Toute démocratie saine, respectueuse des règles constitutionnelles, repose sur une passation de pouvoir pacifique. Entouré de pays arabes dont l’histoire est faite de coups d’États et d'autoritarismes à caractère royal ou militaire, cet exercice démocratique (a) fait la spécificité du Liban. Une spécificité qui, malheureusement, ne fait que se perdre, depuis les guerres du Liban (1975-1990) et notamment l’occupation syrienne qui a miné les institutions du pays, jusqu’aux blocages politiques et institutionnels des dernières années, devenus une arme aux mains des parties qui refusent le principe du jeu démocratique.
Même si depuis l’accord de Taëf (1989) l’Exécutif est aux mains du Conseil des ministres, le président de la République reste « le chef de l’État et le symbole de l’unité de la patrie ». Une passation de pouvoir pacifique, au niveau de la Magistrature suprême, demeure un symbole fort envoyé aux Libanais et au reste du monde.
Le président sortant, Elias Hraoui, décorant son successeur du grade extraordinaire de l’Ordre national du mérite le 24 septembre 1998, jour de passation de pouvoirs.
Cette transition obéit à un protocole bien précis. Elle débute par la prestation de serment du président élu devant le Parlement, selon l’article 51 de la Constitution. Ce dernier se rend ensuite au siège de la présidence (Baabda) où il passe en revue un détachement de la garde présidentielle avant d’entrer sous une haie d’épées au palais, accompagné du président sortant. Une cérémonie est généralement organisée par ce dernier en l’honneur de son successeur à qui il décerne le grade extraordinaire de l’Ordre national du mérite.
À l’issue de la cérémonie, le président élu accompagne son prédécesseur à la porte. Ce dernier se dirige vers sa voiture privée sous une haie d’honneur et quitte le palais présidentiel.
Depuis son indépendance, le Liban a eu treize présidents en exercice, dont un, Bachir Gemayel, assassiné avant d’avoir prêté serment, en 1982. Deux assassinats, une démission, trois fins de mandat en période de conflits armés et trois autres fins de mandat sans successeurs élus ont perturbé la vie démocratique du pays ainsi que le protocole prévu pour une transition pacifique et saine du pouvoir.
Un début d’indépendance bancal
Acculé à la démission, le premier président de la République libanaise indépendante Béchara el-Khoury, élu en 1943, démissionne dans la nuit du 17 septembre 1952 et remet le pouvoir à un cabinet présidé par le commandant en chef de l'armée, Fouad Chehab.
Le pays a d’ailleurs mal commencé son indépendance. Le premier président post-1943, Béchara el-Khoury, est acculé à la démission à la suite de grèves et de manifestations populaires. Le 17 septembre 1952, aucune personnalité sunnite n’accepte de former un gouvernement ou n’arrive à le faire. Le président tente alors de convaincre un Hussein Oueyni hésitant à assumer la présidence du Conseil. Les deux hommes convoquent le commandant en chef de l’armée, le général Fouad Chehab, pour tâter le pouls au sujet d’un possible recours à l’armée afin de rétablir l’ordre dans le pays et de permettre ainsi à Béchara el-Khoury de terminer son mandat. Mais le général Chehab refuse en affirmant que la mission de la troupe est de défendre le pays, et non pas une personne, mettant ainsi un terme aux illusions du président. En fin de soirée, Béchara el-Khoury signe trois décrets présidentiels : l’acceptation de la démission du Premier ministre Saëb Salam, la nomination du général Chehab en tant que président du Conseil des ministres et la formation du gouvernement. Le 18 septembre, à deux heures du matin, Béchara el-Khoury dicte sa lettre de démission au vice-premier ministre Nazem Akkari.
La guerre civile de 1958 bouleverse la fin du mandat de Camille Chamoun. Malgré les pressions politiques, il refuse de démissionner lorsque son successeur Fouad Chehab est élu et termine son mandat le 23 septembre 1958. Ci-dessus, les deux hommes lors de la passation de pouvoir le 23 septembre 1958
Élu le 23 septembre 1952, Camille Chamoun a également du mal à achever son mandat. La "crise de 1958" - qui n’était rien d’autre qu’une guerre civile, même si personne ne voulait prononcer ces termes – hisse Fouad Chehab à la présidence de la République alors que les Marines américains débarquent sur les côtes libanaises en juillet de la même année. Le président Chamoun refuse cependant de démissionner et mène son mandat à terme. Le 23 septembre 1958, Camille Chamoun accueille au palais présidentiel, rue Kantari, à Beyrouth, le président Chehab qui venait de prêter serment devant le Parlement. Tous deux vêtus de blanc, ils échangent des politesses, se font prendre en photo, avant que le président Chehab ne raccompagne Camille Chamoun jusqu’au perron. Ce dernier s’engouffre dans sa limousine et se rend à son domicile beyrouthin, puis jusqu’au Bois de Boulogne dans le Metn, où des milliers de partisans affluent pour lui rendre hommage.
Fouad Chehab est un président soulagé qui remet le pouvoir à son successeur Charles Hélou, qu'il avait adoubé, après six ans de pouvoirs qu'il ne souhaitait pas.
C’est en septembre 1964 que se déroule la première vraie passation de pouvoir présidentielle pacifique du Liban indépendant. Alors que le président élu Charles Helou se rend au Parlement pour prêter serment, le président Fouad Chehab reste à Ajaltoun, dans sa résidence d’été où se prépare un vin d’honneur. Il attend avec impatience l’arrivée du nouveau chef de l’État. Après avoir reçu les félicitations des parlementaires, Place de l’Étoile, ce dernier se rend à bord d’une limousine noire vers le Kesrouan. Le président sortant porte un toast à son successeur et lui dit : "Je suis doublement heureux. Vous êtes le président de la République et vous venez me délivrer mon ordre de levée d’écrou !" (Denise Ammoun, Histoire du Liban contemporain, page 365)
Charles Hélou est le seul président à avoir obtenu et remis le pouvoir au cours d'une transition pacifique, en septembre 1964 avec son prédecesseur Fouad Chehab, et en septembre 1970 avec son successeur Sleiman Frangié.
En 1970, le président Charles Helou transfère le pouvoir normalement à son successeur, Sleiman Frangié. Après avoir suivi à la télévision la prestation de serment et le discours de ce dernier devant la Chambre, Charles Helou se retire avec son épouse Nina dans les appartements présidentiels.
Avant l’arrivée du cortège du nouveau président, le couple se rend au rez-de-chaussée du Palais de Baabda pour accueillir les nombreuses personnalités conviées pour l’occasion. Nina Helou avait préparé un grand buffet. À l’arrivée de Sleiman Frangié et de son épouse, Iris, les deux présidents sortant et élu se donnent l’accolade sur le perron. Une fois la cérémonie et l’échange de politesse terminés, Charles et Nina Helou montent à bord de leur voiture personnelle et se rendent chez eux.
Les guerres chamboulent tout
Le président Frangié ne peut pas remettre à son successeur Elias Sarkis le palais présidentiel qu'il a dû fuire quelques mois plus tôt en raison des risques de bombardements
Les troubles qui secouent le Liban durant la première moitié des années 1970 compliquent le mandat de Sleiman Frangié. Le 13 avril 1975, "début officiel" des guerres du Liban, marque aussi le début du déclin des institutions du pays. Pressé par la Syrie de Hafez el-Assad, Sleiman Frangié accepte une modification de la Constitution qui ouvre la voie à l’élection de son successeur, Elias Sarkis, en mai 1976, soit six mois avant la fin du mandat présidentiel. Mais, tout comme Camille Chamoun, il refuse de quitter son poste avant le dernier jour de son mandat, alors que, dans les faits, Sleiman Frangié et l’Etat libanais en général, avaient perdu tout contrôle de la situation dans le pays, livré à une guerre destructrice.
Le 23 septembre 1976, la passation du pouvoir se déroule à Zouk Mikaël, dans le Kesrouan, siège provisoire de la présidence de la République, depuis le 25 mars. Ce jour-là, les forces palestino-progressistes avaient envahi l’aéroport de Khaldé, dans la banlieue sud de Beyrouth et pouvaient donc facilement tirer sur le Palais de Baabda.
En présence des anciens présidents Alfred Naccache (1941-1943, sous la mandat français) et Charles Helou, le président élu, Elias Sarkis, se rend chez Sleiman Frangié avant de prêter serment. Une entorse au protocole pour des raisons logistiques. Le futur chef de l’État est obligé de se rendre à Chtaura, dans la Békaa, pour prêter serment devant une Chambre des députés réunie dans un hôtel, sous protection syrienne. Il prend ensuite le chemin du Palais de Baabda, une bâtisse endommagée, aux murs criblés d’impacts d’obus ou troués, aux vitres brisées. Un palais presque en ruines, à l’image du pays.
Les six ans difficiles du mandat d’Elias Sarkis auraient pu se terminer sur une note positive avec l’élection à la tête de l’État de Bachir Gemayel, porteur de nombreux espoirs. Mais le président élu est assassiné neuf jours avant la fin du mandat présidentiel, le 14 septembre 1982, et avant qu’il ne prête serment devant la Chambre. Le lendemain, l’armée israélienne entre dans la partie ouest de la capitale et vingt-quatre heures plus tard, le massacre de Sabra et Chatila commence.
Président de crise alors que le pays sombre dans les guerres, Elias Sarkis remet le pouvoir sobrement à Amine Gemayel fraichement élu, alors que le pouvoir devait revenir à son frère Bachir, assassiné quelques jours avant le début de son mandat.
C’est un Elias Sarkis affligé qui passe le flambeau à Amine Gemayel. Le 23 septembre 1982, après avoir suivi à la télévision la prestation de serment du président élu la veille, le président Sarkis accueille son successeur dans un palais complètement détruit. Une fois Amine Gemayel descendu de sa Cadillac noire escortée de motards, la cérémonie de passation de pouvoir se déroule rapidement, sans faste ni célébration. Elias Sarkis serre longuement la main du président Gemayel devant les journalistes, lui souhaite bonne chance et quitte Baabda dans sa voiture personnelle.
Le mandat d’Amine Gemayel est marqué par une période de vides politiques : à l’Est comme à l’Ouest, des luttes internes dans chaque camp émergent. L’élection d’un président de la République, à la fin de son mandat, en septembre 1988, est empêchée pour diverses raisons, notamment les divisions interchrétiennes et les tentatives d’Amine Gemayel de garder le pouvoir et d’obtenir la prorogation de son mandat par le Parlement. La journée du 22 septembre est particulièrement longue pour Amine Gemayel. N’ayant pas de successeur élu, ne pouvant pas garder le pouvoir légalement et n’ayant qu’un Conseil des ministres démissionnaire sans président, il doit transférer le pouvoir exécutif à minuit à un président élu – impossible car la Chambre ne compte pas se réunir – ou à un gouvernement de transition. La dernière journée d’Amine Gemayel au Palais débute par un entretien avec l’ancien président Charles Helou qui refuse de prendre les rênes d’un pays en ruine. Dans l’après-midi, il tente, soutenu par Pierre Helou, René Moawad et Michel Eddé, de former un cabinet de transition présidé par le député Pierre Helou, puis de renflouer le gouvernement démissionnaire, mais les personnalités musulmanes refusent toutes d’intégrer un cabinet de transition.
Amine Gemayel, président de 1982 à 1988, quitte le palais de Baabda dans la nuit du 22 septembre 1988. Sans président-élu, il transfère le pouvoir à un cabinet militaire présidé par le général Michel Aoun
Le palais présidentiel grouille de monde : hommes politiques, militaires et miliciens, déterminés à éviter un vide institutionnel. A 21h30, le président sortant réunit toutes les personnes présentes pour examiner, une dernière fois, toutes les formules de solution possibles, notamment celle de nommer le commandant en chef de l’armée, le général Michel Aoun à la tête du gouvernement, comme l’avait fait Béchara el-Khoury lors de sa démission. À 22h30, soit une heure et demie avant l’expiration de son mandat, Amine Gemayel clôture la réunion en affirmant " refuser de former un gouvernement sans l’approbation de Samir Geagea [chef des Forces libanaises ndlr] et du général Aoun". Mis au pied du mur, Samir Geagea accepte, et Amine Gemayel signe les décrets de formation d’un gouvernement de militaires, moins d’une heure avant la fin de son mandat.
Passé minuit, c’est le citoyen Amine Gemayel qui sort du palais présidentiel, avant de quitter le pays quelques jours plus tard pour un exil forcé de douze ans.
À partir du 23 septembre 1988, le pays entre dans une période de vide présidentiel, la seconde mais malheureusement pas la dernière de son histoire. Un an plus tard, au terme de trois semaines de discussions en Arabie saoudite, les députés élus en 1972 approuvent l’accord de Taëf, puis élisent René Moawad, le 5 novembre 1989, à la tête de l’État. Mais l’entêtement de Michel Aoun, qui rejetait Taëf et qui dissout le Parlement, empêche une passation du pouvoir pacifique. Le Liban reste scindé en deux.
Premier président élu après l'accord de Taëf qu'il avait parrainé et porté, René Moawad est assassiné le 22 novembre à Sanayeh après une cérémonie pour fêter " l'indépendance" du pays
Le 22 novembre 1989, soit 17 jours après son élection, le président Moawad est tué dans un attentat à l’explosif à Sanayeh, dans la partie ouest de Beyrouth, au terme d’une cérémonie célébrant "l’indépendance" du pays. René Moawad qui, au risque de sa vie, voulait redonner confiance au peuple libanais en l’État après 14 ans de conflits armés, n’avait pas voulu écouter les conseils de ses proches – et même de certains de ses adversaires politiques – qui le savaient menacé et qui lui demandaient de ne pas se rendre aux cérémonies publiques tant qu’un règlement politique n’avait pas été trouvé à la scission gouvernementale Aoun-Hoss. René Moawad a vécu le dernier jour de son mandat, interrompu par une bombe, comme sa vie : une journée dédiée au Liban et à la paix. Un successeur lui est rapidement choisi par Damas. Deux jours plus tard, le 24 novembre 1989, la Chambre élit Elias Hraoui, le président de la "paix", au Park hôtel de Chtaura, sous haute surveillance syrienne.
Une vraie passation, mais à l’ombre syrienne
Neuf ans plus tard, après un mandat prorogé de trois ans, à la demande du président syrien Hafez el-Assad, suite à un amendement de la Constitution "pour une fois et à titre exceptionnel", le président Elias Hraoui passe la main à un successeur, également choisi par Damas : le commandant en chef de l’armée, Émile Lahoud. Ce dernier est élu président de la République par une Chambre inféodée à l’occupant syrien, qui amende de nouveau la Constitution "pour une fois et à titre exceptionnel" afin de permettre à un officier supérieur d’être élu.
Après neuf ans à la tête de l'État, le premier président de l'ère-Taëf, Elias Hraoui organise la première transition du pouvoir selon le protocole en 28 ans.
Le 23 novembre en soirée, le président sortant s’adresse à la Nation pour faire ses adieux aux Libanais. Deux jours plus tôt, il avait pourtant dressé le bilan de son long mandat, dans un discours à la veille de la fête de l’Indépendance.
Le 24 novembre au matin, alors que le président élu est au Parlement pour la prestation de serment, Elias Hraoui, suit à partir de son poste de télévision, la cérémonie qui se déroule Place l’Étoile, « avec un serrement au cœur », entouré de ses proches collaborateurs et des membres de sa famille. Tout est en place au palais de Baabda pour la passation de pouvoir. Une cérémonie restreinte y est prévue, selon les vœux du général. Le président sortant ne s’attendait cependant pas à être décrié par son successeur. Émile Lahoud, dans son discours d’investiture, est très dur envers l’équipe sortante et ne fait aucunement mention de celui qui a gouverné le pays pendant neuf ans.
Les discours et le vin d’honneur terminés, Place de l’Étoile, Elias Hraoui, entouré du chef du protocole à Baabda, Maroun Haimari et de ses conseillers, se prépare à accueillir son successeur. Il l’attend sur le perron du palais. Mais ce dernier a une demi-heure de retard. Et pour cause : il est pris dans un embouteillage au niveau du secteur de la Galerie Semaan car il avait refusé d’être accompagné d’une escorte sirènes hurlantes. Après une revue rapide de la garde présidentielle et l’entrée sous les épées, les deux présidents rejoignent les personnalités et les journalistes dans la pièce où doit se tenir la passation de pouvoir. Elias Hraoui, visiblement ému, prononce quelques mots de circonstances, rend hommage à Émile Lahoud et le décore du Grade extraordinaire de l’ordre national du Mérite selon le protocole, en soulignant que lui, n’y avait pas eu droit à son investiture.
Après une poignée de mains à la demande des photographes souhaitant immortaliser le moment, le président sortant se voit humilié une seconde fois en moins d’une heure : Émile Lahoud ne répond pas à l’hommage qui lui est rendu et reste muet. Elias Hraoui, se sentant de trop, tire sa révérence, monte dans sa voiture et quitte le palais sobrement avant de retrouver sa femme et la vie civile.
L’heure des blocages
Émile Lahoud sera le locataire de Baabda pour neuf ans, toujours suivant les vœux de Damas, après un nouvel amendement de la Constitution "pour une fois et à titre exceptionnel". En novembre 2007, deux ans après le retrait des forces syriennes du Liban et alors que les institutions étaient bloquées par le Hezbollah et ses alliés depuis presqu'un an, Émile Lahoud ne reconnaît pas le gouvernement de Fouad Siniora. Celui-ci est amputé des ministres chiites du 8 Mars. La Chambre est parallèlement bloquée par son président, Nabih Berry.
"Nommé par Damas", Emile Lahoud quitte le palais de Baabda à minuit moins cinq, sans successeur, dû au blocage politique du camp du 8 mars.
Le 23 novembre, dernier jour de son mandat, le président sortant n’accueillera aucun successeur. Il commence sa journée normalement. Aucun rendez-vous n’est fixé. Il suit à la télé la séance électorale convoquée Place de l’Étoile pour l’élection d’un président. Elle est reportée pour la cinquième fois consécutive. Il accueille ensuite une délégation du bloc parlementaire du Hezbollah menée par Mohammad Raad, qui tente de le convaincre de former un second gouvernement. Emile Lahoud reçoit également, personnellement ou par téléphone, des proches et des personnalités politiques venus faire leurs adieux au président. Au cours de la journée, il décerne des médailles à ses principaux collaborateurs et à des fonctionnaires du palais. En début de soirée, le président tente de décréter un état d’urgence dans le pays. Dans un communiqué lu par son conseiller de presse, Rafic Chelala, Émile Lahoud justifie sa décision par l’"illégitimité du gouvernement" et l’absence de successeur. Une décision immédiatement rejetée par Fouad Siniora, que le commandant de l’armée, Michel Sleimane, ne met pas à exécution.
La dernière soirée à Baabda se déroule tranquillement, en présence des membres de la famille et de quelques amis. Émile Lahoud suit une interview télévisée de Sélim Jreissati, son conseiller. Enfin, le président se retrouve seul dans le salon de la résidence. A 11h 55, son chef du protocole Maroun Haimari lui demande de se préparer. Le directeur d’al Jazeera, Ghassan Ben Jeddo, filme ses derniers moments alors qu’il passe en revue la garde présidentielle devant plus de trois cents journalistes. Il quitte le palais en appelant à élire un président "fort et consensuel, avec un quorum de deux tiers des députés". Entre-temps, des centaines de personnes fêtent son départ à Tariq el Jdideh à coups de feu d’artifices et de dabké.
Quelques mois plus tard, suite à l’occupation de la capitale par les combattants du Hezbollah et de ses alliés, les forces politiques s’entendent sur une nouvelle formule et un nouveau président, le commandant en chef de l’armée, le général Michel Sleiman. Ce dernier est élu le 25 mai 2008 pour un mandant de six ans. Mais six ans plus tard, rebelote. Un vide présidentiel s’installe. Le 24 mai 2014, Michel Sleimane sort du palais comme il y est entré, seul. On est samedi. Le président sortant est prêt pour le départ. Contacté par Ici Beyrouth, l’ancien conseiller de presse de Michel Sleiman, Adib Abi Akl raconte qu’au cours de la semaine précédant son départ, le chef de l’État avait rencontré tous ses collaborateurs, ainsi que le personnel du palais présidentiel, décoré ceux d’entre eux qui le méritaient, présidé un dernier Conseil des ministres et préparé sa dernière journée. Il signe le décret de naturalisation de 644 personnes de différentes nationalités. Contrairement à d’autres présidents, ce n’est qu’après "deux ans de longues enquêtes et selon des critères et des normes précises et légales, notamment sur base du mérite, que ces personnes ont obtenu la nationalité libanaise" souligne Adib Abi Akl.
Rendez-vous avec l’inconnu
Le 24 mai 2014, à partir de 11h, Michel Sleiman accueille au palais les quelque 450 personnes invitées pour l’occasion. Parmi elles, le leader druze Walid Joumblatt à qui le président décerne le Grand cordon de l’Ordre national du mérite. Devant un parterre de personnalités – parmi lesquelles le Hezbollah ne figure pas, puisqu’il a boycotté le dernier jour du parrain de la Déclaration de Baabda - Michel Sleiman appelle au dialogue national pour élaborer d’urgence une stratégie de défense qu’il n’a pas pu mettre en place. Il souligne que les différends interlibanais "sont le résultat d’influences étrangères". Il demande également au Parlement -après avoir signé un décret d’ouverture d’une session extraordinaire essentiellement pour le vote d’une nouvelle loi électorale- d’élire rapidement son successeur. Il s’adresse "aux forces vives de la Nation", appelant à "user de tous moyens de sensibilisation, d’objection et de pression, notamment les élections, pour demander des comptes (aux gouvernants) et exiger la transparence". Il encourage enfin la jeunesse libanaise à « créer des groupes et des partis interconfessionnels et à s’engager dans tous les efforts fournis pour contribuer à l’édification de l’État auquel elle aspire ».
Michel Sleiman est le seul président à ne pas être accueilli par son prédécesseur et à ne pas avoir accueilli de successeur, le camp du 8 mars ayant bloqué les élections présidentielles de 2007 et 2014
Le départ du président sortant, prévu pour 13h n’a lieu que vers 15h, selon le protocole d’une transition de pouvoir. Sous les épées de la garde d’honneur présidentielle, Michel Sleiman quitte le palais de Baabda en direction de son appartement de Yarzé où l’attend sa femme Wafa. Ensemble, ils se rendent ensuite à Amchit, son village natal où l’attendaient sa famille, ses amis et une foule de partisans venus l’acclamer.
Ce jour-là, Michel Sleiman exerce ses prérogatives jusqu’au bout. Son conseiller politique et médiatique, Béchara Khairallah, contacté par Ici Beyrouth souligne que même si le président n’a pas suivi l’exemple de son prédécesseur, en restant jusqu’à minuit au palais de Baabda, "il a continué à assurer ses fonctions jusqu’à minuit, signant plusieurs décrets et décisions" qui ont été envoyés le lendemain aux institutions compétentes. Son départ à midi était un message aux Libanais, mais également au reste du monde, que le Liban "est le seul pays arabe où un président élu démocratiquement quitte ses fonctions à la fin de son mandat, sans prorogation", précise Béchara Khairallah. Il était d’ailleurs opposé à ce que son mandat soit renouvelé.
Michel Aoun, tout juste élu président de la République, passant en revue la garde d'honneur avant son entrée au Palais présidentiel de Baabda, le 31 octobre 2016
Ce dimanche 30 octobre 2022, le président de la République Michel Aoun devrait, en principe, quitter le Palais de Baabda. Comme les deux dernières fois, c’est-à-dire sans remplaçant. Des rumeurs avaient circulé depuis quelques semaines, selon lesquelles Michel Aoun tenterait de rester sur son trône, pour éviter que le gouvernement d’expédition des affaires courantes de Najib Mikati, n’assume les prérogatives présidentielles. Elles ont été toutes rejetés par le président et son camp.
Michel Aoun quittera Baabda pour Rabieh, autour de 11h. Le Liban, plongé dans une crise économique et financière inédite, a rendez-vous avec l’inconnu.
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Même si depuis l’accord de Taëf (1989) l’Exécutif est aux mains du Conseil des ministres, le président de la République reste « le chef de l’État et le symbole de l’unité de la patrie ». Une passation de pouvoir pacifique, au niveau de la Magistrature suprême, demeure un symbole fort envoyé aux Libanais et au reste du monde.
Le président sortant, Elias Hraoui, décorant son successeur du grade extraordinaire de l’Ordre national du mérite le 24 septembre 1998, jour de passation de pouvoirs.
Cette transition obéit à un protocole bien précis. Elle débute par la prestation de serment du président élu devant le Parlement, selon l’article 51 de la Constitution. Ce dernier se rend ensuite au siège de la présidence (Baabda) où il passe en revue un détachement de la garde présidentielle avant d’entrer sous une haie d’épées au palais, accompagné du président sortant. Une cérémonie est généralement organisée par ce dernier en l’honneur de son successeur à qui il décerne le grade extraordinaire de l’Ordre national du mérite.
À l’issue de la cérémonie, le président élu accompagne son prédécesseur à la porte. Ce dernier se dirige vers sa voiture privée sous une haie d’honneur et quitte le palais présidentiel.
Depuis son indépendance, le Liban a eu treize présidents en exercice, dont un, Bachir Gemayel, assassiné avant d’avoir prêté serment, en 1982. Deux assassinats, une démission, trois fins de mandat en période de conflits armés et trois autres fins de mandat sans successeurs élus ont perturbé la vie démocratique du pays ainsi que le protocole prévu pour une transition pacifique et saine du pouvoir.
Un début d’indépendance bancal
Acculé à la démission, le premier président de la République libanaise indépendante Béchara el-Khoury, élu en 1943, démissionne dans la nuit du 17 septembre 1952 et remet le pouvoir à un cabinet présidé par le commandant en chef de l'armée, Fouad Chehab.
Le pays a d’ailleurs mal commencé son indépendance. Le premier président post-1943, Béchara el-Khoury, est acculé à la démission à la suite de grèves et de manifestations populaires. Le 17 septembre 1952, aucune personnalité sunnite n’accepte de former un gouvernement ou n’arrive à le faire. Le président tente alors de convaincre un Hussein Oueyni hésitant à assumer la présidence du Conseil. Les deux hommes convoquent le commandant en chef de l’armée, le général Fouad Chehab, pour tâter le pouls au sujet d’un possible recours à l’armée afin de rétablir l’ordre dans le pays et de permettre ainsi à Béchara el-Khoury de terminer son mandat. Mais le général Chehab refuse en affirmant que la mission de la troupe est de défendre le pays, et non pas une personne, mettant ainsi un terme aux illusions du président. En fin de soirée, Béchara el-Khoury signe trois décrets présidentiels : l’acceptation de la démission du Premier ministre Saëb Salam, la nomination du général Chehab en tant que président du Conseil des ministres et la formation du gouvernement. Le 18 septembre, à deux heures du matin, Béchara el-Khoury dicte sa lettre de démission au vice-premier ministre Nazem Akkari.
La guerre civile de 1958 bouleverse la fin du mandat de Camille Chamoun. Malgré les pressions politiques, il refuse de démissionner lorsque son successeur Fouad Chehab est élu et termine son mandat le 23 septembre 1958. Ci-dessus, les deux hommes lors de la passation de pouvoir le 23 septembre 1958
Élu le 23 septembre 1952, Camille Chamoun a également du mal à achever son mandat. La "crise de 1958" - qui n’était rien d’autre qu’une guerre civile, même si personne ne voulait prononcer ces termes – hisse Fouad Chehab à la présidence de la République alors que les Marines américains débarquent sur les côtes libanaises en juillet de la même année. Le président Chamoun refuse cependant de démissionner et mène son mandat à terme. Le 23 septembre 1958, Camille Chamoun accueille au palais présidentiel, rue Kantari, à Beyrouth, le président Chehab qui venait de prêter serment devant le Parlement. Tous deux vêtus de blanc, ils échangent des politesses, se font prendre en photo, avant que le président Chehab ne raccompagne Camille Chamoun jusqu’au perron. Ce dernier s’engouffre dans sa limousine et se rend à son domicile beyrouthin, puis jusqu’au Bois de Boulogne dans le Metn, où des milliers de partisans affluent pour lui rendre hommage.
Fouad Chehab est un président soulagé qui remet le pouvoir à son successeur Charles Hélou, qu'il avait adoubé, après six ans de pouvoirs qu'il ne souhaitait pas.
C’est en septembre 1964 que se déroule la première vraie passation de pouvoir présidentielle pacifique du Liban indépendant. Alors que le président élu Charles Helou se rend au Parlement pour prêter serment, le président Fouad Chehab reste à Ajaltoun, dans sa résidence d’été où se prépare un vin d’honneur. Il attend avec impatience l’arrivée du nouveau chef de l’État. Après avoir reçu les félicitations des parlementaires, Place de l’Étoile, ce dernier se rend à bord d’une limousine noire vers le Kesrouan. Le président sortant porte un toast à son successeur et lui dit : "Je suis doublement heureux. Vous êtes le président de la République et vous venez me délivrer mon ordre de levée d’écrou !" (Denise Ammoun, Histoire du Liban contemporain, page 365)
Charles Hélou est le seul président à avoir obtenu et remis le pouvoir au cours d'une transition pacifique, en septembre 1964 avec son prédecesseur Fouad Chehab, et en septembre 1970 avec son successeur Sleiman Frangié.
En 1970, le président Charles Helou transfère le pouvoir normalement à son successeur, Sleiman Frangié. Après avoir suivi à la télévision la prestation de serment et le discours de ce dernier devant la Chambre, Charles Helou se retire avec son épouse Nina dans les appartements présidentiels.
Avant l’arrivée du cortège du nouveau président, le couple se rend au rez-de-chaussée du Palais de Baabda pour accueillir les nombreuses personnalités conviées pour l’occasion. Nina Helou avait préparé un grand buffet. À l’arrivée de Sleiman Frangié et de son épouse, Iris, les deux présidents sortant et élu se donnent l’accolade sur le perron. Une fois la cérémonie et l’échange de politesse terminés, Charles et Nina Helou montent à bord de leur voiture personnelle et se rendent chez eux.
Les guerres chamboulent tout
Le président Frangié ne peut pas remettre à son successeur Elias Sarkis le palais présidentiel qu'il a dû fuire quelques mois plus tôt en raison des risques de bombardements
Les troubles qui secouent le Liban durant la première moitié des années 1970 compliquent le mandat de Sleiman Frangié. Le 13 avril 1975, "début officiel" des guerres du Liban, marque aussi le début du déclin des institutions du pays. Pressé par la Syrie de Hafez el-Assad, Sleiman Frangié accepte une modification de la Constitution qui ouvre la voie à l’élection de son successeur, Elias Sarkis, en mai 1976, soit six mois avant la fin du mandat présidentiel. Mais, tout comme Camille Chamoun, il refuse de quitter son poste avant le dernier jour de son mandat, alors que, dans les faits, Sleiman Frangié et l’Etat libanais en général, avaient perdu tout contrôle de la situation dans le pays, livré à une guerre destructrice.
Le 23 septembre 1976, la passation du pouvoir se déroule à Zouk Mikaël, dans le Kesrouan, siège provisoire de la présidence de la République, depuis le 25 mars. Ce jour-là, les forces palestino-progressistes avaient envahi l’aéroport de Khaldé, dans la banlieue sud de Beyrouth et pouvaient donc facilement tirer sur le Palais de Baabda.
En présence des anciens présidents Alfred Naccache (1941-1943, sous la mandat français) et Charles Helou, le président élu, Elias Sarkis, se rend chez Sleiman Frangié avant de prêter serment. Une entorse au protocole pour des raisons logistiques. Le futur chef de l’État est obligé de se rendre à Chtaura, dans la Békaa, pour prêter serment devant une Chambre des députés réunie dans un hôtel, sous protection syrienne. Il prend ensuite le chemin du Palais de Baabda, une bâtisse endommagée, aux murs criblés d’impacts d’obus ou troués, aux vitres brisées. Un palais presque en ruines, à l’image du pays.
Les six ans difficiles du mandat d’Elias Sarkis auraient pu se terminer sur une note positive avec l’élection à la tête de l’État de Bachir Gemayel, porteur de nombreux espoirs. Mais le président élu est assassiné neuf jours avant la fin du mandat présidentiel, le 14 septembre 1982, et avant qu’il ne prête serment devant la Chambre. Le lendemain, l’armée israélienne entre dans la partie ouest de la capitale et vingt-quatre heures plus tard, le massacre de Sabra et Chatila commence.
Président de crise alors que le pays sombre dans les guerres, Elias Sarkis remet le pouvoir sobrement à Amine Gemayel fraichement élu, alors que le pouvoir devait revenir à son frère Bachir, assassiné quelques jours avant le début de son mandat.
C’est un Elias Sarkis affligé qui passe le flambeau à Amine Gemayel. Le 23 septembre 1982, après avoir suivi à la télévision la prestation de serment du président élu la veille, le président Sarkis accueille son successeur dans un palais complètement détruit. Une fois Amine Gemayel descendu de sa Cadillac noire escortée de motards, la cérémonie de passation de pouvoir se déroule rapidement, sans faste ni célébration. Elias Sarkis serre longuement la main du président Gemayel devant les journalistes, lui souhaite bonne chance et quitte Baabda dans sa voiture personnelle.
Le mandat d’Amine Gemayel est marqué par une période de vides politiques : à l’Est comme à l’Ouest, des luttes internes dans chaque camp émergent. L’élection d’un président de la République, à la fin de son mandat, en septembre 1988, est empêchée pour diverses raisons, notamment les divisions interchrétiennes et les tentatives d’Amine Gemayel de garder le pouvoir et d’obtenir la prorogation de son mandat par le Parlement. La journée du 22 septembre est particulièrement longue pour Amine Gemayel. N’ayant pas de successeur élu, ne pouvant pas garder le pouvoir légalement et n’ayant qu’un Conseil des ministres démissionnaire sans président, il doit transférer le pouvoir exécutif à minuit à un président élu – impossible car la Chambre ne compte pas se réunir – ou à un gouvernement de transition. La dernière journée d’Amine Gemayel au Palais débute par un entretien avec l’ancien président Charles Helou qui refuse de prendre les rênes d’un pays en ruine. Dans l’après-midi, il tente, soutenu par Pierre Helou, René Moawad et Michel Eddé, de former un cabinet de transition présidé par le député Pierre Helou, puis de renflouer le gouvernement démissionnaire, mais les personnalités musulmanes refusent toutes d’intégrer un cabinet de transition.
Amine Gemayel, président de 1982 à 1988, quitte le palais de Baabda dans la nuit du 22 septembre 1988. Sans président-élu, il transfère le pouvoir à un cabinet militaire présidé par le général Michel Aoun
Le palais présidentiel grouille de monde : hommes politiques, militaires et miliciens, déterminés à éviter un vide institutionnel. A 21h30, le président sortant réunit toutes les personnes présentes pour examiner, une dernière fois, toutes les formules de solution possibles, notamment celle de nommer le commandant en chef de l’armée, le général Michel Aoun à la tête du gouvernement, comme l’avait fait Béchara el-Khoury lors de sa démission. À 22h30, soit une heure et demie avant l’expiration de son mandat, Amine Gemayel clôture la réunion en affirmant " refuser de former un gouvernement sans l’approbation de Samir Geagea [chef des Forces libanaises ndlr] et du général Aoun". Mis au pied du mur, Samir Geagea accepte, et Amine Gemayel signe les décrets de formation d’un gouvernement de militaires, moins d’une heure avant la fin de son mandat.
Passé minuit, c’est le citoyen Amine Gemayel qui sort du palais présidentiel, avant de quitter le pays quelques jours plus tard pour un exil forcé de douze ans.
À partir du 23 septembre 1988, le pays entre dans une période de vide présidentiel, la seconde mais malheureusement pas la dernière de son histoire. Un an plus tard, au terme de trois semaines de discussions en Arabie saoudite, les députés élus en 1972 approuvent l’accord de Taëf, puis élisent René Moawad, le 5 novembre 1989, à la tête de l’État. Mais l’entêtement de Michel Aoun, qui rejetait Taëf et qui dissout le Parlement, empêche une passation du pouvoir pacifique. Le Liban reste scindé en deux.
Premier président élu après l'accord de Taëf qu'il avait parrainé et porté, René Moawad est assassiné le 22 novembre à Sanayeh après une cérémonie pour fêter " l'indépendance" du pays
Le 22 novembre 1989, soit 17 jours après son élection, le président Moawad est tué dans un attentat à l’explosif à Sanayeh, dans la partie ouest de Beyrouth, au terme d’une cérémonie célébrant "l’indépendance" du pays. René Moawad qui, au risque de sa vie, voulait redonner confiance au peuple libanais en l’État après 14 ans de conflits armés, n’avait pas voulu écouter les conseils de ses proches – et même de certains de ses adversaires politiques – qui le savaient menacé et qui lui demandaient de ne pas se rendre aux cérémonies publiques tant qu’un règlement politique n’avait pas été trouvé à la scission gouvernementale Aoun-Hoss. René Moawad a vécu le dernier jour de son mandat, interrompu par une bombe, comme sa vie : une journée dédiée au Liban et à la paix. Un successeur lui est rapidement choisi par Damas. Deux jours plus tard, le 24 novembre 1989, la Chambre élit Elias Hraoui, le président de la "paix", au Park hôtel de Chtaura, sous haute surveillance syrienne.
Une vraie passation, mais à l’ombre syrienne
Neuf ans plus tard, après un mandat prorogé de trois ans, à la demande du président syrien Hafez el-Assad, suite à un amendement de la Constitution "pour une fois et à titre exceptionnel", le président Elias Hraoui passe la main à un successeur, également choisi par Damas : le commandant en chef de l’armée, Émile Lahoud. Ce dernier est élu président de la République par une Chambre inféodée à l’occupant syrien, qui amende de nouveau la Constitution "pour une fois et à titre exceptionnel" afin de permettre à un officier supérieur d’être élu.
Après neuf ans à la tête de l'État, le premier président de l'ère-Taëf, Elias Hraoui organise la première transition du pouvoir selon le protocole en 28 ans.
Le 23 novembre en soirée, le président sortant s’adresse à la Nation pour faire ses adieux aux Libanais. Deux jours plus tôt, il avait pourtant dressé le bilan de son long mandat, dans un discours à la veille de la fête de l’Indépendance.
Le 24 novembre au matin, alors que le président élu est au Parlement pour la prestation de serment, Elias Hraoui, suit à partir de son poste de télévision, la cérémonie qui se déroule Place l’Étoile, « avec un serrement au cœur », entouré de ses proches collaborateurs et des membres de sa famille. Tout est en place au palais de Baabda pour la passation de pouvoir. Une cérémonie restreinte y est prévue, selon les vœux du général. Le président sortant ne s’attendait cependant pas à être décrié par son successeur. Émile Lahoud, dans son discours d’investiture, est très dur envers l’équipe sortante et ne fait aucunement mention de celui qui a gouverné le pays pendant neuf ans.
Les discours et le vin d’honneur terminés, Place de l’Étoile, Elias Hraoui, entouré du chef du protocole à Baabda, Maroun Haimari et de ses conseillers, se prépare à accueillir son successeur. Il l’attend sur le perron du palais. Mais ce dernier a une demi-heure de retard. Et pour cause : il est pris dans un embouteillage au niveau du secteur de la Galerie Semaan car il avait refusé d’être accompagné d’une escorte sirènes hurlantes. Après une revue rapide de la garde présidentielle et l’entrée sous les épées, les deux présidents rejoignent les personnalités et les journalistes dans la pièce où doit se tenir la passation de pouvoir. Elias Hraoui, visiblement ému, prononce quelques mots de circonstances, rend hommage à Émile Lahoud et le décore du Grade extraordinaire de l’ordre national du Mérite selon le protocole, en soulignant que lui, n’y avait pas eu droit à son investiture.
Après une poignée de mains à la demande des photographes souhaitant immortaliser le moment, le président sortant se voit humilié une seconde fois en moins d’une heure : Émile Lahoud ne répond pas à l’hommage qui lui est rendu et reste muet. Elias Hraoui, se sentant de trop, tire sa révérence, monte dans sa voiture et quitte le palais sobrement avant de retrouver sa femme et la vie civile.
L’heure des blocages
Émile Lahoud sera le locataire de Baabda pour neuf ans, toujours suivant les vœux de Damas, après un nouvel amendement de la Constitution "pour une fois et à titre exceptionnel". En novembre 2007, deux ans après le retrait des forces syriennes du Liban et alors que les institutions étaient bloquées par le Hezbollah et ses alliés depuis presqu'un an, Émile Lahoud ne reconnaît pas le gouvernement de Fouad Siniora. Celui-ci est amputé des ministres chiites du 8 Mars. La Chambre est parallèlement bloquée par son président, Nabih Berry.
"Nommé par Damas", Emile Lahoud quitte le palais de Baabda à minuit moins cinq, sans successeur, dû au blocage politique du camp du 8 mars.
Le 23 novembre, dernier jour de son mandat, le président sortant n’accueillera aucun successeur. Il commence sa journée normalement. Aucun rendez-vous n’est fixé. Il suit à la télé la séance électorale convoquée Place de l’Étoile pour l’élection d’un président. Elle est reportée pour la cinquième fois consécutive. Il accueille ensuite une délégation du bloc parlementaire du Hezbollah menée par Mohammad Raad, qui tente de le convaincre de former un second gouvernement. Emile Lahoud reçoit également, personnellement ou par téléphone, des proches et des personnalités politiques venus faire leurs adieux au président. Au cours de la journée, il décerne des médailles à ses principaux collaborateurs et à des fonctionnaires du palais. En début de soirée, le président tente de décréter un état d’urgence dans le pays. Dans un communiqué lu par son conseiller de presse, Rafic Chelala, Émile Lahoud justifie sa décision par l’"illégitimité du gouvernement" et l’absence de successeur. Une décision immédiatement rejetée par Fouad Siniora, que le commandant de l’armée, Michel Sleimane, ne met pas à exécution.
La dernière soirée à Baabda se déroule tranquillement, en présence des membres de la famille et de quelques amis. Émile Lahoud suit une interview télévisée de Sélim Jreissati, son conseiller. Enfin, le président se retrouve seul dans le salon de la résidence. A 11h 55, son chef du protocole Maroun Haimari lui demande de se préparer. Le directeur d’al Jazeera, Ghassan Ben Jeddo, filme ses derniers moments alors qu’il passe en revue la garde présidentielle devant plus de trois cents journalistes. Il quitte le palais en appelant à élire un président "fort et consensuel, avec un quorum de deux tiers des députés". Entre-temps, des centaines de personnes fêtent son départ à Tariq el Jdideh à coups de feu d’artifices et de dabké.
Quelques mois plus tard, suite à l’occupation de la capitale par les combattants du Hezbollah et de ses alliés, les forces politiques s’entendent sur une nouvelle formule et un nouveau président, le commandant en chef de l’armée, le général Michel Sleiman. Ce dernier est élu le 25 mai 2008 pour un mandant de six ans. Mais six ans plus tard, rebelote. Un vide présidentiel s’installe. Le 24 mai 2014, Michel Sleimane sort du palais comme il y est entré, seul. On est samedi. Le président sortant est prêt pour le départ. Contacté par Ici Beyrouth, l’ancien conseiller de presse de Michel Sleiman, Adib Abi Akl raconte qu’au cours de la semaine précédant son départ, le chef de l’État avait rencontré tous ses collaborateurs, ainsi que le personnel du palais présidentiel, décoré ceux d’entre eux qui le méritaient, présidé un dernier Conseil des ministres et préparé sa dernière journée. Il signe le décret de naturalisation de 644 personnes de différentes nationalités. Contrairement à d’autres présidents, ce n’est qu’après "deux ans de longues enquêtes et selon des critères et des normes précises et légales, notamment sur base du mérite, que ces personnes ont obtenu la nationalité libanaise" souligne Adib Abi Akl.
Rendez-vous avec l’inconnu
Le 24 mai 2014, à partir de 11h, Michel Sleiman accueille au palais les quelque 450 personnes invitées pour l’occasion. Parmi elles, le leader druze Walid Joumblatt à qui le président décerne le Grand cordon de l’Ordre national du mérite. Devant un parterre de personnalités – parmi lesquelles le Hezbollah ne figure pas, puisqu’il a boycotté le dernier jour du parrain de la Déclaration de Baabda - Michel Sleiman appelle au dialogue national pour élaborer d’urgence une stratégie de défense qu’il n’a pas pu mettre en place. Il souligne que les différends interlibanais "sont le résultat d’influences étrangères". Il demande également au Parlement -après avoir signé un décret d’ouverture d’une session extraordinaire essentiellement pour le vote d’une nouvelle loi électorale- d’élire rapidement son successeur. Il s’adresse "aux forces vives de la Nation", appelant à "user de tous moyens de sensibilisation, d’objection et de pression, notamment les élections, pour demander des comptes (aux gouvernants) et exiger la transparence". Il encourage enfin la jeunesse libanaise à « créer des groupes et des partis interconfessionnels et à s’engager dans tous les efforts fournis pour contribuer à l’édification de l’État auquel elle aspire ».
Michel Sleiman est le seul président à ne pas être accueilli par son prédécesseur et à ne pas avoir accueilli de successeur, le camp du 8 mars ayant bloqué les élections présidentielles de 2007 et 2014
Le départ du président sortant, prévu pour 13h n’a lieu que vers 15h, selon le protocole d’une transition de pouvoir. Sous les épées de la garde d’honneur présidentielle, Michel Sleiman quitte le palais de Baabda en direction de son appartement de Yarzé où l’attend sa femme Wafa. Ensemble, ils se rendent ensuite à Amchit, son village natal où l’attendaient sa famille, ses amis et une foule de partisans venus l’acclamer.
Ce jour-là, Michel Sleiman exerce ses prérogatives jusqu’au bout. Son conseiller politique et médiatique, Béchara Khairallah, contacté par Ici Beyrouth souligne que même si le président n’a pas suivi l’exemple de son prédécesseur, en restant jusqu’à minuit au palais de Baabda, "il a continué à assurer ses fonctions jusqu’à minuit, signant plusieurs décrets et décisions" qui ont été envoyés le lendemain aux institutions compétentes. Son départ à midi était un message aux Libanais, mais également au reste du monde, que le Liban "est le seul pays arabe où un président élu démocratiquement quitte ses fonctions à la fin de son mandat, sans prorogation", précise Béchara Khairallah. Il était d’ailleurs opposé à ce que son mandat soit renouvelé.
Michel Aoun, tout juste élu président de la République, passant en revue la garde d'honneur avant son entrée au Palais présidentiel de Baabda, le 31 octobre 2016
Ce dimanche 30 octobre 2022, le président de la République Michel Aoun devrait, en principe, quitter le Palais de Baabda. Comme les deux dernières fois, c’est-à-dire sans remplaçant. Des rumeurs avaient circulé depuis quelques semaines, selon lesquelles Michel Aoun tenterait de rester sur son trône, pour éviter que le gouvernement d’expédition des affaires courantes de Najib Mikati, n’assume les prérogatives présidentielles. Elles ont été toutes rejetés par le président et son camp.
Michel Aoun quittera Baabda pour Rabieh, autour de 11h. Le Liban, plongé dans une crise économique et financière inédite, a rendez-vous avec l’inconnu.
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