Comment peut-on distinguer le normal de l’anormal ? Voici le huitième volet d’une série d’articles qui nous pousseront à nous interroger sur les multiples associations vers lesquelles ces définitions tendent.
Voici, pour ceux et celles qui ne la connaissent pas, le déroulement et les conclusions d’une expérience aux USA qui a fait date en psychologie sociale. Non seulement elle n’a pas pris une ride à presque cinquante ans d’écart, mais elle demeure toujours d’actualité et suscite de nouvelles confirmations à chaque fois qu’elle est reproduite. Les conclusions sont valables dans de larges domaines, aussi bien en psychologie qu’en politique, en économie, en sociologie et même en médecine.
Cette expérience est l’œuvre de Stanley Milgram, chercheur en sciences humaines, qui date de 1963, mais qui a été, depuis lors, reprise en modifiant un certain nombre de variables, mais aboutissant aux mêmes conclusions.
Les interrogations de départ étaient les suivantes : quelles sont les limites que peut outrepasser un sujet lorsqu’il est mis dans l’obligation d’obéir et de se soumettre à une autorité ? Peut-il aller jusqu’à infliger des douleurs physiques à autrui uniquement par soumission ? Une telle conduite serait-elle exceptionnelle ? Un individu considéré comme « normal », ordinaire, sans violence apparente, paisible dans ses rapports sociaux, mis dans une telle situation pourrait-il faire abstraction des principes et des valeurs morales auxquels il déclare adhérer ?
Déroulement de l’expérience :
Milgram fait paraitre une annonce dans un journal, offrant une rémunération à tout volontaire acceptant de participer à une expérience sur la mémoire. Un homme d’apparence ordinaire est choisi et il est mené au lieu d’expérimentation situé dans la prestigieuse université de Yale. Il est rejoint par un autre homme, tout à fait commun lui aussi. On les informe qu’ils participeront à une expérience portant sur les effets de la punition sur l’apprentissage. On leur dit qu’ils auront à jouer, l’un le rôle d’élève et l’autre le rôle de professeur et que le tirage au sort a désigné le volontaire comme devant être le professeur qui infligera les punitions à l’autre qui sera donc l’élève.
Le « professeur » est alors conduit au laboratoire, devant une machine génératrice de chocs électriques à infliger à l’élève chaque fois que celui-ci fait une erreur. On lui montre une série de boutons sur lesquels il doit appuyer : ceux-ci indiquent un choc allant d’un minimum de 15 volts à un choc maximum de 450 volts. Pour que l’intensité du choc soit encore plus explicite, chaque bouton porte une étiquette mentionnant le niveau de danger, allant de « choc léger » jusqu’à « danger : choc grave ». L’administration des chocs doit aller crescendo : chaque nouvelle erreur est punie d’un choc plus intense. Et pour lui concrétiser la réalité de la douleur, on administre au professeur un choc de 45 V bref et légèrement douloureux. Le professeur est chapeauté par un expérimentateur délégué par Yale pour superviser la procédure.
L’élève est attaché à une chaise électrique et l’expérience commence. Il se révèle plutôt mauvais et le professeur parvient progressivement au choc de 150 V, malgré les grognements et les gémissements de douleur de l’élève qui crie et implore d’arrêter sa souffrance. Au choc de 330 V, il devient inerte alors qu’il avait auparavant confié souffrir de problèmes cardiaques. Le professeur se montre parfois hésitant, exprimant son désir d’arrêter l’expérimentation, mais à chaque fois qu’il doute ou qu’il résiste, l’expérimentateur lui intime l’ordre de continuer jusqu’à ce qu’il appuie sur le bouton de 450V portant la mention : danger, choc grave.
Peut-être, lectrice, lecteur, pourriez-vous arrêter votre lecture un moment et vous demander ce que vous auriez fait vous-même à la place du professeur. Auriez-vous continué à envoyer un choc électrique malgré vos réticences et la douleur de l’élève ou auriez-vous désobéi aux ordres de l’expérimentateur bravant son autorité ?
Stanley Milgram avait fait l’hypothèse qu’aucun sujet n’accepterait d’administrer le choc électrique maximal. Consultés, quarante psychiatres non seulement partageaient son avis, mais étaient certains que la majorité des sujets n’iraient pas plus loin que 150V et que seuls des individus à tendances psychopathiques iraient jusqu’à 450 V.
Les résultats furent choquants pour les psychiatres ainsi que pour les expérimentateurs eux-mêmes : 62 % des participants, tous individus ordinaires, se sont entièrement soumis aux ordres donnés. Plusieurs, il est vrai, ont regimbé, protesté, exprimé leur malaise, néanmoins la majorité s’est exécutée. Milgram conclut ainsi que les êtres humains, dans leur majorité, ont tendance à se soumettre à l’autorité même s’ils pensent que celle-ci est dans l’erreur. Toutes les variantes successives à ce protocole ont confirmé ces résultats.
En réalité, aucun choc électrique ne fut administré, l’élève et le représentant de l’autorité faisant partie des complices de Milgram.
Voici les conclusions de Milgram : « Tout individu (aussi autonome se pense-t-il par ailleurs) subit une modification quand il s’insère dans une structure sociale, en particulier quand celle-ci est hiérarchique. Ce qui amène l’individu à se considérer comme l’instrument d’une volonté institutionnelle et souveraine dont les buts le dépassent ». Il reporte alors la responsabilité des actes qu’il accomplit sur l’institution ou l’autorité elle-même. « Cette soumission à l’autorité aboutit à un phénomène de diffusion de responsabilités, car elle amène chacun à considérer qu’il “ne fait qu’obéir”, rejetant ainsi la responsabilité de son acte sur son supérieur ».
Cette expérience a été reprise auprès d’enfants et d’adolescents du Moyen-Orient. Elle a abouti à des résultats encore plus élevés que ceux de Milgram. Les conclusions des chercheurs furent significatives de cette région du monde : l’apprentissage du respect de l’autorité et de l’obéissance commence dès le plus jeune âge et se décline comme une norme légitime à laquelle les membres d’une communauté doivent se conformer, quel que soit le domaine où elle s’exerce.
Pour autant, cela ne signifie pas que tout individu se conduira automatiquement en sadique jouissant du mal qu’il commet. Néanmoins, nul être humain ne peut affirmer catégoriquement que, mis dans la même situation que le professeur de l’expérience de Milgram, il n’agira pas comme lui.
Dans son livre Même les tueurs ont une mère, le journaliste et écrivain, P. Meney dévoile les mobiles qui ont conduit un jeune Libanais, durant la guerre civile, apparemment heureux de vivre, insouciant, sensible et sociable, qui, en intégrant une milice, s’est transformé en franc-tireur, traquant dans son viseur, avec une sidérante apathie affective, ses innocentes victimes,
La philosophe allemande Hanna Arendt a elle aussi étudié le phénomène de soumission à l’autorité et rejoint les résultats de Milgram : « Si nous nous référons à notre expérience en la matière, nous pourrons constater que l’instinct de soumission, un ardent désir de se laisser diriger et d’obéir à un homme fort, tient dans la psychologie de l’homme une place au moins aussi importante que la volonté de puissance et, d’un point de vue politique, peut-être plus significative ». Elle fait l’effrayante découverte de « La propension extrême des adultes à la soumission quasi inconditionnelle aux ordres de l’autorité ». Un individu capable d’imposer de la souffrance à son semblable n’est pas, selon elle, un être nécessairement monstrueux, hors du commun, mais bien au contraire un personnage à l’apparence tout à fait ordinaire, un employé ou un fonctionnaire qui, soumis à une autorité, perd son sens critique, sa capacité de penser librement ainsi que sa conscience morale, c’est un individu médiocre dont l’action découle d’une conduite banalement normale, toute empathie envers la souffrance d’autrui ayant été enrayée.
Infliger le mal à autrui et en jouir peut signer une résurgence du stade pervers polymorphe que traverse tout petit enfant, au cours duquel les pulsions violentes s’expriment spontanément. Le dépassement de ce stade se produira, si tout se passe bien, avec l’avènement du surmoi et des interdits qu’il impose aux pulsions agressives et sexuelles de l’enfant. Ce que la psychanalyse a mis en évidence c’est qu’il existe en chaque sujet une prédisposition à la perversion qui, selon Freud « n’est pas quelque chose de rare et de particulier, mais une partie de la constitution normale ». Lorsque des individus, à l’image de ceux qui détiennent le pouvoir au Liban, occupent un poste d’autorité, et si le fondement de leur conscience morale est factice comme c’est certainement le cas, ils se débarrassent de leurs digues pulsionnelles superficielles et régressent vers ce stade de perversion, utilisant cette disposition à chosifier autrui et à en tirer tout le bénéfice que leurs intérêts et leur jouissance pathologique l’exigent. Un exemple parmi de très nombreux autres : durant les manifestations du soulèvement de 2019, l’autorité milicienne et mafieuse n’a pas hésité à traiter les citoyens libanais comme des ennemis nuisibles, donnant à leurs sbires l’ordre de les réprimer avec des moyens léthaux et totalement disproportionnés, convaincus que leurs hommes de main obéiront aveuglément et fanatiquement aux ordres reçus, reproduisant ainsi la conduite despotique et déshumanisante de toure dictature.
Les technologies modernes peuvent servir au pouvoir politique pour exercer une contrainte et un pouvoir absolu sur la population. La Chine en est une parfaite illustration. Le pouvoir dans ce pays a réussi la gageure d’assujettir le milliard et demi de ses citoyens, conformément aux dystopies prophétiques des romans d’A. Huxley (Le meilleur des mondes) et de G. Orwell (1984).
Chaque citoyen(ne) est doté, au départ, d’un crédit social régi par un système de notations auquel il n’a d’autre choix que de se soumettre. Si la conduite d’un Chinois est conforme à celle exigée par le Parti Unique, il gagne des points supplémentaires, sinon il en perd. Si, par exemple, il donne la préférence à l’achat de produits chinois, s’il se montre performant au travail, s’il échange avec des compatriotes qui ont un bon score, s’il loue publiquement la politique ou l’économie chinoise, il est récompensé. En revanche, s’il exprime son désaccord avec le Parti, s’il manifeste contre sa politique, s’il est surpris effectuant des recherches suspectes sur internet, s’il traverse trop vite les passages piétons, il est sanctionné par des retraits de points qui entrainent l’interdiction de voyager, l’impossibilité d’obtenir des prêts bancaires ou de bénéficier de services sociaux : ce Chinois deviendra un paria qui devra faire preuve d’une totale soumission s’il désire reprendre sa vie telle que le Parti l’y oblige. Personne ne pourra échapper à l’emprise de Big Brother grâce aux 400 millions de caméras à reconnaissance faciale qui le traquent dans tout le pays.
Si vous le désirez, vous pouvez retrouver l’expérience de Milgram sur YouTube. Une version très réaliste a été mise en scène dans le film d’H. Verneuil I comme Icare. Elle rend bien compte de l’effroi qui saisit un sujet lorsqu’il réalise jusqu’à quelles monstrueuses extrémités peut conduire l’obéissance aveugle à l’autorité.
Voici, pour ceux et celles qui ne la connaissent pas, le déroulement et les conclusions d’une expérience aux USA qui a fait date en psychologie sociale. Non seulement elle n’a pas pris une ride à presque cinquante ans d’écart, mais elle demeure toujours d’actualité et suscite de nouvelles confirmations à chaque fois qu’elle est reproduite. Les conclusions sont valables dans de larges domaines, aussi bien en psychologie qu’en politique, en économie, en sociologie et même en médecine.
Cette expérience est l’œuvre de Stanley Milgram, chercheur en sciences humaines, qui date de 1963, mais qui a été, depuis lors, reprise en modifiant un certain nombre de variables, mais aboutissant aux mêmes conclusions.
Les interrogations de départ étaient les suivantes : quelles sont les limites que peut outrepasser un sujet lorsqu’il est mis dans l’obligation d’obéir et de se soumettre à une autorité ? Peut-il aller jusqu’à infliger des douleurs physiques à autrui uniquement par soumission ? Une telle conduite serait-elle exceptionnelle ? Un individu considéré comme « normal », ordinaire, sans violence apparente, paisible dans ses rapports sociaux, mis dans une telle situation pourrait-il faire abstraction des principes et des valeurs morales auxquels il déclare adhérer ?
Déroulement de l’expérience :
Milgram fait paraitre une annonce dans un journal, offrant une rémunération à tout volontaire acceptant de participer à une expérience sur la mémoire. Un homme d’apparence ordinaire est choisi et il est mené au lieu d’expérimentation situé dans la prestigieuse université de Yale. Il est rejoint par un autre homme, tout à fait commun lui aussi. On les informe qu’ils participeront à une expérience portant sur les effets de la punition sur l’apprentissage. On leur dit qu’ils auront à jouer, l’un le rôle d’élève et l’autre le rôle de professeur et que le tirage au sort a désigné le volontaire comme devant être le professeur qui infligera les punitions à l’autre qui sera donc l’élève.
Le « professeur » est alors conduit au laboratoire, devant une machine génératrice de chocs électriques à infliger à l’élève chaque fois que celui-ci fait une erreur. On lui montre une série de boutons sur lesquels il doit appuyer : ceux-ci indiquent un choc allant d’un minimum de 15 volts à un choc maximum de 450 volts. Pour que l’intensité du choc soit encore plus explicite, chaque bouton porte une étiquette mentionnant le niveau de danger, allant de « choc léger » jusqu’à « danger : choc grave ». L’administration des chocs doit aller crescendo : chaque nouvelle erreur est punie d’un choc plus intense. Et pour lui concrétiser la réalité de la douleur, on administre au professeur un choc de 45 V bref et légèrement douloureux. Le professeur est chapeauté par un expérimentateur délégué par Yale pour superviser la procédure.
L’élève est attaché à une chaise électrique et l’expérience commence. Il se révèle plutôt mauvais et le professeur parvient progressivement au choc de 150 V, malgré les grognements et les gémissements de douleur de l’élève qui crie et implore d’arrêter sa souffrance. Au choc de 330 V, il devient inerte alors qu’il avait auparavant confié souffrir de problèmes cardiaques. Le professeur se montre parfois hésitant, exprimant son désir d’arrêter l’expérimentation, mais à chaque fois qu’il doute ou qu’il résiste, l’expérimentateur lui intime l’ordre de continuer jusqu’à ce qu’il appuie sur le bouton de 450V portant la mention : danger, choc grave.
Peut-être, lectrice, lecteur, pourriez-vous arrêter votre lecture un moment et vous demander ce que vous auriez fait vous-même à la place du professeur. Auriez-vous continué à envoyer un choc électrique malgré vos réticences et la douleur de l’élève ou auriez-vous désobéi aux ordres de l’expérimentateur bravant son autorité ?
Stanley Milgram avait fait l’hypothèse qu’aucun sujet n’accepterait d’administrer le choc électrique maximal. Consultés, quarante psychiatres non seulement partageaient son avis, mais étaient certains que la majorité des sujets n’iraient pas plus loin que 150V et que seuls des individus à tendances psychopathiques iraient jusqu’à 450 V.
Les résultats furent choquants pour les psychiatres ainsi que pour les expérimentateurs eux-mêmes : 62 % des participants, tous individus ordinaires, se sont entièrement soumis aux ordres donnés. Plusieurs, il est vrai, ont regimbé, protesté, exprimé leur malaise, néanmoins la majorité s’est exécutée. Milgram conclut ainsi que les êtres humains, dans leur majorité, ont tendance à se soumettre à l’autorité même s’ils pensent que celle-ci est dans l’erreur. Toutes les variantes successives à ce protocole ont confirmé ces résultats.
En réalité, aucun choc électrique ne fut administré, l’élève et le représentant de l’autorité faisant partie des complices de Milgram.
Voici les conclusions de Milgram : « Tout individu (aussi autonome se pense-t-il par ailleurs) subit une modification quand il s’insère dans une structure sociale, en particulier quand celle-ci est hiérarchique. Ce qui amène l’individu à se considérer comme l’instrument d’une volonté institutionnelle et souveraine dont les buts le dépassent ». Il reporte alors la responsabilité des actes qu’il accomplit sur l’institution ou l’autorité elle-même. « Cette soumission à l’autorité aboutit à un phénomène de diffusion de responsabilités, car elle amène chacun à considérer qu’il “ne fait qu’obéir”, rejetant ainsi la responsabilité de son acte sur son supérieur ».
Cette expérience a été reprise auprès d’enfants et d’adolescents du Moyen-Orient. Elle a abouti à des résultats encore plus élevés que ceux de Milgram. Les conclusions des chercheurs furent significatives de cette région du monde : l’apprentissage du respect de l’autorité et de l’obéissance commence dès le plus jeune âge et se décline comme une norme légitime à laquelle les membres d’une communauté doivent se conformer, quel que soit le domaine où elle s’exerce.
Pour autant, cela ne signifie pas que tout individu se conduira automatiquement en sadique jouissant du mal qu’il commet. Néanmoins, nul être humain ne peut affirmer catégoriquement que, mis dans la même situation que le professeur de l’expérience de Milgram, il n’agira pas comme lui.
Dans son livre Même les tueurs ont une mère, le journaliste et écrivain, P. Meney dévoile les mobiles qui ont conduit un jeune Libanais, durant la guerre civile, apparemment heureux de vivre, insouciant, sensible et sociable, qui, en intégrant une milice, s’est transformé en franc-tireur, traquant dans son viseur, avec une sidérante apathie affective, ses innocentes victimes,
La philosophe allemande Hanna Arendt a elle aussi étudié le phénomène de soumission à l’autorité et rejoint les résultats de Milgram : « Si nous nous référons à notre expérience en la matière, nous pourrons constater que l’instinct de soumission, un ardent désir de se laisser diriger et d’obéir à un homme fort, tient dans la psychologie de l’homme une place au moins aussi importante que la volonté de puissance et, d’un point de vue politique, peut-être plus significative ». Elle fait l’effrayante découverte de « La propension extrême des adultes à la soumission quasi inconditionnelle aux ordres de l’autorité ». Un individu capable d’imposer de la souffrance à son semblable n’est pas, selon elle, un être nécessairement monstrueux, hors du commun, mais bien au contraire un personnage à l’apparence tout à fait ordinaire, un employé ou un fonctionnaire qui, soumis à une autorité, perd son sens critique, sa capacité de penser librement ainsi que sa conscience morale, c’est un individu médiocre dont l’action découle d’une conduite banalement normale, toute empathie envers la souffrance d’autrui ayant été enrayée.
Infliger le mal à autrui et en jouir peut signer une résurgence du stade pervers polymorphe que traverse tout petit enfant, au cours duquel les pulsions violentes s’expriment spontanément. Le dépassement de ce stade se produira, si tout se passe bien, avec l’avènement du surmoi et des interdits qu’il impose aux pulsions agressives et sexuelles de l’enfant. Ce que la psychanalyse a mis en évidence c’est qu’il existe en chaque sujet une prédisposition à la perversion qui, selon Freud « n’est pas quelque chose de rare et de particulier, mais une partie de la constitution normale ». Lorsque des individus, à l’image de ceux qui détiennent le pouvoir au Liban, occupent un poste d’autorité, et si le fondement de leur conscience morale est factice comme c’est certainement le cas, ils se débarrassent de leurs digues pulsionnelles superficielles et régressent vers ce stade de perversion, utilisant cette disposition à chosifier autrui et à en tirer tout le bénéfice que leurs intérêts et leur jouissance pathologique l’exigent. Un exemple parmi de très nombreux autres : durant les manifestations du soulèvement de 2019, l’autorité milicienne et mafieuse n’a pas hésité à traiter les citoyens libanais comme des ennemis nuisibles, donnant à leurs sbires l’ordre de les réprimer avec des moyens léthaux et totalement disproportionnés, convaincus que leurs hommes de main obéiront aveuglément et fanatiquement aux ordres reçus, reproduisant ainsi la conduite despotique et déshumanisante de toure dictature.
Les technologies modernes peuvent servir au pouvoir politique pour exercer une contrainte et un pouvoir absolu sur la population. La Chine en est une parfaite illustration. Le pouvoir dans ce pays a réussi la gageure d’assujettir le milliard et demi de ses citoyens, conformément aux dystopies prophétiques des romans d’A. Huxley (Le meilleur des mondes) et de G. Orwell (1984).
Chaque citoyen(ne) est doté, au départ, d’un crédit social régi par un système de notations auquel il n’a d’autre choix que de se soumettre. Si la conduite d’un Chinois est conforme à celle exigée par le Parti Unique, il gagne des points supplémentaires, sinon il en perd. Si, par exemple, il donne la préférence à l’achat de produits chinois, s’il se montre performant au travail, s’il échange avec des compatriotes qui ont un bon score, s’il loue publiquement la politique ou l’économie chinoise, il est récompensé. En revanche, s’il exprime son désaccord avec le Parti, s’il manifeste contre sa politique, s’il est surpris effectuant des recherches suspectes sur internet, s’il traverse trop vite les passages piétons, il est sanctionné par des retraits de points qui entrainent l’interdiction de voyager, l’impossibilité d’obtenir des prêts bancaires ou de bénéficier de services sociaux : ce Chinois deviendra un paria qui devra faire preuve d’une totale soumission s’il désire reprendre sa vie telle que le Parti l’y oblige. Personne ne pourra échapper à l’emprise de Big Brother grâce aux 400 millions de caméras à reconnaissance faciale qui le traquent dans tout le pays.
Si vous le désirez, vous pouvez retrouver l’expérience de Milgram sur YouTube. Une version très réaliste a été mise en scène dans le film d’H. Verneuil I comme Icare. Elle rend bien compte de l’effroi qui saisit un sujet lorsqu’il réalise jusqu’à quelles monstrueuses extrémités peut conduire l’obéissance aveugle à l’autorité.
Lire aussi
Commentaires