Guerre et Paix au cœur d'un Nobel hautement symbolique
Hasard du calendrier, alors que le président russe Vladimir Poutine célèbre ses 70 ans, le Nobel de la paix a couronné vendredi un trio de représentants de la société civile en Ukraine, en Russie et au Bélarus, trois des principaux acteurs du conflit ukrainien. Un choix hautement symbolique en faveur de la "coexistence pacifique" face à l'autoritarisme de Minsk et de Moscou.



 

Trois "champions" russe, ukrainien et bélarusse de la lutte pour les libertés civiles ont décroché vendredi un Nobel de la paix assorti d'une critique du régime "autoritaire" et répressif de Vladimir Poutine, en pleine guerre en Ukraine.

Le prestigieux prix a été conjointement attribué au militant bélarusse Ales Beliatski, en prison dans son pays, à l'ONG russe Memorial - frappée par un ordre de dissolution - et au Centre ukrainien pour les libertés civiles qui s'emploie à documenter les "crimes de guerre russes" dans le conflit en cours.

"Le comité Nobel norvégien souhaite honorer trois champions remarquables des droits humains, de la démocratie et de la coexistence pacifique dans les trois pays voisins que sont le Bélarus, la Russie et l'Ukraine", a déclaré sa présidente Berit Reiss-Andersen.

S’exprimant juste après l’annonce des lauréats du Prix Nobel de la paix de cette année, la présidente du comité Nobel norvégien, Breit Reiss-Andersen, a déclaré que " ce Prix ne s’adresse pas au président Poutine ", avant d’ajouter que son gouvernement " représente un gouvernement autoritaire qui réprime les militants des droits de l’homme ". (AFP)

 

 

S'il a tenu à marquer le coup face à la guerre en Ukraine qui a plongé l'Europe dans la crise sécuritaire la plus grave depuis la Seconde Guerre mondiale, le comité s'est gardé de critiquer frontalement le président russe Vladimir Poutine qui a lancé l'invasion de son voisin ukrainien le 24 février.

Interrogée pour savoir s'il s'agissait d'un cadeau empoisonné pour l'homme fort du Kremlin qui fête ce jour même ses 70 ans, Mme Reiss-Andersen a affirmé que le prix n'était pas dirigé contre lui mais que son régime "autoritaire", comme celui du Bélarus, devait cesser la répression.

"Ce prix ne s'adresse pas à Vladimir Poutine ni pour son anniversaire ni dans un autre sens, sauf que son gouvernement, comme le gouvernement bélarusse, constitue un gouvernement autoritaire qui réprime les militants des droits humains", a-t-elle fait valoir.

Le Bélarus a été exhorté à libérer Ales Beliatski, président fondateur du Centre de défense des droits de l’Homme Viasna (" Printemps "), qui a été de nouveau jeté en prison en 2020 lors des manifestations massives contre la réélection, jugée frauduleuse par les Occidentaux, du président autoritaire Alexandre Loukachenko.

 

 

Si Moscou n'a pas réagi dans l'immédiat, le régime bélarusse a affirmé qu'Alfred Nobel, l'inventeur du prix, "se retourne dans sa tombe".

Mme Reiss-Andersen a exhorté Minsk à libérer Ales Beliatski, fondateur du Centre de défense des droits de l'Homme Viasna ("Printemps"). Le militant de 60 ans a été de nouveau jeté en prison lors des manifestations massives contre la réélection, jugée frauduleuse par les Occidentaux, du président autoritaire Alexandre Loukachenko en 2020.

Rassemblant des dizaines de milliers de manifestants pendant des mois, le mouvement de contestation a été durement maté: arrestations de masse, tortures et exils forcés...

En exil, la cheffe de file de l'opposition bélarusse, Svetlana Tikhanovskaïa, généralement considérée comme le véritable vainqueur du scrutin de 2020, a salué la reconnaissance d'un "combat pour la liberté".

L'emblématique ONG russe Mémorial, co-lauréate du Prix Nobel de la Paix, a fait la lumière pendant trois décennies sur les purges staliniennes, puis les répressions dans la Russie contemporaine de Vladimir Poutine, avant d'en être elle-même victime.

 

 


Au pouvoir depuis 1994 et soutenu de longue date par Moscou, M. Loukachenko a fait de son pays l'un des très rares alliés de la Russie dans son offensive contre l'Ukraine, lui servant de base arrière pour ses troupes.

Fondée en 1989 par un autre Nobel de la paix, Andreï Sakharov, au temps de la perestroïka, Memorial s'est, elle, imposée comme un acteur incontournable dans le domaine des droits en Russie, faisant la lumière sur les crimes staliniens, puis sur les exactions commises en Tchétchénie ou par les paramilitaires russes en Syrie.

Jusqu'à ce que la justice russe ordonne sa dissolution l'hiver dernier pour des violations d'une loi controversée sur les "agents de l'étranger".

"Ce prix donne de la force morale (...) à tous les militants russes des droits de l'homme", a dit à la presse le président de Memorial international, Ian Ratchinski. "C'est un honneur d'être (lauréats) ensemble" avec le CCL ukrainien, a noté Oleg Orlov, figure historique de l'ONG.

Anna Trouchova, responsable de la communication au Centre ukrainien pour les libertés civiles, réagit après la réception du prix Nobel de la paix 2022 par l'organisation. "Lorsque nous avons appris la nouvelle, nous étions stupéfaits. C'est un excellent début de journée"

 

 

Le Nobel avait déjà couronné l'an dernier un poil à gratter du Kremlin, le journaliste Dmitri Mouratov, rédacteur en chef de Novaïa Gazeta qui a aussi vu sa licence révoquée.

Quant au Centre ukrainien pour les libertés civiles, il a été récompensé notamment pour ses "efforts en vue d'identifier et de documenter les crimes de guerre russes contre la population civile ukrainienne".

Sa cheffe, Alexandra Matviïtchouk, a appelé vendredi à la création d'un tribunal international pour juger Vladimir Poutine.

Un conseiller de la présidence ukrainienne s'est pour sa part montré agacé que le prix soit partagé avec des organisations russe et bélarusse.

Selon des enquêteurs de l'ONU, la Russie s'est rendue coupable d'un "nombre considérable" de "crimes de guerre", énumérant les bombardements russes sur des zones civiles, de nombreuses exécutions, la torture, les mauvais traitements ainsi que les violences sexuelles sur des victimes âgées de quatre à 82 ans.

Le massacre de Boutcha, dans les environs de Kiev, a eu lieu aux débuts de l'invasion de l'Ukraine, juste avec le retrait des troupes russes, vaincues par la résistance ukrainienne dans la capitale.

 

 

Egalement pointée du doigt après la découverte de nombreux cadavres à Boutcha ou à Izioum après la libération de ces villes par les troupes ukrainiennes, la Russie parle de mensonges.

En réaction au Nobel, le chef de l'ONU, Antonio Guterres, a salué vendredi la société civile, "oxygène de la démocratie", et s'est inquiété que l'espace de ces groupes "se rétrécit à travers le monde".

Au-delà des destructions et des morts innombrables sur le sol ukrainien, l'invasion russe a suscité la crainte d'une frappe nucléaire, arme brandie par M. Poutine, mis en difficulté par la contre-offensive lancée en septembre par l'armée ukrainienne.

"Cette année, nous étions dans une situation avec une guerre en Europe, ce qui est extrêmement inhabituel, mais aussi face à une guerre qui a des effets globaux pour les gens sur toute la planète", a noté la présidente du comité Nobel, évoquant "la menace d'un recours aux armes nucléaires et la pénurie alimentaire".

"C'est donc une toile de fond très sombre et il n'y aucun signe de paix immédiate", a-t-elle déploré.

Avec AFP
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