Broken Keys sur le tapis rouge, en attendant la récompense ultime?
Officiellement sélectionné à la 73e édition du Festival de Cannes et choisi par le ministère de la Culture du Liban pour représenter le pays du Cèdre à la 93e cérémonie des Oscars en avril 2021, Broken Keys revient sur le tapis rouge avec une sélection dans la catégorie «favoris du festival» de la première édition du Red Sea International Film Festival avant sa sortie dans les salles en France et au Liban en mars 2022.

Ce retard est dû à la pandémie qui sévit dans le monde et, par conséquent, au report des festivals et à la fermeture des salles obscures. À l’instar de nombreux films qui ont été sélectionnés puis privés d’être projetés en privé dans un premier temps, et plus tard au public, Broken Keys en a fait, lui aussi, les frais. «Les deux dernières années ayant été particulièrement difficiles avec la pandémie et la fermeture des salles partout dans le monde, de nombreux films n’ont pas eu les opportunités espérées. Il nous a semblé plus judicieux d’attendre 2022 (et l’espoir de revenir à un peu de normalité) pour le projeter», déclare Jimmy Keyrouz, réalisateur du film, rencontré en marge du festival. «Je suis néanmoins confiant, à en croire les premiers échos – hormis les sélections – qui sont très positifs», précise le réalisateur.

Ce dernier était encore étudiant à l’université de Columbia en 2014 lorsqu’il apprend à la télévision que l’État islamique a prohibé la musique dans ses territoires en Syrie. Il décide alors de réaliser son film de thèse autour de ce sujet. Son premier court-métrage, Nocturne in Black, remporte de nombreux prix dont la médaille d’or du meilleur scénario aux Student Academy Awards. En 2019, Jimmy Keyrouz se lance courageusement dans une version plus longue intitulée Broken Keys, produite par Ezekiel Film Production, la société de production fondée par Antoun Sehnaoui, qui avait également produit L’Insulte du réalisateur franco-libanais Ziad Doueiry. Le film, qui avait rencontré un large succès auprès du public, a été nominé en finale des Oscars dans la catégorie du meilleur film international en 2018. Une première pour le Liban.

L’action de Broken Keys se déroule en 2014, dans un quartier tombé sous le joug de l’État islamique. C’est l’histoire de Karim, un jeune musicien, piégé dans cette ville syrienne où (presque) tout est interdit: la musique, les cigarettes et l’alcool. Le musicien trouve du réconfort en divertissant discrètement ses voisins avec son piano, alors qu’il organise en parallèle sa fuite vers l’Europe. Un jour, les terroristes font irruption chez lui et détruisent son piano. Commence alors une quête périlleuse pour réparer l’instrument. «Broken Keys est bien entendu inspiré de faits réels», confie le réalisateur à Ici Beyrouth. «C’est un film qui se passe dans une région du monde où les dogmes universels inhérents à la culture de vie, tels que la musique, sont prohibés.» La musique y joue un rôle prépondérant. Elle est au cœur de la trame. Le choix de la bande sonore signée par le compositeur franco-libanais Gabriel Yared, auréolé de nombreux prix dont un César et un Oscar, donne encore plus de coffre à l’ensemble. «C’est à la fois une victoire et une fierté pour le film qui s’articule autour de cet élément central qu’est la musique», précise Jimmy Keyrouz. La musique est une partie intégrante de la vie du jeune réalisateur qui est un fan inconditionnel du piano et ceci dès son plus jeune âge. Il a d’ailleurs été «choqué» de savoir que Daech avait banni la musique dans les territoires qu’il contrôlait et a entrepris d’enquêter dessus. Il a découvert que les musiciens jouaient, secrètement, et que les artistes continuaient de produire en catimini des créations dans tous les domaines. «Cela m’a aussi poussé à raconter leurs histoires», confie le réalisateur qui précise que «c’est aussi un film sur l’espoir que procure la musique». En somme, c'est l'histoire d'un héros qui n’a plus rien à perdre et dont le piano constitue la dernière lueur d’espoir. Il s’y accroche alors et tente de transmettre cet espoir à ceux qui l’entourent, démontrant ainsi qu’il y a toujours «des raisons pour se battre et des objectifs à atteindre», confie Jimmy Keyrouz.




Tout au long du film, porté par une pléiade d’acteurs libanais de premier plan, notamment Adel Karam, Badih Abou Chakra, Gabriel Yammine, Julian Farhat, Said Serhan, Mounir Maasri, Rola Beksmati Sara Abi Kanaan et Rodrigue Sleiman, le réalisateur met en scène les extrêmes de la sous-vie régie par la terreur. Un homme est flagellé pour s'être coupé les cheveux et «avoir bu comme un Occidental». Un homosexuel est jeté d'un toit. Des livres sont brûlés dans une salle de classe afin de donner la leçon: celle d’effacer les «endoctrinements» du passé. La violence perpétrée par l’État islamique est reflétée à l’état brut: des scènes «tournées au Liban mais aussi, en partie, à Mossoul en Irak dans les derniers lieux où l’État islamique avait combattu et où tout était en ruine», décrit le réalisateur qui affirme avoir «senti l’odeur des cadavres et croisé des hommes à la barbe fraîchement rasée (signe de leur appartenance passée à l’EI), qui tentaient de se fondre parmi les civils».

Mais au milieu de ce paysage sombre, il y a aussi de «petites victoires» du quotidien sur l'obscurantisme prégnant: des scènes où les habitants se rassemblent pour célébrer la réouverture d'un magasin, ou pour apporter de l'aide à des étrangers. C’est un maelström d’émotions allant de l’espoir au déchirement en passant par la lutte pour la liberté d’expression qui se trouve dans le film, «à l’image d’une part des obstacles que nous avons rencontrés, par moments, lors du tournage, suspendu durant quelques semaines en octobre 2019».

«La majorité des membres de l’équipe avaient souhaité prendre part aux manifestations qui avaient germé un magnifique espoir dans le cœur des Libanais, avant de s’étioler, jusqu’à ce que de guerre lasse, les Libanais se trouvent contraints de quitter leur pays vers des ailleurs plus cléments, en dépit du déchirement qui accompagne des décisions aussi drastiques, mais malheureusement incontournables au vu des conditions de vie actuelles…», conclut Jimmy Keyrouz.
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