Transformer une simple cellule de peau en ovocyte humain relève encore de la science expérimentale. Pourtant, cette prouesse vient d’être réalisée pour la première fois chez l’humain. Une avancée fascinante, porteuse d’espoir pour l’infertilité, mais aussi de profondes questions scientifiques et éthiques.
L’infertilité féminine liée à l’absence d’ovocytes fonctionnels touche un nombre important de femmes dans le monde. Insuffisance ovarienne prématurée, traitements anticancéreux, anomalies génétiques ou troubles hormonaux sévères peuvent priver durablement les ovaires de leur capacité à produire des ovocytes. Jusqu’à présent, lorsque cette infertilité est dite «absolue», la médecine reproductive ne proposait qu’une seule alternative: le don d’ovocytes, efficace sur le plan biologique mais impliquant l’absence de lien génétique entre la mère et l’enfant.
C’est précisément ce verrou que des chercheurs tentent aujourd’hui de faire sauter. En octobre 2025, une équipe américaine a publié des résultats qui ont suscité une vive attention: pour la première fois, des ovocytes humains ont été obtenus à partir de cellules de peau. Il ne s’agit pas d’ovules utilisables en clinique, ni encore moins capables de donner naissance à un enfant, mais de cellules sexuelles artificielles ayant franchi plusieurs étapes clés du processus reproductif humain.
Le choix des cellules cutanées n’est pas anodin. Faciles à prélever, peu invasives, elles contiennent l’intégralité du patrimoine génétique de l’individu. L’enjeu scientifique est alors de les détourner de leur destin initial pour les engager dans une voie radicalement différente: celle de la gamétogenèse. Pour y parvenir, les chercheurs ont recours à une technique connue depuis le clonage de la brebis Dolly : le transfert nucléaire. Le noyau d’une cellule de peau est extrait puis injecté dans un ovocyte donneur dont le noyau a été retiré. L’ovocyte sert ainsi de matrice biologique, capable de relancer un programme de développement.
Mais un obstacle majeur subsiste : une cellule somatique humaine contient 46 chromosomes, tandis qu’un ovocyte fonctionnel doit en posséder 23. La reproduction sexuée repose en effet sur cette réduction chromosomique, obtenue naturellement lors de la méiose. Pour contourner cette difficulté, les chercheurs ont utilisé une approche expérimentale récente, appelée «mitoméiose», qui force artificiellement la cellule reconstruite à éliminer la moitié de ses chromosomes. Sur le plan conceptuel, l’idée est séduisante. Sur le plan biologique, elle reste extrêmement fragile.
Les résultats obtenus le montrent sans ambiguïté. Sur plusieurs dizaines d’ovocytes artificiels produits, seuls quelques-uns ont pu être fécondés en laboratoire. Une fraction infime a atteint le stade embryonnaire de quelques jours. Mais tous présentaient des anomalies chromosomiques importantes: chromosomes en trop, manquants ou mal répartis. Ces défauts empêchent toute poursuite normale du développement embryonnaire et rendent, à ce stade, toute application clinique impossible.
La cause principale de ces anomalies réside dans l’absence de recombinaison génétique, un mécanisme fondamental de la méiose naturelle. Lors de la reproduction humaine, les chromosomes d’origine maternelle et paternelle échangent des fragments d’ADN, assurant à la fois diversité génétique et stabilité du génome. Privée de cette étape, la cellule artificielle perd un garde-fou essentiel. Le vivant tolère mal l’approximation.
Faut-il pour autant minimiser cette avancée ? Certainement pas. Sur le plan scientifique, elle constitue une preuve de principe majeure: une cellule humaine différenciée peut être reprogrammée jusqu’à un état proche du gamète féminin. À terme, si les obstacles techniques sont levés, cette approche pourrait transformer la prise en charge de certaines infertilités aujourd’hui sans solution. Elle ouvre également de nouvelles perspectives pour l’étude des toutes premières étapes du développement humain, encore largement méconnues.
Mais cette avancée se heurte immédiatement à des questions éthiques majeures. Qui contrôle l’usage des cellules somatiques? Le consentement donné pour un prélèvement biologique suffit-il à autoriser la création de gamètes? Quels seraient les droits des enfants issus, un jour, de telles techniques? À cela s’ajoutent les interrogations liées à la sécurité: les risques génétiques et épigénétiques restent mal connus, notamment en ce qui concerne l’empreinte parentale, un mécanisme crucial pour le développement normal.
En France, le cadre légal est clair: la création d’embryons à des fins de recherche est interdite, et toute évolution dans ce domaine nécessiterait un débat démocratique approfondi. Plus largement, ces travaux interrogent la frontière entre réparation du vivant et transformation de la reproduction humaine.
Créer des ovules humains à partir de la peau n’est ni une solution miracle ni une dérive imminente. C’est une avancée scientifique encore fragile, prometteuse mais lourde de responsabilités. Comme souvent en biologie, la technique progresse plus vite que la réflexion collective. La question centrale n’est donc pas seulement de savoir si l’on pourra un jour le faire, mais à quelles conditions la société choisira de l’autoriser.
Sources
Nature Communications, 2025
The Conversation, Jean-François Bodart, octobre 2025
Nuffield Council on Bioethics, In Vitro Gametogenesis Report

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