
Malgré des violences en marge du festival, Aurillac retrouve son souffle artistique. Entre CRS en patrouille et artistes déterminés, la ville transforme ses rues en scènes vivantes.
Les tréteaux s'installent, les percussions résonnent et les comédiens fardés se lancent, comme si rien ne pouvait altérer la fête: à Aurillac, capitale éphémère du théâtre de rue, le calme est revenu après des violences condamnées par les festivaliers.
L'avant-dernière nuit a été tendue, mais au lever du jour vendredi, la préfecture du Cantal se réinvente en scène à ciel ouvert, fidèle à une tradition perpétuée depuis bientôt 40 ans.
«À Aurillac, on respire le théâtre et la culture comme d'autres respirent l'océan», glisse Philippe, un habitant et festivalier, en observant une troupe hispano-argentine qui répète un numéro d'acrobaties sur une place publique.
Partout, le théâtre reprend ses droits, loin du spectacle désolant des émeutes: les rues s’emplissent de musiques, de danses, de monologues.
Les spectateurs affluent, smartphones en main pour immortaliser cette magie fragile. «La violence détruit, mais l'art construit. On a choisi notre camp», lâche Camille, comédienne masquée, avant de disparaître dans la foule.
En arrière-plan, les stigmates de la nuit de mercredi à jeudi, au cours de laquelle huit policiers ont été blessés par des émeutiers cagoulés, sont visibles: vitrines fracturées, tags anti-police et anarchistes, forces de l’ordre quasiment à chaque carrefour.
La préfecture a indiqué à l'AFP qu'aucun nouvel incident n'était à signaler vendredi.
Pour autant, «le dispositif avec renfort est maintenu jusqu'à la fin du festival» samedi, a-t-elle précisé, en référence à l'envoi de la CRS 83, spécialisée dans les émeutes.
Fondé en 1986, le festival international de théâtre de rue d'Aurillac, qui attire près de 180 000 visiteurs, repose sur un pari simple: transformer chaque rue, chaque place, chaque façade en scène.
Les œuvres présentées ici portent souvent une réflexion critique sur la société, et l'événement a déjà été entaché par des violences.
En 2023, à l'issue d'une manifestation de soutien à une femme poursuivie pour s'être promenée seins nus, des individus s'en étaient pris au tribunal, se livrant à des dégradations estimées à 250 000 euros par le gouvernement.
Mais les violences de cette édition «salissent l'image de cet événement», qui en est «victime», et n'ont «rien à voir avec notre projet, qu'il soit artistique, culturel ou social», tient à souligner Frédéric Rémy, directeur du festival.
Selon lui, «ce festival rassemble des artistes, du public, des festivaliers, des habitants pendant quatre jours pour vivre une forme d'utopie, d'un monde peut-être différent, plus fraternel».
«On ne vient pas seulement pour voir des spectacles, on vient pour être traversé par eux, les vivre jusqu'au plus profond de soi», confirme Marion, 28 ans, spectatrice de Toulouse qui refuse de croire que les violences soient l'œuvre de festivaliers ou d'artistes.
«On ne peut pas laisser ces black blocs au discours anarchiste casser notre ville et notre festival», a déclaré jeudi le maire PS de la ville, Pierre Mathonier, à l'AFP.
Pour que la fête continue, des petits groupes de CRS ont sillonné les avenues toute la nuit dernière.
«C’est difficile de dormir après la nuit que l'on a vécue. J'ai défendu ma terrasse et mon commerce coûte que coûte», raconte Victorien Chauvet, propriétaire d'une brasserie près de laquelle ont éclaté les émeutes.
Pourtant, dès l'aube, le commerçant a rouvert sa terrasse. «Je refuse de céder. Le festival, c'est une grande partie de mon chiffre annuel».
Même état d'esprit du côté des compagnies. «On a eu peur que tout s'arrête, que le public fuie», admet Antonio, artiste d'origine espagnole.
«Jouer dehors, c’est toujours accepter l'imprévu. Cette année, l'imprévu est plus brutal. Nous voulons répondre par le rire et l'émotion», relève Martha, une metteuse en scène brésilienne.
«L'on ne peut pas faire comme si tout allait bien», reconnaît Laurent, professeur de théâtre. «Mais peut-être que l'art sert justement à ça: nous rappeler que l'on peut encore se rassembler», ajoute-t-il.
Par Lény-Huayna TIBLE / AFP
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