Je crayonne en monochrome mon indignation face à un pays qui d’un coup de torchon s’évertue à me dépayser. Je refuse catégoriquement de me dépiauter de lui, de l’exil de mes ancêtres, de son cèdre. Chercher à expliquer l’attachement inavouable que je lui voue c’est vouloir compter les étoiles. La vie est un rendez-vous manqué avec la mort. Il en va ainsi de notre vie au Liban où l’on meurt à petit feu depuis maintenant des décennies. Que de fois j’ai fait ma valise et que de fois je l’ai défaite. De défaite en fête, mon existence depuis mon retour définitif n’est ni faite ni à faire. Je suis un simple brouillon, une esquisse potache pignochée par une main pressée de traverser l’Histoire sans encombre pour ne pas obérer ma vie de regrets. Or des regrets, j’en ai à la pelle.
Je regrette de n’avoir enfermé dans les pages d’un livre la rose offerte à moi par une certaine Hiba ni souligner au crayon afin de les mémoriser et en faire miens les vers qui m’ont profondément ému dans Les Contemplations de Hugo, ni m’être penché comme un prêtre sur un mourant pratiquant l’extrême onction sur Le Rouge et le noir de Stendhal. Il me vient à l’esprit, les fleurs du frangipanier que mon pépé m’insérait, une derrière chaque oreille, en m’invitant d’un pincement de la joue à m’imaginer dans un lointain pays exotique. Il y a en chacun de nous un simulacre de Don Quichotte. Qui ne se souvient pas du sucre d’orge qui nous niquait les dents ? Ou bien du pois chiche finement moulu, vendu dans un cornet en papier, qui se cimentait au contact de notre salive et qui, de ce fait, rendait sa transition empâtée dans la gorge digne de figurer sur la liste des douze travaux d’Hercule ? Rimbaud, l’unijambiste, avait sa saison en enfer et il y allait en claudiquant. Nous, les bipèdes, avons nos quatre saisons en enfer que nous coursons en sautant d’un cercle de feu en cercle de feu jusqu’à se cramer, se rendre cendres. Mon état d’âme sur le Liban est antinomique : Avec le temps de Ferré d’un côté et Ne me quitte pas de Brel d’un autre. Nous avons ce que nous méritons. Nous sommes des lampistes répondant à des chefs de mafia qui se servent de nous comme fusibles. Tristes temps et tant tristes que la tentation de boucler ma valise se fait désormais de plus en plus pressante. Encore une fois, pour aller où ? Vers qui ? Quelle ville traverser sans chercher vraiment à la connaître ? Combler de mon corps les bras ouverts de quel pays ? Quel pays serait-il en mesure de transformer l’eau en vin pour me soûler de lui en Suisse ?
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