Entre les invectives des uns et des autres, les communiqués et les contre-communiqués, essayons de scruter encore une fois les déclencheurs de la crise et les responsabilités à ce niveau. Dans les allégations en circulation, les mêmes quatre acteurs très souvent mis en examen sont: l’État, la Banque du Liban, les banques et les déposants. Il est temps maintenant d’en discuter avec du recul, pour une fois sans passion.
D’abord les déposants. Zéro responsabilité. Ceux qui prétendent que les gros déposants sont des investisseurs avertis, qui sont supposés donc percevoir le risque inhérent à leurs placements, ne sont pas très sincères. Car un dépôt bancaire est réputé être presque à zéro risque. C’est ce presque qui a échappé à beaucoup. Mais ce n’est pas leur faute quand même s’ils ont choisi de garder leur argent dans leur pays!
Ensuite l’État. Responsabilité totale. On est ici face à un pillage et une dilapidation systématiques, sur une longue période. Mais, au sein de ce processus bien huilé, les responsabilités ne sont pas les mêmes. Un ministre de la Culture est moins responsable qu’un ministre des Finances pendant 10 ans (Ali Hassan Khalil) ou que des ministres de l’Énergie depuis 13 ans (Gebran Bassil et ses successeurs).
Puis la BDL. Là ça devient plus compliqué. La Banque du Liban est accusée de plusieurs agissements passés, qu’on va passer en revue, avec à chaque fois les opinions contradictoires:
- Première polémique: «la BDL n’aurait pas dû prêter à l’État». Le gouverneur rétorque que ce sont des lois votées au Parlement, qui l’obligeaient à le faire. Des détracteurs soutiennent qu’il pouvait trouver un moyen d’y échapper. Les avis juridiques ne sont pas unanimes sur ce point. Mais il faut quand même se souvenir des contextes. Par exemple, il arrivait souvent que le gouvernement mette la BDL au pied du mur: «Si vous ne nous avancez pas du cash, les fonctionnaires n’auront pas leur salaire à la fin du mois», ou encore «le pays n’aura plus d’électricité».
- «La BDL aurait dû arrêter de soutenir la livre libanaise lorsque la pression s’est aggravée, ce qui aurait économisé des milliards». C’est plausible. Mais il faut savoir aussi que le taux de change fixe faisait partie de la politique déclarée de tous les gouvernements. Et aucun responsable politique n’a voulu prendre le risque de voir son nom collé à un effondrement de la monnaie locale.
- «La BDL a bâti une pyramide intenable de Ponzi». Une telle pyramide voulant dire qu’on attire toujours plus d’argent pour payer les anciens créanciers. En réalité, c’est plutôt l’État qui a construit cette pyramide, avec sa dette colossale, ses déficits sans limites et son Hezbollah qui provoquait des crises répétées, occasionnant à chaque fois des pertes en milliards au pays. Et l’État a entraîné la BDL dans son sillage.
- Enfin, il faut rappeler deux réalités souvent omises. D’abord, les décisions à la BDL sont prises par le Conseil central, qui regroupe le gouverneur, les vice-gouverneurs, les directeurs généraux des ministères des Finances et de l’Économie, et le commissaire du gouvernement auprès de la BDL. Ensuite, il serait naïf de croire que la Banque du Liban est hors d’atteinte des pressions politiques, comme si elle vivait sur un îlot, dans un pays où les présidents, les gouvernements et les parlements se soumettaient souvent aux desiderata des Syriens, du Hezbollah, ou du tout puissant Nabih Berry.
Enfin les banques. Des quantités de remontrances s’entrechoquent ici, mais qu’on va démêler.
- «Les banques ont négligé le secteur privé, préférant les placements publics». Faux: leurs prêts accordés à ce secteur ont atteint 108% du PIB, un taux élevé selon les comparaisons internationales.
- «Les banques auraient dû limiter au maximum leur exposition au risque de l’État, en omettant de souscrire à la dette publique ou de placer leurs liquidités à la BDL». Plutôt vrai pour la première partie, mais discutable pour la seconde. Car la BDL attirait explicitement ou implicitement les dépôts bancaires, au-delà des 15% des réserves obligatoires (voir l’article de Makram Sader en lien ci-dessous).
- «Les banques auraient dû demander des garanties à l’État comme elles le font pour chaque emprunteur». C’est idiot. Aucune banque dans aucun pays n'agit de la sorte. Un État est réputé solvable.
- «Les banques auraient dû diversifier beaucoup plus leurs placements». Vrai, mais dans ce cas, il fallait modifier les lois et les réglementations. Là, il faut rappeler que les banques n’avaient pas le droit de participer à un quelconque investissement (industriel, touristique…), ou investir dans des instruments financiers étrangers. Et comme leur financement de l’économie privée était presque saturé, leur unique issue pour placer l’excédent de dépôts était le secteur public (BDL, dette publique).
- «Il fallait qu’elles gardent une plus grande partie de leurs dépôts à l’étranger (dans leurs banques correspondantes) pour plus de sûreté». En réalité, des experts et anciens banquiers défendaient cette option, qui tient la route. Mais le problème ici est que la banque qui choisirait cette option devrait baisser forcément les intérêts versés à ses déposants, ce qui la mettait dans une position intenable vis-à-vis de ses concurrentes et ferait fuir ses déposants vers d’autres banques. Et le problème restera le même.
De cet étalage de confiseries, il y a au moins une conclusion qui ressort, quelles que soient les opinions par ailleurs. C’est que les pseudo-plans de redressement de l'État veulent immanquablement que les déposants supportent la plus grande partie des pertes, et l’État la plus petite. Tout à fait à l’inverse de l’échelle des responsabilités. Étonnant? Pas vraiment. Si ces dirigeants avaient une pensée cohérente, ou même une pensée tout court, ça se saurait.
D’abord les déposants. Zéro responsabilité. Ceux qui prétendent que les gros déposants sont des investisseurs avertis, qui sont supposés donc percevoir le risque inhérent à leurs placements, ne sont pas très sincères. Car un dépôt bancaire est réputé être presque à zéro risque. C’est ce presque qui a échappé à beaucoup. Mais ce n’est pas leur faute quand même s’ils ont choisi de garder leur argent dans leur pays!
Ensuite l’État. Responsabilité totale. On est ici face à un pillage et une dilapidation systématiques, sur une longue période. Mais, au sein de ce processus bien huilé, les responsabilités ne sont pas les mêmes. Un ministre de la Culture est moins responsable qu’un ministre des Finances pendant 10 ans (Ali Hassan Khalil) ou que des ministres de l’Énergie depuis 13 ans (Gebran Bassil et ses successeurs).
Puis la BDL. Là ça devient plus compliqué. La Banque du Liban est accusée de plusieurs agissements passés, qu’on va passer en revue, avec à chaque fois les opinions contradictoires:
- Première polémique: «la BDL n’aurait pas dû prêter à l’État». Le gouverneur rétorque que ce sont des lois votées au Parlement, qui l’obligeaient à le faire. Des détracteurs soutiennent qu’il pouvait trouver un moyen d’y échapper. Les avis juridiques ne sont pas unanimes sur ce point. Mais il faut quand même se souvenir des contextes. Par exemple, il arrivait souvent que le gouvernement mette la BDL au pied du mur: «Si vous ne nous avancez pas du cash, les fonctionnaires n’auront pas leur salaire à la fin du mois», ou encore «le pays n’aura plus d’électricité».
- «La BDL aurait dû arrêter de soutenir la livre libanaise lorsque la pression s’est aggravée, ce qui aurait économisé des milliards». C’est plausible. Mais il faut savoir aussi que le taux de change fixe faisait partie de la politique déclarée de tous les gouvernements. Et aucun responsable politique n’a voulu prendre le risque de voir son nom collé à un effondrement de la monnaie locale.
- «La BDL a bâti une pyramide intenable de Ponzi». Une telle pyramide voulant dire qu’on attire toujours plus d’argent pour payer les anciens créanciers. En réalité, c’est plutôt l’État qui a construit cette pyramide, avec sa dette colossale, ses déficits sans limites et son Hezbollah qui provoquait des crises répétées, occasionnant à chaque fois des pertes en milliards au pays. Et l’État a entraîné la BDL dans son sillage.
- Enfin, il faut rappeler deux réalités souvent omises. D’abord, les décisions à la BDL sont prises par le Conseil central, qui regroupe le gouverneur, les vice-gouverneurs, les directeurs généraux des ministères des Finances et de l’Économie, et le commissaire du gouvernement auprès de la BDL. Ensuite, il serait naïf de croire que la Banque du Liban est hors d’atteinte des pressions politiques, comme si elle vivait sur un îlot, dans un pays où les présidents, les gouvernements et les parlements se soumettaient souvent aux desiderata des Syriens, du Hezbollah, ou du tout puissant Nabih Berry.
Enfin les banques. Des quantités de remontrances s’entrechoquent ici, mais qu’on va démêler.
- «Les banques ont négligé le secteur privé, préférant les placements publics». Faux: leurs prêts accordés à ce secteur ont atteint 108% du PIB, un taux élevé selon les comparaisons internationales.
- «Les banques auraient dû limiter au maximum leur exposition au risque de l’État, en omettant de souscrire à la dette publique ou de placer leurs liquidités à la BDL». Plutôt vrai pour la première partie, mais discutable pour la seconde. Car la BDL attirait explicitement ou implicitement les dépôts bancaires, au-delà des 15% des réserves obligatoires (voir l’article de Makram Sader en lien ci-dessous).
- «Les banques auraient dû demander des garanties à l’État comme elles le font pour chaque emprunteur». C’est idiot. Aucune banque dans aucun pays n'agit de la sorte. Un État est réputé solvable.
- «Les banques auraient dû diversifier beaucoup plus leurs placements». Vrai, mais dans ce cas, il fallait modifier les lois et les réglementations. Là, il faut rappeler que les banques n’avaient pas le droit de participer à un quelconque investissement (industriel, touristique…), ou investir dans des instruments financiers étrangers. Et comme leur financement de l’économie privée était presque saturé, leur unique issue pour placer l’excédent de dépôts était le secteur public (BDL, dette publique).
- «Il fallait qu’elles gardent une plus grande partie de leurs dépôts à l’étranger (dans leurs banques correspondantes) pour plus de sûreté». En réalité, des experts et anciens banquiers défendaient cette option, qui tient la route. Mais le problème ici est que la banque qui choisirait cette option devrait baisser forcément les intérêts versés à ses déposants, ce qui la mettait dans une position intenable vis-à-vis de ses concurrentes et ferait fuir ses déposants vers d’autres banques. Et le problème restera le même.
De cet étalage de confiseries, il y a au moins une conclusion qui ressort, quelles que soient les opinions par ailleurs. C’est que les pseudo-plans de redressement de l'État veulent immanquablement que les déposants supportent la plus grande partie des pertes, et l’État la plus petite. Tout à fait à l’inverse de l’échelle des responsabilités. Étonnant? Pas vraiment. Si ces dirigeants avaient une pensée cohérente, ou même une pensée tout court, ça se saurait.
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