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Coups d'État à répétition, faiblesse de l'État central, putschs et militaires... les djihadistes sont les grands gagnants de l'instabilité politique chronique en Afrique de l'Ouest ainsi que dans d'autres pays tels que le Tchad. Le coup d'État au Burkina Faso, le retrait français du Mali et la lutte d'influence russe bénéficient aux narratifs djihadistes sur l'impotence des États.
Le Burkina vient de connaître deux coups d'État en neuf mois, comme le Mali en 2020 puis en 2021. La Guinée a changé de régime en 2021 et un coup d'État a échoué au Bénin l'année précédente. Quant au président tchadien tué en 2020 par des rebelles, il a été remplacé par son fils au mépris des règles constitutionnelles.
Un tourbillon effarant alors que sévissent les groupes djihadistes, dont la "province" sahélienne du groupe État islamique (EI) et le Groupe de soutien à l'Islam et aux musulmans (GSIM), affilié à Al-Qaïda. D'où ce constat d'Yvan Guichaoua, expert de l'université de Kent à Bruxelles, juste après le coup au Burkina: "Les grands vainqueurs ne sont ni les Russes, ni les Français mais le JNIM et EI-Sahel. Quel désastre". D'autant que l'insécurité est souvent l'argument majeur des putschistes et que l'arrivée d'un homme fort peut séduire une partie de l'opinion. Mais l'offre sécuritaire est un leurre. Un putsch "déstabilise la structure de l'armée et divise les militaires entre partisans et adversaires du coup", explique Djallil Lounnas, chercheur à l'université marocaine d'Al Akhawayn. "Ça veut dire instabilité, division, purges".
Par ailleurs, les armées africaines ne sont ni des parangons d'efficacité, ni des modèles de gestion. Alain Antil, spécialiste du Mali à l'Institut français des relations internationales (Ifri), évoque ces gendarmes burkinabè tués par des djihadistes fin 2021 et qui n'étaient plus ravitaillés. "Ils allaient chasser de la gazelle en brousse pour manger. On ne va pas à la lutte contre des adversaires aussi résolus avec ce genre de problème logistique", constate le chercheur.
La junte sortante n'a rien réglé et rien ne permet d'assurer que la nouvelle aura plus de résultats. "Le mythe du militaire éclairé qui règle les problèmes (...) ne se vérifie que très rarement", explique-t-il à l'AFP. Notamment parce que les soldats sont "souvent moins bien outillés que les civils qu'ils remplacent pour comprendre les aspects non-sécuritaires" de la crise.
Au-delà, c'est l'idée même de l'État qui vacille à chaque fois qu'il change de main... Un État déjà accusé d'enrichir les élites de la capitale et de délaisser les vastes zones désertiques dans lesquelles s'engouffrent les groupes djihadistes avec des alternatives de justice et de sécurité. Dans un communiqué, cette semaine, le GSIM a raillé le putsch de Ouagadougou. "Faites savoir aux tyrans que les coups répétés ne leur profiteront pas", a-t-il affirmé, leur conseillant de "trouver la satisfaction dans l'application de la charia".
Les partisans du nouveau chef de la junte Ibrahim Traoré tiennent les drapeaux nationaux du Burkina Faso et de la Russie lors d'une manifestation près du siège national de la radio et de la télévision (RTB) à Ouagadougou. (AFP)
Les narratifs djihadistes surfent ainsi sur l'impotence des États, souligne Lémine Ould Salem, auteur et documentariste mauritanien. "Ils disent pas de démocratie, pas d'État, pas de Constitution", souligne-t-il, décrivant "un discours de délégitimation des institutions étatiques". De facto, c'est souvent moins l'État qui agit face aux djihadistes que l'échelon inférieur. Au Niger, "c'est de la gestion locale (...) et ça ne peut pas tenir", assure Djallil Lounnas. "Il y a un cessez-le-feu dans un village X, mais pas dans le village Y".
Alain Antil observe pour sa part le piège dans lequel sombrent certains "villages qui, après avoir été menacés par le GSIM, signent un accord de non-agression ce qui les rend, aux yeux du gouvernement et de son armée, complices des djihadistes". Dans ce tourbillon qui mine ce qui reste de l'État-Nation au profit d'allégeances tribales, ethniques, claniques, confessionnelles, la coopération internationale prend l'eau, ouvrant un peu plus les espaces frontaliers aux prédations des groupes armés.
En quittant le G5 Sahel - avec Mauritanie, Tchad, Burkina et Niger - le Mali se prive du droit de poursuite dès que les djihadistes qu'il pourchasse franchissent une frontière. Et devant l'assemblée générale de l'ONU, son Premier ministre, le colonel Abdoulaye Maïga, a délivré un discours très dur sur ses voisins. Bamako a même arrêté quelques jours des soldats ivoiriens. Bamako "risque d'abîmer toute coopération, y compris sécuritaire", s'alarme Alain Antil.
Le capitaine Ibrahim Traoré a été officiellement désigné ce mercredi 5 octobre président du Burkina Faso. Le pays a connu son second coup d'État en huit mois. (AFP)
Dans le même temps, la France, ex-puissance coloniale, est accusée de tous les maux en Afrique de l'ouest au profit de nouveaux partenaires étrangers, Russie en tête. Si le bilan de Paris est discutable, l'accuser ne sert à rien, estime le Soufan Center, un centre de réflexion sur les questions de sécurité basé à New-York. "La France fait office d'épouvantail ou d'excuse pour justifier la force grandissante des djihadistes". Mais la solution russe n'offre aucune garantie pour s'y substituer.
Il y a eu un net relâchement des liens entre l'Afrique de l'Ouest et la Russie qui a débuté lors la perestroïka des années 1985 et a abouti à l'éclatement de l'Union soviétique en 1991, constate-t-il de concert avec le diplomate. Mais désormais, dans plusieurs pays d'Afrique francophone, Moscou jouit d'un soutien populaire grandissant. L'influence russe s'accroit au fil du renforcement de la coopération militaire et de nombreux pays africains se sont abstenus à l'ONU de condamner l'invasion de l'Ukraine par la Russie.
Michael Shurkin, historien américain spécialiste de l'armée française, pointe pour sa part les "théories du complot selon lesquelles les Français arment en fait les djihadistes". "Ces théories (...) évitent aux habitants d'avoir à comprendre leur propre responsabilité et à trouver leurs propres solutions", explique-t-il dans une interview au site Atlantico.
Avec AFP
Le Burkina vient de connaître deux coups d'État en neuf mois, comme le Mali en 2020 puis en 2021. La Guinée a changé de régime en 2021 et un coup d'État a échoué au Bénin l'année précédente. Quant au président tchadien tué en 2020 par des rebelles, il a été remplacé par son fils au mépris des règles constitutionnelles.
Un tourbillon effarant alors que sévissent les groupes djihadistes, dont la "province" sahélienne du groupe État islamique (EI) et le Groupe de soutien à l'Islam et aux musulmans (GSIM), affilié à Al-Qaïda. D'où ce constat d'Yvan Guichaoua, expert de l'université de Kent à Bruxelles, juste après le coup au Burkina: "Les grands vainqueurs ne sont ni les Russes, ni les Français mais le JNIM et EI-Sahel. Quel désastre". D'autant que l'insécurité est souvent l'argument majeur des putschistes et que l'arrivée d'un homme fort peut séduire une partie de l'opinion. Mais l'offre sécuritaire est un leurre. Un putsch "déstabilise la structure de l'armée et divise les militaires entre partisans et adversaires du coup", explique Djallil Lounnas, chercheur à l'université marocaine d'Al Akhawayn. "Ça veut dire instabilité, division, purges".
Mythe du militaire éclairé
Par ailleurs, les armées africaines ne sont ni des parangons d'efficacité, ni des modèles de gestion. Alain Antil, spécialiste du Mali à l'Institut français des relations internationales (Ifri), évoque ces gendarmes burkinabè tués par des djihadistes fin 2021 et qui n'étaient plus ravitaillés. "Ils allaient chasser de la gazelle en brousse pour manger. On ne va pas à la lutte contre des adversaires aussi résolus avec ce genre de problème logistique", constate le chercheur.
La junte sortante n'a rien réglé et rien ne permet d'assurer que la nouvelle aura plus de résultats. "Le mythe du militaire éclairé qui règle les problèmes (...) ne se vérifie que très rarement", explique-t-il à l'AFP. Notamment parce que les soldats sont "souvent moins bien outillés que les civils qu'ils remplacent pour comprendre les aspects non-sécuritaires" de la crise.
Au-delà, c'est l'idée même de l'État qui vacille à chaque fois qu'il change de main... Un État déjà accusé d'enrichir les élites de la capitale et de délaisser les vastes zones désertiques dans lesquelles s'engouffrent les groupes djihadistes avec des alternatives de justice et de sécurité. Dans un communiqué, cette semaine, le GSIM a raillé le putsch de Ouagadougou. "Faites savoir aux tyrans que les coups répétés ne leur profiteront pas", a-t-il affirmé, leur conseillant de "trouver la satisfaction dans l'application de la charia".
Les partisans du nouveau chef de la junte Ibrahim Traoré tiennent les drapeaux nationaux du Burkina Faso et de la Russie lors d'une manifestation près du siège national de la radio et de la télévision (RTB) à Ouagadougou. (AFP)
État-Nation miné
Les narratifs djihadistes surfent ainsi sur l'impotence des États, souligne Lémine Ould Salem, auteur et documentariste mauritanien. "Ils disent pas de démocratie, pas d'État, pas de Constitution", souligne-t-il, décrivant "un discours de délégitimation des institutions étatiques". De facto, c'est souvent moins l'État qui agit face aux djihadistes que l'échelon inférieur. Au Niger, "c'est de la gestion locale (...) et ça ne peut pas tenir", assure Djallil Lounnas. "Il y a un cessez-le-feu dans un village X, mais pas dans le village Y".
Alain Antil observe pour sa part le piège dans lequel sombrent certains "villages qui, après avoir été menacés par le GSIM, signent un accord de non-agression ce qui les rend, aux yeux du gouvernement et de son armée, complices des djihadistes". Dans ce tourbillon qui mine ce qui reste de l'État-Nation au profit d'allégeances tribales, ethniques, claniques, confessionnelles, la coopération internationale prend l'eau, ouvrant un peu plus les espaces frontaliers aux prédations des groupes armés.
En quittant le G5 Sahel - avec Mauritanie, Tchad, Burkina et Niger - le Mali se prive du droit de poursuite dès que les djihadistes qu'il pourchasse franchissent une frontière. Et devant l'assemblée générale de l'ONU, son Premier ministre, le colonel Abdoulaye Maïga, a délivré un discours très dur sur ses voisins. Bamako a même arrêté quelques jours des soldats ivoiriens. Bamako "risque d'abîmer toute coopération, y compris sécuritaire", s'alarme Alain Antil.
Le capitaine Ibrahim Traoré a été officiellement désigné ce mercredi 5 octobre président du Burkina Faso. Le pays a connu son second coup d'État en huit mois. (AFP)
Épouvantail français
Dans le même temps, la France, ex-puissance coloniale, est accusée de tous les maux en Afrique de l'ouest au profit de nouveaux partenaires étrangers, Russie en tête. Si le bilan de Paris est discutable, l'accuser ne sert à rien, estime le Soufan Center, un centre de réflexion sur les questions de sécurité basé à New-York. "La France fait office d'épouvantail ou d'excuse pour justifier la force grandissante des djihadistes". Mais la solution russe n'offre aucune garantie pour s'y substituer.
Il y a eu un net relâchement des liens entre l'Afrique de l'Ouest et la Russie qui a débuté lors la perestroïka des années 1985 et a abouti à l'éclatement de l'Union soviétique en 1991, constate-t-il de concert avec le diplomate. Mais désormais, dans plusieurs pays d'Afrique francophone, Moscou jouit d'un soutien populaire grandissant. L'influence russe s'accroit au fil du renforcement de la coopération militaire et de nombreux pays africains se sont abstenus à l'ONU de condamner l'invasion de l'Ukraine par la Russie.
Michael Shurkin, historien américain spécialiste de l'armée française, pointe pour sa part les "théories du complot selon lesquelles les Français arment en fait les djihadistes". "Ces théories (...) évitent aux habitants d'avoir à comprendre leur propre responsabilité et à trouver leurs propres solutions", explique-t-il dans une interview au site Atlantico.
Avec AFP
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