Juste pour s’amuser: il suffit qu’on croit fortement qu’un phénomène va se produire pour que ce phénomène se produise réellement, toutes choses étant égales par ailleurs. Une réalité qui survient juste parce qu’on la prédit.
Croyez-vous que ce soit une théorie farfelue? Pas du tout. Cela se passe tous les jours au niveau de la bourse par exemple. Si assez de gens sont persuadés qu’elle va baisser, ils se rueront pour vendre leurs actions… ce qui va provoquer la chute de la bourse. De même, annoncer la hausse prochaine du prix d'une marchandise, a fortiori sa pénurie, provoque des achats de précaution et contribue à la hausse de son prix, voire à la pénurie.
De grands esprits se sont même penchés sur la question, dont l’un de ses théoriciens, le sociologue américain Robert Merton (1910-2003). Son concept (qui a des applications psychologiques, médicales, économiques...) porte d’ailleurs un nom: ‘la prophétie autoréalisatrice’ (de l'anglais self-fulfilling prophecy). C’est devenu même un concept de sciences sociales utilisé pour traduire une situation dans laquelle quelqu'un qui prédit ou s'attend à un événement modifie ses comportements en fonction de ses croyances, ce qui a pour conséquence de faire advenir la prophétie.
Mais, au niveau de la société, ce quelqu’un qui prédit ne peut pas être n’importe qui. C’est soit une personne d’autorité dont la parole a un poids, soit un groupe de personnes ou une forte campagne médiatique à même d’ancrer une conviction au sein de l’opinion publique.
Quel rapport avec nous? Tout, en fait. La livre qui s’apprécie ou se déprécie en est un exemple. En dehors de tout élément raisonnable, on assiste parfois à des fluctuations dues précisément à une ruée pour acheter ou vendre des dollars, juste parce qu’assez de gens croient que la dépréciation ou l’appréciation va se produire. Ce qui va être effectivement le cas, résultat direct d’une telle conviction et de l’action qui s’ensuit.
Supposons maintenant que le gouverneur de la Banque centrale déclare début 2019 que le taux de change dollar/LL va être multiplié par 10 ou 20, ou que les banques vont être incapables de satisfaire la clientèle. Tout le monde va se ruer dans les bureaux de change ou dans leurs agences bancaires et la prophétie se produira.
Le gouverneur ne l’a pas fait. Il a dit même le contraire, mais d’autres l’ont fait à sa place, englobant des médias, des réseaux sociaux ou encore des économistes et des groupes de déposants. Les milieux bancaires savent par exemple que la première vague, dès début 2019, est venue des Libanais du Golfe, qui se sont donné cette consigne: «Transférez vos dépôts des banques libanaises vers l’étranger car elles vont défaillir». Comme il s’agit d’un groupe compact avec de fortes interrelations, la consigne s’est propagée comme une traînée de poudre dans leur milieu puis en dehors. Ce qui a fait que la prophétie s’est réalisée.
Mais soyons clairs. Tout ceci ne veut nullement dire que les éléments de la crise étaient inexistants, loin s’en faut. Inutile de rappeler à ce propos tous les indicateurs financiers négatifs qui empiraient de jour en jour.
Mais souvenons-nous quand même d’un précédent historique. Lorsque Rafic Hariri est arrivé au pouvoir fin 1992, le dollar était à 3000 LL et le moral au plus bas. A peine quelques jours plus tard, une descente rapide du taux s’est déclenchée, rien que parce que telle était la prédiction des gens, vu qu’aucun élément économique ou financier n’avait encore changé.
Pour revenir au temps présent, la situation va malheureusement empirer, en partie parce que la majorité croit à cette éventualité… jusqu’à ce qu’un élément nouveau vienne modifier cette conviction. Par exemple, l’élection d’un président de la République. Mais, dans ce cas, la nouvelle conviction ne sera pas la même si, par exemple – allez, au hasard – c’est Gebrane Bassil ou Michel Moawad qui est élu. Dans le premier cas, il est fort probable qu’une majorité développera une prophétie apocalyptique, et l’apocalypse se produira, versus, dans le second cas, une prédiction, disons plus optimiste, qui fera évoluer la situation vers le meilleur par ce fait même, toutes choses égales par ailleurs.
Morale de cette histoire, si Robert Merton était encore vivant, il vous dirait donc: gare à l’élection d’un Gebrane Bassil ou d’un acolyte, et gare à la prophétie qui va en découler!
[email protected]
Croyez-vous que ce soit une théorie farfelue? Pas du tout. Cela se passe tous les jours au niveau de la bourse par exemple. Si assez de gens sont persuadés qu’elle va baisser, ils se rueront pour vendre leurs actions… ce qui va provoquer la chute de la bourse. De même, annoncer la hausse prochaine du prix d'une marchandise, a fortiori sa pénurie, provoque des achats de précaution et contribue à la hausse de son prix, voire à la pénurie.
De grands esprits se sont même penchés sur la question, dont l’un de ses théoriciens, le sociologue américain Robert Merton (1910-2003). Son concept (qui a des applications psychologiques, médicales, économiques...) porte d’ailleurs un nom: ‘la prophétie autoréalisatrice’ (de l'anglais self-fulfilling prophecy). C’est devenu même un concept de sciences sociales utilisé pour traduire une situation dans laquelle quelqu'un qui prédit ou s'attend à un événement modifie ses comportements en fonction de ses croyances, ce qui a pour conséquence de faire advenir la prophétie.
Mais, au niveau de la société, ce quelqu’un qui prédit ne peut pas être n’importe qui. C’est soit une personne d’autorité dont la parole a un poids, soit un groupe de personnes ou une forte campagne médiatique à même d’ancrer une conviction au sein de l’opinion publique.
Quel rapport avec nous? Tout, en fait. La livre qui s’apprécie ou se déprécie en est un exemple. En dehors de tout élément raisonnable, on assiste parfois à des fluctuations dues précisément à une ruée pour acheter ou vendre des dollars, juste parce qu’assez de gens croient que la dépréciation ou l’appréciation va se produire. Ce qui va être effectivement le cas, résultat direct d’une telle conviction et de l’action qui s’ensuit.
Supposons maintenant que le gouverneur de la Banque centrale déclare début 2019 que le taux de change dollar/LL va être multiplié par 10 ou 20, ou que les banques vont être incapables de satisfaire la clientèle. Tout le monde va se ruer dans les bureaux de change ou dans leurs agences bancaires et la prophétie se produira.
Le gouverneur ne l’a pas fait. Il a dit même le contraire, mais d’autres l’ont fait à sa place, englobant des médias, des réseaux sociaux ou encore des économistes et des groupes de déposants. Les milieux bancaires savent par exemple que la première vague, dès début 2019, est venue des Libanais du Golfe, qui se sont donné cette consigne: «Transférez vos dépôts des banques libanaises vers l’étranger car elles vont défaillir». Comme il s’agit d’un groupe compact avec de fortes interrelations, la consigne s’est propagée comme une traînée de poudre dans leur milieu puis en dehors. Ce qui a fait que la prophétie s’est réalisée.
Mais soyons clairs. Tout ceci ne veut nullement dire que les éléments de la crise étaient inexistants, loin s’en faut. Inutile de rappeler à ce propos tous les indicateurs financiers négatifs qui empiraient de jour en jour.
Mais souvenons-nous quand même d’un précédent historique. Lorsque Rafic Hariri est arrivé au pouvoir fin 1992, le dollar était à 3000 LL et le moral au plus bas. A peine quelques jours plus tard, une descente rapide du taux s’est déclenchée, rien que parce que telle était la prédiction des gens, vu qu’aucun élément économique ou financier n’avait encore changé.
Pour revenir au temps présent, la situation va malheureusement empirer, en partie parce que la majorité croit à cette éventualité… jusqu’à ce qu’un élément nouveau vienne modifier cette conviction. Par exemple, l’élection d’un président de la République. Mais, dans ce cas, la nouvelle conviction ne sera pas la même si, par exemple – allez, au hasard – c’est Gebrane Bassil ou Michel Moawad qui est élu. Dans le premier cas, il est fort probable qu’une majorité développera une prophétie apocalyptique, et l’apocalypse se produira, versus, dans le second cas, une prédiction, disons plus optimiste, qui fera évoluer la situation vers le meilleur par ce fait même, toutes choses égales par ailleurs.
Morale de cette histoire, si Robert Merton était encore vivant, il vous dirait donc: gare à l’élection d’un Gebrane Bassil ou d’un acolyte, et gare à la prophétie qui va en découler!
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