L’institut des sciences politiques (ISP) de l’Université Saint-Joseph a organisé vendredi soir un colloque en hommage au professeur Melhem Chaoul, éminent intellectuel et sociologue libanais décédé en mai 2022. Axé sur une réflexion sur le soulèvement populaire libanais, le colloque qui s’est déroulé sur le campus des sciences sociales de la Rue Huvelin, avait pour thème «La Thaoura d’octobre 2019, trois ans après: de l’espoir à la désillusion?»
Trois axes de réflexion ont été choisis pour analyser ce soulèvement. La première séance, consacrée au «Phénomène politique de la Thaoura», était présidée par Nawaf Salam, ami de longue date de Melhem Chaoul et juge à la Cour Internationale de Justice. Quant aux intervenants, il s’agissait du député et ancien bâtonnier Melhem Khalaf, de l’ancien directeur de l’ISP et principal organisateur du colloque Karim Émile Bitar, de la directrice du Carnegie Middle East Center Maya Yahya, et du professeur à l’ESSEC et ancien recteur de l’Institut Catholique de Paris Joseph Maïla.
C’est une formule de feu Melhem Chaoul qui a été choisie comme titre du deuxième axe: «Le changement dans une société polarisée et segmentée». Outre le président de séance Karim Émile Bitar, y sont intervenus le professeur à l’Université américaine de Paris Ziad Majed, le candidat malheureux aux élections législatives Jad Ghosn, la directrice exécutive de Kulluna Irada Diana Menhem, et le secrétaire général du Bloc national Pierre Issa.
Quant à la dernière séance, elle était principalement axée sur l’avenir. Présidant celle-ci, Marie-Claude Najm, nouvelle doyenne de la faculté de droit et ancienne ministre de la Justice a inscrit le débat dans la ligne de la «révolution culturelle» préconisée par feu le Père Salim Abou. Parmi les intervenants, l’ancien ministre de l’Intérieur Ziyad Baroud a souligné la portée juridique des droits et libertés afférents au «droit à la révolution», envisagé en tant que corollaire du droit naturel à la résistance contre l’oppression. Michel Hélou, ancien directeur exécutif de L’Orient-Le Jour a insisté sur le potentiel de la jeunesse, en mentionnant des exemples liés à sa campagne électorale lors des législatives de 2022. De son côté, la doyenne honoraire de la faculté des sciences de l’éducation, Nada Moghaizel-Nasr, a envisagé l’importance de l’éducation qui permet à chacun de «penser contre soi-même» et d’aboutir au changement. Pour Ici Beyrouth, Yara el-Khoury, professeure d’histoire à l’USJ, a insisté sur la nécessité pour les parents de cesser d’infantiliser leurs enfants pour leur permettre de devenir des citoyens responsables et capables de changer les choses.
Le bilan de la Thaoura
Pour conclure, Alexandre Najjar, avocat, écrivain et directeur de L’Orient Littéraire, a dressé un bilan (qu’il estime ne pas être définitif vu que trois ans ne suffisent pas à constituer le recul nécessaire pour apprécier la situation de la Thaoura) dans lequel il a énuméré les acquis et les carences de la révolution. Parmi les apports de celle-ci, il cite d’abord sa dimension réellement nationale (géographiquement et confessionnellement), mais aussi le fait que de nouveaux concepts comme la transparence et la reddition de comptes ont intégré la culture collective libanaise. La place de premier plan qu’ont occupé les femmes et les jeunes, ainsi que la réussite électorale inattendue d’un nombre non-négligeable de députés issus de la contestation, constituent aussi une victoire pour le mouvement.
Alexandre Najjar, avec qui Melhem Chaoul a longtemps collaboré au sein de L’Orient Littéraire, a également insisté sur «la culture de la non-violence qui s’est imposée face à celle de l’obscurantisme de ceux qui ont délogé les tentes de la place des Martyrs et blessé, voire tué les manifestants qui ont osé s’aventurer dans des zones interdites». L’avocat a d’ailleurs confié à Ici Beyrouth que les principales lacunes de la révolution ont été d’abord la présence de partis armés, qui fausse le jeu démocratique, mais aussi le manque de cohésion et de leadership, une certaine récupération orchestrée par certains partis politiques et la prépondérance occasionnelle de l’appartenance confessionnelle sur le sens de citoyenneté.
Comme autre carence principale, M. Najjar a rappelé «le fait que la communauté internationale n’a pas accompagné ce soulèvement comme elle l’avait fait en 2005 pour la Révolution du Cèdre, alors qu’il était notamment possible juridiquement pour les États concernés de saisir les biens situés à l’étranger des politiciens corrompus». D’autre part, l’avocat a souligné le rôle de 2 facteurs «de force majeure» qui auraient porté le coup de grâce à la révolution: la pandémie de Covid-19 et l’explosion au port de Beyrouth «qui aurait pourtant pu raviver le soulèvement, si ce n’était la barbarie avec laquelle les manifestants ont été reçus au lendemain de la catastrophe» a-t-il déclaré, dans une allusion aux évènements tragiques du 8 août 2020. «Ces conditions inédites ont conduit les manifestants à préférer la résignation à des actes qui auraient eu le potentiel de dégénérer» a poursuivi Alexandre Najjar.
Melhem Chaoul, l’homme
Dans un témoignage aussi vibrant qu’éloquent, l’épouse de Melhem Chaoul, Nada Nassar Chaoul, écrivaine et professeure à la faculté de droit de l’USJ, a bouclé le colloque en présentant «Melhem Chaoul, l’homme». Professeur à l’Université libanaise, dont l’honnêteté et l’intégrité sont unanimement reconnues, M. Chaoul était un intellectuel pluridisciplinaire, un décrypteur hors-pair qui savait faire la synthèse de faits a priori complexes et les retransmettre de manière limpide. En plus d’avoir été un avant-gardiste, qui en 1978 soutenait déjà sa thèse sur «l’ethno-stratégie et la sécurité dans le Golfe arabo-persique», le professeur zahliote avait un sens de la formule qui lui permettait d’élaborer de remarquables théories. Ainsi, son épouse explique la théorie de «l’hybride reproducteur» qui s’applique à la société libanaise, dont l’hybridité serait structurelle et reproductible dans des champs sociaux variés. Elle évoque aussi à titre d’anecdote la façon dont M. Chaoul introduisait ses cours avec humour, en comparant le Liban à un croissant au thym, démontrant de manière imagée l’imbrication de l’Orient et de l’Occident qui caractérise le pays.
Pour rappel, Melhem Chaoul avait par ailleurs enrichi les pages (virtuelles) d’Ici Beyrouth aussi bien par ses écrits que par la place qu’il occupait au sein du conseil stratégique. C’est un amphithéâtre au complet qui lui a rendu hommage vendredi, réunissant ses amis et compagnons de route avec des jeunes étudiants et universitaires, dans un exercice alliant avec fidélité au moins quatre de ses caractéristiques: l’amour du Liban, le respect de l’autre, un sens aigu de l’analyse, et sa générosité dans la transmission entre les générations.
Trois axes de réflexion ont été choisis pour analyser ce soulèvement. La première séance, consacrée au «Phénomène politique de la Thaoura», était présidée par Nawaf Salam, ami de longue date de Melhem Chaoul et juge à la Cour Internationale de Justice. Quant aux intervenants, il s’agissait du député et ancien bâtonnier Melhem Khalaf, de l’ancien directeur de l’ISP et principal organisateur du colloque Karim Émile Bitar, de la directrice du Carnegie Middle East Center Maya Yahya, et du professeur à l’ESSEC et ancien recteur de l’Institut Catholique de Paris Joseph Maïla.
C’est une formule de feu Melhem Chaoul qui a été choisie comme titre du deuxième axe: «Le changement dans une société polarisée et segmentée». Outre le président de séance Karim Émile Bitar, y sont intervenus le professeur à l’Université américaine de Paris Ziad Majed, le candidat malheureux aux élections législatives Jad Ghosn, la directrice exécutive de Kulluna Irada Diana Menhem, et le secrétaire général du Bloc national Pierre Issa.
Quant à la dernière séance, elle était principalement axée sur l’avenir. Présidant celle-ci, Marie-Claude Najm, nouvelle doyenne de la faculté de droit et ancienne ministre de la Justice a inscrit le débat dans la ligne de la «révolution culturelle» préconisée par feu le Père Salim Abou. Parmi les intervenants, l’ancien ministre de l’Intérieur Ziyad Baroud a souligné la portée juridique des droits et libertés afférents au «droit à la révolution», envisagé en tant que corollaire du droit naturel à la résistance contre l’oppression. Michel Hélou, ancien directeur exécutif de L’Orient-Le Jour a insisté sur le potentiel de la jeunesse, en mentionnant des exemples liés à sa campagne électorale lors des législatives de 2022. De son côté, la doyenne honoraire de la faculté des sciences de l’éducation, Nada Moghaizel-Nasr, a envisagé l’importance de l’éducation qui permet à chacun de «penser contre soi-même» et d’aboutir au changement. Pour Ici Beyrouth, Yara el-Khoury, professeure d’histoire à l’USJ, a insisté sur la nécessité pour les parents de cesser d’infantiliser leurs enfants pour leur permettre de devenir des citoyens responsables et capables de changer les choses.
Le bilan de la Thaoura
Pour conclure, Alexandre Najjar, avocat, écrivain et directeur de L’Orient Littéraire, a dressé un bilan (qu’il estime ne pas être définitif vu que trois ans ne suffisent pas à constituer le recul nécessaire pour apprécier la situation de la Thaoura) dans lequel il a énuméré les acquis et les carences de la révolution. Parmi les apports de celle-ci, il cite d’abord sa dimension réellement nationale (géographiquement et confessionnellement), mais aussi le fait que de nouveaux concepts comme la transparence et la reddition de comptes ont intégré la culture collective libanaise. La place de premier plan qu’ont occupé les femmes et les jeunes, ainsi que la réussite électorale inattendue d’un nombre non-négligeable de députés issus de la contestation, constituent aussi une victoire pour le mouvement.
Alexandre Najjar, avec qui Melhem Chaoul a longtemps collaboré au sein de L’Orient Littéraire, a également insisté sur «la culture de la non-violence qui s’est imposée face à celle de l’obscurantisme de ceux qui ont délogé les tentes de la place des Martyrs et blessé, voire tué les manifestants qui ont osé s’aventurer dans des zones interdites». L’avocat a d’ailleurs confié à Ici Beyrouth que les principales lacunes de la révolution ont été d’abord la présence de partis armés, qui fausse le jeu démocratique, mais aussi le manque de cohésion et de leadership, une certaine récupération orchestrée par certains partis politiques et la prépondérance occasionnelle de l’appartenance confessionnelle sur le sens de citoyenneté.
Comme autre carence principale, M. Najjar a rappelé «le fait que la communauté internationale n’a pas accompagné ce soulèvement comme elle l’avait fait en 2005 pour la Révolution du Cèdre, alors qu’il était notamment possible juridiquement pour les États concernés de saisir les biens situés à l’étranger des politiciens corrompus». D’autre part, l’avocat a souligné le rôle de 2 facteurs «de force majeure» qui auraient porté le coup de grâce à la révolution: la pandémie de Covid-19 et l’explosion au port de Beyrouth «qui aurait pourtant pu raviver le soulèvement, si ce n’était la barbarie avec laquelle les manifestants ont été reçus au lendemain de la catastrophe» a-t-il déclaré, dans une allusion aux évènements tragiques du 8 août 2020. «Ces conditions inédites ont conduit les manifestants à préférer la résignation à des actes qui auraient eu le potentiel de dégénérer» a poursuivi Alexandre Najjar.
Melhem Chaoul, l’homme
Dans un témoignage aussi vibrant qu’éloquent, l’épouse de Melhem Chaoul, Nada Nassar Chaoul, écrivaine et professeure à la faculté de droit de l’USJ, a bouclé le colloque en présentant «Melhem Chaoul, l’homme». Professeur à l’Université libanaise, dont l’honnêteté et l’intégrité sont unanimement reconnues, M. Chaoul était un intellectuel pluridisciplinaire, un décrypteur hors-pair qui savait faire la synthèse de faits a priori complexes et les retransmettre de manière limpide. En plus d’avoir été un avant-gardiste, qui en 1978 soutenait déjà sa thèse sur «l’ethno-stratégie et la sécurité dans le Golfe arabo-persique», le professeur zahliote avait un sens de la formule qui lui permettait d’élaborer de remarquables théories. Ainsi, son épouse explique la théorie de «l’hybride reproducteur» qui s’applique à la société libanaise, dont l’hybridité serait structurelle et reproductible dans des champs sociaux variés. Elle évoque aussi à titre d’anecdote la façon dont M. Chaoul introduisait ses cours avec humour, en comparant le Liban à un croissant au thym, démontrant de manière imagée l’imbrication de l’Orient et de l’Occident qui caractérise le pays.
Pour rappel, Melhem Chaoul avait par ailleurs enrichi les pages (virtuelles) d’Ici Beyrouth aussi bien par ses écrits que par la place qu’il occupait au sein du conseil stratégique. C’est un amphithéâtre au complet qui lui a rendu hommage vendredi, réunissant ses amis et compagnons de route avec des jeunes étudiants et universitaires, dans un exercice alliant avec fidélité au moins quatre de ses caractéristiques: l’amour du Liban, le respect de l’autre, un sens aigu de l’analyse, et sa générosité dans la transmission entre les générations.
Lire aussi
Commentaires