Dans ces temps où le pays nous échappe chaque jour un peu plus, comme une urgence de retourner vers nos fondamentaux, de retrouver nos nécessaires, de se reconnecter avec nos monuments, vestiges, richesses, fiertés nationales, en deux mots récupérer notre territoire.
Il y a deux Sanayeh. D’abord, le quartier qui slalome autour de plusieurs institutions étatiques, avec son concert de klaxons qui n’a jamais servi à discipliner les automobilistes. Ensuite – et ne l’oublions jamais –, un espace vert qui a miraculeusement échappé aux diverses tentatives d’en faire un parking. Un jardin, si exceptionnel à Beyrouth, et dont les allées regorgent d’arbres, de vieux habitués, de quelques «curiosités», mais également d’enfants dont c’est souvent l’unique récréation. Un jardin qui unit donc dans un des rares espaces publics où l’on peut encore se rencontrer.
C’est dans le cadre des ambitions visionnaires du sultan Abdulhamid II qu’est née, sur une terre encore peu peuplée qu’on appelait Raml el-Zarif ou encore Joummeyzat el-Naaman, une école des arts et métiers destinées à enseigner aux plus défavorisés des rudiments de métiers. S’y joindra également un hôpital, et plus tard une mosquée et un jardin. Inaugurés en grande pompe le 19 août 1907 par le wali de Beyrouth Khalil Pacha à l’occasion de l’anniversaire du sultan et en présence d’un parterre de personnalités locales et internationales, l’ensemble répondait aux aspirations des jeunes Beyrouthins de l’époque qui n’avaient pas les moyens d’accéder aux belles écoles instituées par les missionnaires un peu plus loin à Zokak el-Blat.
Pour distraire donc les étudiants durant leurs heures de répit, un espace vert de 22.000 m2 planté de saules pleureurs, de ficus et d’oliviers, avec de larges allées pour accueillir leurs pas studieux, est aménagé dans un style turc avec au centre un bassin pour apaiser les esprits échauffés et des fleurs sur les bords pour enchanter les romantiques. Il fut même un temps où des canards s’ébattaient joyeusement pour la plus grande joie des familles qui venaient là se promener les après-midis d’oisiveté. Durant le mandat français, le jardin est réaménagé et embelli avec des allées plus grandes et des eucalyptus pour absorber la pollution des villes. Du jardin Hamidi, il devient de facto le jardin des arts et métiers.
Les arbres centenaires du jardin, sous l’ombre apaisante desquelles s’installent volontiers les riverains, ont été témoins durant ce siècle tourmenté de bien des événements. D’abord, les moments heureux quand, pour célébrer le 14 juillet en l’an 1944, un grand bal devait réunir plus de 6.000 personnes qui ont dansé sous le ciel complice, puis en 1965, quand la fanfare des Forces de sécurité intérieure venait donner des concerts gratuits les vendredis et dimanches soir dans ce qu’on appelle désormais Jnaynet el-Sanayeh. Les nombreuses manifestations artistiques avant-guerre et les dîners sous les arbres attendaient gentiment que les enfants aient rangé leur bicyclette et leur ballon. Il faisait bon, très bon, d’être dans ce vert si doux qui sentait bon la Méditerranée et ses temps heureux.
Mais il fut un temps aussi au début des années 80 où la présidence du Conseil s’était installée là dans l’ancien hôpital et la politique s’est accompagnée évidemment de nombreuses barricades qui ont vite fait de transformer le quartier en un bunker protégé. La quiétude était rompue et encore plus lorsque l’immeuble Akar, situé dos au jardin et abritant des familles de réfugiés palestiniens est littéralement implosé par une bombe israélienne un funeste jour de 1982. Et que pourraient dire les arbres de ce matin du 7 avril 1983 où fut pendu dans le jardin, quelle sinistre idée, Ibrahim Tarraf qui avait en 1980, à 50 mètres de là, égorgé une mère et son fils. Le jardin de Sanayeh a depuis fait longtemps grise mine surtout que les services de base de propreté et d’aménagement n’étaient plus assurés. Et, en 1989, il fallut tout un bataillon de Forces de sécurité intérieure pour déloger des sans-abris qui y avaient planté leur tente. Jusqu’à ce jour tragique du 22 novembre 1989 où le président nouvellement élu, René Moawad, devait être assassiné devant les portes de ce qui avait été un jour un lieu de promenade et de rêveries.
Mais le jardin a rouvert ses portes en 1991 et a été totalement réaménagé en 2014 par la fondation Azadea. Et si l’envie nous prend, histoire de nous réconcilier avec les arbres de notre ville qu’on appelait ville-jardin, d’aller faire un tour dans le jardin de Sanayeh, rebaptisé en mai 1992 jardin René Moawad, on demandera où est situé l’olivier de Rafic Hariri, offert par la communauté libanaise résidant à Desbourne dans l’État du Michigan aux États-Unis en hommage au Premier ministre assassiné. On essaiera aussi de déchiffrer la thoughra écrite sur la fontaine Hamidiyé qui a été transférée là en 1957 de la place Assour où a pris sa place la statue monumentale de Riad el-Solh. Haute de huit mètres, en marbre blanc sculpté, surmontée d’un croissant, la fontaine a été érigée pour célébrer les 25 ans d’accession au trône du sultan Abdulhamid. Conçue par Youssef Aftimos et exécutée par Youssef Anid, elle porte en arabe et en turc une inscription en hommage au sultan, rédigée par le poète beyrouthin Mohammed Barbir.
On pourra s’assoir sur les nombreux bancs et regarder le ciel toujours bleu au-dessus. On pourra également partager les jeux de trictrac et de cartes, autant de passe-temps pour penser un peu moins à ce qui arrive à ce pays. On s’amusera des écriteaux interdisant la chasse et on se rappellera surtout qu’en juin 2009, il a fallu se mobiliser en nombre pour stopper les velléités douteuses de construire un parking en sous-sol de ce jardin-poumon vert qui a su résister à toutes ces secousses grâce aux nombreux habitués qui, de leur plein gré et dans une initiative toute personnelle et très heureuse, viennent arroser, nettoyer, nourrir les oiseaux et caresser l’âme de ce jardin résistant.
Il y a deux Sanayeh. D’abord, le quartier qui slalome autour de plusieurs institutions étatiques, avec son concert de klaxons qui n’a jamais servi à discipliner les automobilistes. Ensuite – et ne l’oublions jamais –, un espace vert qui a miraculeusement échappé aux diverses tentatives d’en faire un parking. Un jardin, si exceptionnel à Beyrouth, et dont les allées regorgent d’arbres, de vieux habitués, de quelques «curiosités», mais également d’enfants dont c’est souvent l’unique récréation. Un jardin qui unit donc dans un des rares espaces publics où l’on peut encore se rencontrer.
C’est dans le cadre des ambitions visionnaires du sultan Abdulhamid II qu’est née, sur une terre encore peu peuplée qu’on appelait Raml el-Zarif ou encore Joummeyzat el-Naaman, une école des arts et métiers destinées à enseigner aux plus défavorisés des rudiments de métiers. S’y joindra également un hôpital, et plus tard une mosquée et un jardin. Inaugurés en grande pompe le 19 août 1907 par le wali de Beyrouth Khalil Pacha à l’occasion de l’anniversaire du sultan et en présence d’un parterre de personnalités locales et internationales, l’ensemble répondait aux aspirations des jeunes Beyrouthins de l’époque qui n’avaient pas les moyens d’accéder aux belles écoles instituées par les missionnaires un peu plus loin à Zokak el-Blat.
Pour distraire donc les étudiants durant leurs heures de répit, un espace vert de 22.000 m2 planté de saules pleureurs, de ficus et d’oliviers, avec de larges allées pour accueillir leurs pas studieux, est aménagé dans un style turc avec au centre un bassin pour apaiser les esprits échauffés et des fleurs sur les bords pour enchanter les romantiques. Il fut même un temps où des canards s’ébattaient joyeusement pour la plus grande joie des familles qui venaient là se promener les après-midis d’oisiveté. Durant le mandat français, le jardin est réaménagé et embelli avec des allées plus grandes et des eucalyptus pour absorber la pollution des villes. Du jardin Hamidi, il devient de facto le jardin des arts et métiers.
Les arbres centenaires du jardin, sous l’ombre apaisante desquelles s’installent volontiers les riverains, ont été témoins durant ce siècle tourmenté de bien des événements. D’abord, les moments heureux quand, pour célébrer le 14 juillet en l’an 1944, un grand bal devait réunir plus de 6.000 personnes qui ont dansé sous le ciel complice, puis en 1965, quand la fanfare des Forces de sécurité intérieure venait donner des concerts gratuits les vendredis et dimanches soir dans ce qu’on appelle désormais Jnaynet el-Sanayeh. Les nombreuses manifestations artistiques avant-guerre et les dîners sous les arbres attendaient gentiment que les enfants aient rangé leur bicyclette et leur ballon. Il faisait bon, très bon, d’être dans ce vert si doux qui sentait bon la Méditerranée et ses temps heureux.
Mais il fut un temps aussi au début des années 80 où la présidence du Conseil s’était installée là dans l’ancien hôpital et la politique s’est accompagnée évidemment de nombreuses barricades qui ont vite fait de transformer le quartier en un bunker protégé. La quiétude était rompue et encore plus lorsque l’immeuble Akar, situé dos au jardin et abritant des familles de réfugiés palestiniens est littéralement implosé par une bombe israélienne un funeste jour de 1982. Et que pourraient dire les arbres de ce matin du 7 avril 1983 où fut pendu dans le jardin, quelle sinistre idée, Ibrahim Tarraf qui avait en 1980, à 50 mètres de là, égorgé une mère et son fils. Le jardin de Sanayeh a depuis fait longtemps grise mine surtout que les services de base de propreté et d’aménagement n’étaient plus assurés. Et, en 1989, il fallut tout un bataillon de Forces de sécurité intérieure pour déloger des sans-abris qui y avaient planté leur tente. Jusqu’à ce jour tragique du 22 novembre 1989 où le président nouvellement élu, René Moawad, devait être assassiné devant les portes de ce qui avait été un jour un lieu de promenade et de rêveries.
Mais le jardin a rouvert ses portes en 1991 et a été totalement réaménagé en 2014 par la fondation Azadea. Et si l’envie nous prend, histoire de nous réconcilier avec les arbres de notre ville qu’on appelait ville-jardin, d’aller faire un tour dans le jardin de Sanayeh, rebaptisé en mai 1992 jardin René Moawad, on demandera où est situé l’olivier de Rafic Hariri, offert par la communauté libanaise résidant à Desbourne dans l’État du Michigan aux États-Unis en hommage au Premier ministre assassiné. On essaiera aussi de déchiffrer la thoughra écrite sur la fontaine Hamidiyé qui a été transférée là en 1957 de la place Assour où a pris sa place la statue monumentale de Riad el-Solh. Haute de huit mètres, en marbre blanc sculpté, surmontée d’un croissant, la fontaine a été érigée pour célébrer les 25 ans d’accession au trône du sultan Abdulhamid. Conçue par Youssef Aftimos et exécutée par Youssef Anid, elle porte en arabe et en turc une inscription en hommage au sultan, rédigée par le poète beyrouthin Mohammed Barbir.
On pourra s’assoir sur les nombreux bancs et regarder le ciel toujours bleu au-dessus. On pourra également partager les jeux de trictrac et de cartes, autant de passe-temps pour penser un peu moins à ce qui arrive à ce pays. On s’amusera des écriteaux interdisant la chasse et on se rappellera surtout qu’en juin 2009, il a fallu se mobiliser en nombre pour stopper les velléités douteuses de construire un parking en sous-sol de ce jardin-poumon vert qui a su résister à toutes ces secousses grâce aux nombreux habitués qui, de leur plein gré et dans une initiative toute personnelle et très heureuse, viennent arroser, nettoyer, nourrir les oiseaux et caresser l’âme de ce jardin résistant.
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