pouvoir cubain, des États vassaux (Cuba, Nicaragua…) ainsi que de la chaîne de narco-États et de ramifications terroristes (le Hezbollah et les cartels de la drogue). En parallèle, la destruction des « plateformes opérationnelles intégrées » de l’Iran à travers le Moyen-Orient élargi, le remaniement des piliers stratégiques et le redécoupage des coordonnées constituent désormais les nouvelles données avec lesquelles les acteurs géopolitiques doivent composer. Ces mutations des paysages stratégiques s’accompagnent de l’essor d’agendas politiques libéraux, démocratiques et réformistes à travers l’hémisphère latino-américain et au sein du monde arabe. Ces évolutions se font écho et s’inscrivent dans des logiques géopolitiques et intellectuelles similaires.

La crise vénézuélienne arrive à un point culminant, entre le renforcement de l’opposition intérieure et le soutien ouvert des États-Unis à un changement de régime. L’attribution du prix Nobel à María Corina Machado met en lumière la force d’un humanisme politique exigeant qui l’a guidée de bout en bout face à une dictature meurtrière ayant étouffé toute velléité de changement politique. Le profil politique émergent incarné par M. C. Machado marque une rupture nette avec la rhétorique gauchiste discréditée, le caudillisme, les replis oligarchiques du pouvoir et les scénarios politiques hérités de la guerre froide.

La vague de libéralisation, de gouvernance constitutionnelle et de posture éthique en politique constitue la marque d’une nouvelle ère politique. Les propensions totalitaires et la criminalité organisée, qui ont longtemps circonscrit l’horizon politique de la gauche latino-américaine et sa cartographie géopolitique, sont désormais largement disqualifiées. La convergence entre les réformistes internes et la révolution conservatrice aux États-Unis accélère les dynamiques de changement. L’illusion des BRICS et de leurs projections géopolitiques a tourné court, et les transformations en cours dessinent un visage nouveau, dépassant les représentations binaires et leurs mystifications. Aussi difficile et périlleuse que soit la transition, il est peu probable qu’elle soit réversible.

La perspective moyen-orientale est plus complexe, car les géopolitiques et leurs tectoniques mouvantes y sont en pleine effervescence. L’implosion du système interarabe n’a pas encore atteint son terme ; la recomposition de l’échiquier géostratégique par Israël après le 7 octobre 2023 et ses répercussions globales, ainsi que la résurgence des dynamiques politiques internes nourries par des griefs ethnopolitiques, redessinent en profondeur le champ géopolitique et les catégories de la culture politique.

Les acteurs régionaux — Israël, la Turquie, l’Iran et l’Arabie saoudite — sont engagés dans une compétition ouverte autour de la nouvelle configuration de l’ordre régional. L’Iran est marginalisé, les puissances sunnites exploitent leurs atouts religieux et géopolitiques, et Israël instrumentalise son élan stratégique pour contrer les impérialismes islamiques de relais, tout en mettant en avant les revendications ethnopolitiques et en impulsant des trajectoires de contrepoids.

Le maelström irakien est loin de se stabiliser tant que la confédération n’aura pas trouvé d’équilibres consensuels définitifs et que les rivalités de puissance islamique continueront d’opérer. La Syrie a encore un long chemin à parcourir avant de se soustraire à l’attraction et à l’influence des puissances voisines et de l’aimant de l’impérialisme islamique. Le processus de stabilisation devra être négocié avec prudence avant de faire émerger des solutions opérationnelles et des consensus durables.

Le Liban demeure otage des jeux de puissance iraniens et de leurs relais internes. On peut se demander si l’État libanais a une chance de se consolider et d’imposer sa gravité en l’absence d’une culture politique et civique commune. Ce qui est aujourd’hui en question au Liban, c’est sa légitimité nationale, sa démocratie libérale et ses fondements anthropologiques. Les politiques abrasives de domination de la militance chiite compromettent gravement la cohésion interne comme les relations extérieures. L’affaiblissement délibéré de la constitutionnalité de la vie politique ouvre la voie à une domination confessionnelle ouvertement revendiquée par le Hezbollah, ses avatars et ses alliés.

Le paysage palestinien continue de débattre du droit à l’existence d’Israël après cent ans de coexistence conflictuelle, cinq propositions avortées de création d’un État, des décennies de violence nihiliste et les bouleversements stratégiques récents induits par la contre-offensive israélienne. La polarisation renouvelée ne semble pas s’atténuer, ni au sein des deux sociétés ni entre elles, et les perspectives d’un État palestinien sont reléguées à un avenir indéterminé. Pendant ce temps, les espoirs de démocratisation, de libéralisation politique et de réformes socio-économiques s’estompent à l’horizon politique, sacrifiés au profit de conflits ouverts et sans échéance.

Nous sommes indéniablement entrés dans une nouvelle ère qui exige, de toutes parts, une rétrospection critique du champ politique — aussi difficile soit-elle dans des sociétés où les notions fondamentales de démocratie libérale et d’État constitutionnel sont absentes ou contestées. Les dynamiques du changement politique sont portées par des transformations sociales et des basculements stratégiques qui refaçonnent en profondeur les paysages géopolitiques respectifs. La question en suspens demeure : quand ces transformations effectives rejoindront-elles les mutations intellectuelles et épistémiques pour créer les conditions d’une nouvelle prise de conscience ?

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