Le politiste Bertrand Badie prévoyait dans son livre éponyme "La fin des territoires". Le changement climatique accélère le risque de l'arrivée de réfugiés dont l'État a disparu territorialement. Si la mer engloutit les Maldives ou les Tuvalu, efface-t-elle l'identité de la nation? Un écueil inédit pour la communauté internationale et les peuples menacés.
"C'est la plus grande tragédie qu'un peuple, qu'un pays, qu'une nation puisse affronter", lance à l'AFP l'ancien président des Maldives Mohamed Nasheed. Selon les experts climat de l'ONU (Giec), le niveau de la mer a déjà gagné 15 à 25 cm depuis 1900 et la hausse s'accélère, avec un rythme encore plus rapide dans certaines zones tropicales.
Ainsi, si la hausse des émissions se poursuivait, les océans pourraient gagner près d'un mètre supplémentaire autour des îles du Pacifique et de l'océan Indien d'ici la fin du siècle. Cela reste certes en-dessous du point culminant des petits États insulaires les plus plats mais la montée des eaux va s'accompagner d'une multiplication des tempêtes et des vagues-submersions: l'eau et la terre seront contaminées par le sel, rendant nombre d'atolls inhabitables bien avant d'être recouverts par la mer.
Selon une étude citée par le Giec, cinq États (les Maldives, les Tuvalu, les Iles Marshall, Nauru et Kiribati) risquent ainsi de devenir inhabitables d'ici 2100, créant 600.000 réfugiés climatiques apatrides. Une situation inédite. Des États ont bien sûr été rasés de la carte par des guerres. Mais "nous n'avons jamais vu un Etat perdre complètement son territoire en raison d'un événement physique comme la montée de l'océan", note Sumudu Atapattu, de l'université de Wisconsin-Madison.
Or la Convention de Montevideo de 1933 sur les droits et les devoirs des États, référence en la matière, est claire: un État est constitué d'un territoire défini, d'une population permanente, d'un gouvernement et de la capacité à interagir avec d'autres États. Alors si le territoire est englouti, ou que plus personne ne peut vivre sur ce qu'il en reste, au moins un des critères tombe. Mais "le concept d'État est une fiction légale créée pour les besoins du droit international. Alors nous pourrions créer une nouvelle fiction pour inclure ces États déterritorialisés", plaide Sumudu Atapattu.
Les représentants de Tuvalu, des Îles Marshall et des Fidji appelaient en 2021 à faire des "compromis" et mettre de côté leurs intérêts particuliers pour accepter le compromis sur la table afin d'éviter un avenir "cataclysmique" alors que le nouveau projet de déclaration finale de la conférence mondiale sur le climat publié par la présidence britannique n'a pas débouché sur les avancées espérées par les défenseurs de la planète. (AFP)
C'est d'ailleurs l'idée derrière l'initiative "Rising Nations" lancée en septembre par plusieurs gouvernements du Pacifique: "Convaincre les membres de l'ONU de reconnaître notre nation, même si nous sommes submergés par les eaux, parce que c'est notre identité", expliquait à l'AFP le Premier ministre des Tuvalu Kausea Natano.
Certains réfléchissent déjà au mode d'emploi de ces États-Nations 2.0. "Vous pourriez avoir le territoire quelque part, la population ailleurs et le gouvernement à un troisième endroit", explique à l'AFP Kamal Amakrane, directeur du Centre pour la mobilité climatique à l'Université Columbia. Cela nécessiterait d'abord une "déclaration politique" de l'ONU, puis un "traité" entre l'État menacé et un "État hôte", prêt à accueillir le gouvernement en exil dans une sorte d'ambassade permanente et sa population qui aurait alors une double nationalité.
L'ancien responsable onusien attire aussi l'attention sur une ambiguïté de la Convention de Montevideo: "Quand on parle de territoire, est-ce la terre ferme ou un territoire maritime?". Grâce à ses 33 îles éparpillées sur 3,5 millions de km2 dans le Pacifique, Kiribati, minuscule en termes de surface terrestre, possède l'une des zones économiques exclusives (ZEE) les plus grandes au monde. Si cette souveraineté maritime était préservée, alors un État ne disparaitrait pas, assurent certains experts.
Funafuti est un atoll des Tuvalu, un État archipélagique d'Océanie. Il constitue la capitale de ce royaume et abrite sa plus grande ville, Vaiaku où siègent le gouvernement et les institutions.
Alors que certains îlots sont déjà engloutis et que les rivages reculent, geler les ZEE permettrait d'abord de préserver l'accès à des ressources capitales. Dans une déclaration d'août 2021, les membres du Forum des îles du Pacifique, dont Australie et Nouvelle-Zélande, ont d'ailleurs "proclamé" que leurs zones maritimes "continueraient à s'appliquer, sans réduction, nonobstant tout changement physique lié à la hausse du niveau de la mer".
Mais, dans tous les cas, certains n'envisagent tout simplement pas de quitter leur pays menacé. "Les humains sont ingénieux, ils trouveront des moyens flottants pour continuer à vivre là", affirme Mohamed Nasheed, évoquant des villes flottantes. Mais ces États n'ont pas les ressources pour de tels projets. La question du financement des "pertes et préjudices" causés par les impacts du réchauffement sera d'ailleurs un point brûlant de la COP27 en Egypte en novembre.
Même en défendant "le droit de rester" et de ne pas abandonner sa terre et "son héritage", "il faut toujours un plan B", insiste de son côté Kamal Amakrane. Dans cette optique, il appelle à lancer "dès que possible" un processus "politique" pour préserver les futurs Etats inhabitables, "pour donner de l'espoir aux populations". Parce que l'incertitude actuelle "crée de l'amertume et du désarroi, et avec ça, on tue une nation, un peuple".
Avec AFP
"C'est la plus grande tragédie qu'un peuple, qu'un pays, qu'une nation puisse affronter", lance à l'AFP l'ancien président des Maldives Mohamed Nasheed. Selon les experts climat de l'ONU (Giec), le niveau de la mer a déjà gagné 15 à 25 cm depuis 1900 et la hausse s'accélère, avec un rythme encore plus rapide dans certaines zones tropicales.
"États déterritorialisés"
Ainsi, si la hausse des émissions se poursuivait, les océans pourraient gagner près d'un mètre supplémentaire autour des îles du Pacifique et de l'océan Indien d'ici la fin du siècle. Cela reste certes en-dessous du point culminant des petits États insulaires les plus plats mais la montée des eaux va s'accompagner d'une multiplication des tempêtes et des vagues-submersions: l'eau et la terre seront contaminées par le sel, rendant nombre d'atolls inhabitables bien avant d'être recouverts par la mer.
Selon une étude citée par le Giec, cinq États (les Maldives, les Tuvalu, les Iles Marshall, Nauru et Kiribati) risquent ainsi de devenir inhabitables d'ici 2100, créant 600.000 réfugiés climatiques apatrides. Une situation inédite. Des États ont bien sûr été rasés de la carte par des guerres. Mais "nous n'avons jamais vu un Etat perdre complètement son territoire en raison d'un événement physique comme la montée de l'océan", note Sumudu Atapattu, de l'université de Wisconsin-Madison.
Or la Convention de Montevideo de 1933 sur les droits et les devoirs des États, référence en la matière, est claire: un État est constitué d'un territoire défini, d'une population permanente, d'un gouvernement et de la capacité à interagir avec d'autres États. Alors si le territoire est englouti, ou que plus personne ne peut vivre sur ce qu'il en reste, au moins un des critères tombe. Mais "le concept d'État est une fiction légale créée pour les besoins du droit international. Alors nous pourrions créer une nouvelle fiction pour inclure ces États déterritorialisés", plaide Sumudu Atapattu.
Les représentants de Tuvalu, des Îles Marshall et des Fidji appelaient en 2021 à faire des "compromis" et mettre de côté leurs intérêts particuliers pour accepter le compromis sur la table afin d'éviter un avenir "cataclysmique" alors que le nouveau projet de déclaration finale de la conférence mondiale sur le climat publié par la présidence britannique n'a pas débouché sur les avancées espérées par les défenseurs de la planète. (AFP)
États-Nations 2.0
C'est d'ailleurs l'idée derrière l'initiative "Rising Nations" lancée en septembre par plusieurs gouvernements du Pacifique: "Convaincre les membres de l'ONU de reconnaître notre nation, même si nous sommes submergés par les eaux, parce que c'est notre identité", expliquait à l'AFP le Premier ministre des Tuvalu Kausea Natano.
Certains réfléchissent déjà au mode d'emploi de ces États-Nations 2.0. "Vous pourriez avoir le territoire quelque part, la population ailleurs et le gouvernement à un troisième endroit", explique à l'AFP Kamal Amakrane, directeur du Centre pour la mobilité climatique à l'Université Columbia. Cela nécessiterait d'abord une "déclaration politique" de l'ONU, puis un "traité" entre l'État menacé et un "État hôte", prêt à accueillir le gouvernement en exil dans une sorte d'ambassade permanente et sa population qui aurait alors une double nationalité.
L'ancien responsable onusien attire aussi l'attention sur une ambiguïté de la Convention de Montevideo: "Quand on parle de territoire, est-ce la terre ferme ou un territoire maritime?". Grâce à ses 33 îles éparpillées sur 3,5 millions de km2 dans le Pacifique, Kiribati, minuscule en termes de surface terrestre, possède l'une des zones économiques exclusives (ZEE) les plus grandes au monde. Si cette souveraineté maritime était préservée, alors un État ne disparaitrait pas, assurent certains experts.
Funafuti est un atoll des Tuvalu, un État archipélagique d'Océanie. Il constitue la capitale de ce royaume et abrite sa plus grande ville, Vaiaku où siègent le gouvernement et les institutions.
Nouvelle Atlantide
Alors que certains îlots sont déjà engloutis et que les rivages reculent, geler les ZEE permettrait d'abord de préserver l'accès à des ressources capitales. Dans une déclaration d'août 2021, les membres du Forum des îles du Pacifique, dont Australie et Nouvelle-Zélande, ont d'ailleurs "proclamé" que leurs zones maritimes "continueraient à s'appliquer, sans réduction, nonobstant tout changement physique lié à la hausse du niveau de la mer".
Mais, dans tous les cas, certains n'envisagent tout simplement pas de quitter leur pays menacé. "Les humains sont ingénieux, ils trouveront des moyens flottants pour continuer à vivre là", affirme Mohamed Nasheed, évoquant des villes flottantes. Mais ces États n'ont pas les ressources pour de tels projets. La question du financement des "pertes et préjudices" causés par les impacts du réchauffement sera d'ailleurs un point brûlant de la COP27 en Egypte en novembre.
Même en défendant "le droit de rester" et de ne pas abandonner sa terre et "son héritage", "il faut toujours un plan B", insiste de son côté Kamal Amakrane. Dans cette optique, il appelle à lancer "dès que possible" un processus "politique" pour préserver les futurs Etats inhabitables, "pour donner de l'espoir aux populations". Parce que l'incertitude actuelle "crée de l'amertume et du désarroi, et avec ça, on tue une nation, un peuple".
Avec AFP
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