L'activiste Masih Alinejad dénonce un «mur de Berlin» iranien
Au cœur des protestations en Iran, le voile islamique est l'"instrument d'oppression" du pouvoir à Téhéran mais c'est aussi son "pilier le plus faible", son "mur de Berlin", qui peut le faire chuter, assure dans un entretien à l'AFP l’activiste irano-américaine basée à New York, Masih Alinejad.

Journaliste et militante, l'opposante de 45 ans, qui a dû quitter son pays en 2009, est connue depuis 2014 pour avoir lancé sur les réseaux sociaux le mouvement "mystealthyfreedom" ("ma liberté furtive") encourageant les femmes iraniennes à protester contre l'obligation du port du voile dans leur pays.

Des dizaines de femmes kurdes syriennes manifestent et brûlent leur voile en Syrie en soutient à Mahsa Amini (AFP)

 

Avec 500.000 abonnés sur son compte Twitter, et plus de huit millions sur Instagram, où elle relaye par dizaines chaque jour des photos ou vidéos d'Iraniennes retirant leur hijab, ainsi que des images parfois violentes de la répression, elle s'est fait l'une des porte-voix du mouvement de protestation qui secoue l'Iran depuis la mort le 16 septembre de Mahsa Amini, 22 ans, après son arrestation à Téhéran par la police des mœurs.

Elle a aussi gagné en notoriété, malgré elle, quand la justice américaine avait annoncé avoir inculpé à l'été 2021 "quatre agents du renseignement iranien" pour avoir planifié son enlèvement en 2018 afin de la ramener dans son pays, où l'un de ses frères a aussi été emprisonné. L'Iran avait démenti toute implication dans ce projet.
"Comme le mur de Berlin"

"Pour moi le hijab obligatoire est comme le mur de Berlin. Si nous abattons ce mur, la République islamique n'existera plus", assure-t-elle, une fleur dans ses cheveux, frisés et volumineux.

La comparaison avec le mur tombé en 1989 lui est chère et le guide suprême Ali Khamenei l'a dénoncée cette semaine dans un discours, en l'attribuant à des "agents politiques américains" et en agitant le spectre d'une déstabilisation du régime fomentée de l'extérieur.

Une preuve, selon Masih Alinejad, que le voile obligatoire est "le pilier le plus faible de la République islamique".

"Pour moi le hijab obligatoire est comme le mur de Berlin" (AFP)

 

"C'est pour ça que le régime a vraiment peur de cette révolution, qu'il essaie de les opprimer (les protestataires), de les supprimer, parce qu'ils savent que si les femmes réussissent à dire non à ceux qui leur disent comment s'habiller, ces femmes seront plus puissantes pour dire non à un dictateur", explique-t-elle.

La répression des manifestations a causé la mort de plusieurs dizaines de personnes, selon des organisations de défense des droits humains.


Le voile islamique, "c'est un instrument pour nous opprimer", "pour contrôler les femmes" et "pour contrôler l'ensemble de la société à travers les femmes", poursuit-elle, en dénonçant un "apartheid de genre".

"La génération TikTok fait face aux armes et aux balles en disant : nous ne voulons pas de république islamique. Pourquoi ? Parce qu'ils ont fait de nos corps, des corps des femmes, une plateforme politique du régime islamique", ajoute-t-elle.
Pas l'unanimité

Loin de son pays de naissance, celle qui anime une émission sur le service en persan de "Voice of America", la radio publique américaine ne fait pas l'unanimité. Elle se voit reprocher sur les réseaux sociaux de servir les intérêts américains et une ligne dure s'opposant à toute négociation avec le régime de Téhéran sur le nucléaire.

Et son discours focalisé sur le voile lui vaut l'accusation d'alimenter l'islamophobie.

"Ceux qui vivent en Occident, sous des lois laïques, et qui me disent +vous provoquez l'islamophobie+, je les invite à aller en Afghanistan ou en Iran et à vivre sous la loi de la charia", répond-elle, de la colère plein les yeux, sans retenir ses larmes.

Masih Alinejad se voit reprocher sur les réseaux sociaux de servir les intérêts américains (AFP)

 

Masih Alinejad a l'habitude de pointer du doigt les dirigeantes occidentales qui se conforment à l'obligation de porter le voile lors de leurs visites en Iran, visant notamment l'ancienne ministre française Ségolène Royal, ou l'ex-représentante de l'Union européenne, l'Italienne Federica Mogherini.

Pour elle, "le voile ne sera un choix que le jour où toutes les femmes, dans le monde entier, pourront choisir de s'habiller comme elles le veulent".

"Peut-être que les gens pensent que je suis à l'abri, à des milliers de kilomètres de mon pays", mais "je ne suis pas en sécurité" non plus, ajoute-t-elle en rappelant le projet d'enlèvement qui l'a visée.

Encore plus récemment, fin juillet, un homme surpris en train de roder autour de sa maison, à Brooklyn, a été arrêté et le FBI a découvert une kalachnikov dans sa voiture. Depuis, la militante a dû déménager.

Avec AFP
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