Le golfe Arabo-Persique d’Emmanuel Macron
Les tournées d’Emmanuel Macron et du prince héritier saoudien MBS ne sont pas centrées sur le devenir du Liban qui, cependant, pourrait en profiter. Ces initiatives annoncent-elles l’émergence d’un partenariat UE-CCG (Conseil de coopération du Golfe) en faveur du Levant arabe, à l’instar du plan Marshall de reconstruction de l’Europe?

À Vienne, on patauge dans les méandres des négociations sur le nucléaire iranien. À Beyrouth, l’initiative dite française, lancée par Emmanuel Macron au lendemain de l’explosion apocalyptique du 4 août 2020, a fait long feu grâce à la fourberie du pouvoir politico-mafieux du Liban. Comment un homme intelligent, comme le président français, a-t-il pu se laisser piéger? Sa récente tournée dans le golfe Arabo-Persique suscite plus d’une interrogation. La plupart des observateurs de Beyrouth analysent cette tournée à travers la lorgnette libanaise comme si le pays du Cèdre était le centre du monde. On s’interroge, on se triture les méninges pour savoir ce qu’Emmanuel Macron a pu faire pour assouplir les positions radicales de l’Arabie et des pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) à l’égard du Liban, qui passe son temps à jouer les aboyeurs anti-arabes pour le compte des Iraniens.

Un tel nombrilisme fait sourire. On voit mal le président français effectuer une telle tournée par amour du Liban. On voit encore plus mal MBS, le prince héritier saoudien, entreprendre, dans la foulée d’Emmanuel Macron, une tournée chez ses partenaires du CCG en vue de régler la crise libanaise. Les États ne font rien par amour ou par inimitié. Leur politique extérieure est uniquement motivée par leurs intérêts. Il est clair que, suite à l’explosion du port de Beyrouth et de la politique du président Biden, la France et l’Union européenne (UE) avec elle, avaient l’œil sur le pactole que les levées des sanctions contre l’Iran leur permettraient d’engranger dans leurs économies nationales. Aujourd’hui que les pourparlers de Vienne piétinent, faudra-t-il que les pays de l’UE clament «adieu veau, vache, cochon, couvée» en voyant s’éloigner le pactole iranien?

Les tournées de Macron et de MBS devraient se lire au travers de la grille UE-CCG, dans la perspective d’un éventuel futur partenariat euro-arabe, centré sur la Méditerranée orientale, ses richesses en gaz et pétrole, ses détroits d’accès et ses verrous stratégiques. Le Brexit a indiscutablement affaibli militairement l’Europe mais il a insufflé une nouvelle dynamique à l’idée européenne. La normalisation entre Israël et certains États du CCG a stratégiquement renforcé ces derniers et facilité, par conséquent, le rapprochement UE-CCG. Certes, la France pourrait compenser le marché perdu des sous-marins australiens, et c’est tant mieux pour elle. Mais cela n’implique pas d’échafauder un plan français spécifique de règlement de la tragédie libanaise. Cette dernière bénéficiera des effets de la stabilisation, en termes de développement durable, que le couple UE-CCG pourrait induire dans cette Euro-Méditerranée, pivot central de l’histoire humaine.


Penser l’Euro-Méditerranée implique de circonscrire un horizon géographique à ce vaste ensemble. Une telle notion semble inclure, à première vue, les pays riverains de la Méditerranée. Cependant, au vu des bouleversements actuels et de l’expansionnisme iranien, l’espace euro-méditerranéen recouvre aujourd’hui une réalité qui va de l’Atlantique-Nord au golfe Arabo-Persique. La ligne Mésopotamie-Golfe constitue son verrou oriental face à l’Iran. Le Sahara en est la frontière méridionale. Deux grandes inconnues demeurent: la ligne de démarcation Ukraine-Russie ainsi que la position de la Turquie. Dès 1995, fut mis en place le partenariat euro-méditerranéen, à Barcelone, suivi par la politique européenne de voisinage à partir de 2004. D’autres initiatives virent également le jour.

Toute cette stratégie est loin d’avoir donné les fruits escomptés. La tournée d’Emmanuel Macron traduit-elle une volonté d’échafaudage d’un partenariat euro-arabe impliquant de devoir contenir l’expansionnisme iranien, de sécuriser le golfe Arabo-Persique et sa sortie par le détroit d’Hormuz mais également l’entrée en Mer Rouge, puis en Méditerranée, par le détroit de Bab el-Mandeb? Ces considérations suffisent-elles pour comprendre le revirement apparent de la diplomatie française clairement exprimé par la déclaration commune franco-saoudienne exigeant la neutralisation du Liban par l'application des résolutions du Conseil de sécurité 1559 et 1701? La communauté internationale a-t-elle décidé de crever l’abcès libanais? À quel prix? Comment pacifier cet axe de la discorde permanente et de la terreur qui relie géographiquement Téhéran à Beyrouth?

On notera l’insistance de toutes les déclarations sur la nécessité, pour le Liban, d’entreprendre des réformes structurelles. Tout n’est pas de la faute des "autres". À supposer que le danger iranien puisse être écarté, cela ne guérira pas le Liban de ses maux. Toute la structure de la gouvernance libanaise est à réformer conformément aux dispositions constitutionnelles existantes. Qui entreprendra le nettoyage du cloaque? Le Hezbollah et tout le mal qu’il a causé n’est que l’effet du mal structurel qui ronge le Liban.

Emmanuel Macron rêve-t-il d’une sorte de Plan Marshall pour l’Euro-Méditerranée via un partenariat UE-CCG? Ces deux institutions disposent de moyens financiers énormes ainsi que de ressources humaines de pointe. On voit mal qui d’autre pourrait assurer la reconstruction du monde arabe réduit en cendres, ainsi que la durabilité de son développement, conditions essentielles de la protection du vivre-ensemble en Euro-Méditerranée.
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