L’écriture inclusive: pour que le masculin ne l’emporte plus sur le féminin
L’écriture inclusive est-ce une mode passagère, un danger qui menace la langue française ou un mouvement irréversible, qui s’inscrit dans la quête de l’égalité?

S’il y a un seul homme parmi mille femmes, l’accord se fait au masculin!
Au début des années 2000, on utilisait beaucoup le «e» pour féminiser, mais on le plaçait entre parenthèses: (e). Cela ne pouvait être en faveur de l’égalité femme-homme. Il fallait souligner sans détours la présence de la femme.

Pour que «le masculin ne l’emporte plus sur le féminin», 314 membres du corps professoral s’engagent le 7 octobre 2017 en France à ne plus enseigner cette règle grammaticale discriminatoire. Leur déclaration, s’appuyant sur différents arguments, pointe la domination du sexe masculin considéré comme «le plus noble» au XVIIe siècle, dénonçant ainsi l’invisibilité de la femme dans les représentations mentales à l’école. Parmi les hypothèses invoquées: durant la Renaissance, on pratiquait l’accord de proximité venu du latin, comme on remarque dans cette citation de Ronsard: «Afin que ta cause et la mienne soit connue de tous.» On décèle une allusion aux détenteurs du pouvoir qui instrumentalisent la langue, à partir du XVIIe siècle.

Quelles sont les conventions orthographiques de l’écriture inclusive pour ceux et celles qui voudraient l’appliquer? Qu’en pensent les Immortels? Faisons le tour de la question.
Les règles d’orthographe de l’écriture inclusive:
1- Mentionner par ordre alphabétique le genre, donc en commençant avec les termes au féminin puis au masculin.
Ex. : Elles et ils font…

2- Utiliser la double flexion.
Ex.: Les Libanais et Les Libanaises…

3- Employer l’accord de proximité qui se fait avec le sujet le plus proche
Ex.: Les hommes et les femmes sont venues.

4- Utiliser un point médian pour marquer le genre des mots et pour ajouter la marque du pluriel.
Ex: les étudiant.e.s; les lecteur.rice.s

5- Privilégier les noms épicènes.
Ex: Les collègues; les bénévoles; les stagiaires; les volontaires, etc.

6- Éviter les noms génériques.
Ex.: Droits des hommes --> Droits des humains; Déclaration des droits du citoyen et de la citoyenne


7- Accorder en genre les noms des fonctions, grades, métiers et titres.

Il faut souligner également la malléabilité de l’écriture inclusive, la possibilité de rédiger librement en fonction du contexte, des tournures de phrases et du sens recherché. À noter que le président Macron utilise lui-même certaines règles inclusives à l’oral.

Les gardiens de la langue française et des traditions
En revanche, l’Académie française a mis en garde contre «l’écriture dite inclusive», selon ses propres termes, qui veut s’imposer comme une norme. Dans la lettre ouverte adressée par l’Académie, Hélène d’Encausse et Marc Lambron critiquent la contre-productivité d’un tel projet et n’y voient que nuisibilité à l’encontre de la langue française. Cela complique la lecture notamment à voix haute, alourdit la tâche des pédagogues, des élèves et des lecteurs et «pénalise les personnes affectées d’un handicap cognitif, notamment la dyslexie, la dysphasie ou l’apraxie», selon le cri d’alarme lancé en 2019 par les immortels. Devant «cette aberration inclusive», la langue française est désormais «en péril de mort», martèle l’Académie. La difficulté de la langue française sera accrue avec l’usage de formes secondes et altérées. Quant à la diffusion de la francophonie, l’anglais comme langue véhiculaire ne fera que profiter de ce redoublement de complexité pour gagner du terrain et supplanter la sophistication grandissante de la langue française, pouvons-nous comprendre encore dans cette déclaration.

Dans cette même perspective, soixante députés avaient signé une proposition pour l’interdire dans les documents officiels. Ainsi, le ministère de l’Éducation nationale français, Jean-Michel Blanquer, a publié un bulletin officiel le 6 mai 2021, dans lequel il affirme que l’écriture inclusive sera bannie de l’enseignement scolaire, notamment en ce qui concerne le piont médian. Le communiqué de l’éducation nationale précise qu’il est en faveur de l’égalité entre filles et garçons, prélude de l’égalité entre femmes et hommes, mais dans le cadre d’un vaste plan d’action, comprenant une plus grande mixité des filières et métiers.

Les défenseurs de l’écriture inclusive
À l’opposé, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) a mis au point une guide pratique «pour une communication publique sans stéréotypes de sexe». Parmi les recommandations du HCE, l’adoption de l’écriture inclusive occupe une place de choix. Le HCE encourage les institutions publiques à signer une convention d’engagement pour une communication sans stéréotype de sexe. À noter que la liste des signataires depuis 2015, date de la parution du guide, compte de nombreuses institutions, organisations et sociétés prestigieuses.

La polémique sur l’écriture inclusive s’est enflammée en 2017, après la parution d’un manuel de géographie à destination des CE2 qui mettait en avant les femmes, féminisait les métiers et impactait la syntaxe en utilisant le point médian. Le manuel de Hatier s’intitule: Questionner le monde. «Dans un souci d’égalité entre les femmes et les hommes, les éditions Hatier et les auteurs ont décidé de suivre les recommandations du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes.» Dans son communiqué de presse, Hâtier précise aussi qu’il se s’agit ni d’un manuel de lecture ni de français: «Nous avons fait le choix d’une utilisation raisonnée de l’écriture inclusive.»

Rappelons qu’en février 2019, l’Académie française a reconnu la validité des noms de métiers et de titres au féminin, à l’exception de celle des grades et des fonctions.

Dans cette même perspective, Le Manuel d’écriture inclusive (2016), dirigé par Raphaël Haddad, fondateur et directeur associé de mots-clés et docteur en analyse du discours, se donne pour mission de faire progresser l’égalité homme-femme par la manière d’écrire. «Pour changer les mentalités, il faut agir sur ce par quoi elles se construisent: le langage.»

Soulignons aussi que, comme le point médian n’existe pas sur les claviers, il faudrait taper alt+0183 sur Windows ou alt+Maj+F sur Mac. Cela dit, le logiciel Word offrira dès l’année prochaine l’option «écriture inclusive» dans son module de correction.

L’avis d'une pionnière: professeure Carmen Boustani
Interrogée sur l’écriture inclusive, Professeure Carmen Boustani, docteure en sémio-linguistique, auteure féministe et théoricienne de l’écriture-corps, répond à Ici Beyrouth: «Dans mon cheminement féministe et l’intérêt que j’ai porté aux écrits des femmes, j’ai été informée très tôt de la féminisation des noms de métiers grâce, notamment, à ma directrice de thèse à la Sorbonne, Anne-Marie Houdebine. À l’époque, la commission de terminologie relative au vocabulaire concernant les activités des femmes a été appuyée dans ses projets, par la ministre des Droits de la femme Yvette Roudy, qui militait pour la visibilité de la femme dans la langue. Personnellement, j’ai beaucoup travaillé sur le corps. Mes livres vont dans ce sens notamment L’Écriture-corps chez Colette; Aux frontières des deux genres, en hommage à Andrée Chédid; Oralité et gestualité ainsi que la plupart de mes essais et recherches. Dans cette perspective, j’ai été la première à enseigner et à appliquer l’écriture inclusive, d’abord dans tous ses codes, ensuite partiellement, pour éviter la lourdeur sur le plan graphique et syntaxique.»

Et pour compléter ce tour d’horizon, professeure Boustani signale: «Actuellement, la théorie Queer pose la problématique du «Gender» sous un nouveau concept. Aujourd’hui, bon nombre de chercheurs s’intéressent à la nouvelle tournure de la communication inclusive que je me défends de juger, _a fortiori_ en ma qualité de directrice de séminaire sur le «Gender» dans la langue, à l’Usek. Il s’agit du non binaire, c'est-à-dire le genre neutre, représenté par le pronom «iel». L’écriture inclusive qui se préoccupait de la visibilité des femmes a déclenché une autre façon de voir les choses chez ceux et celles dont l’âge varie entre 18 et 25 ans. Je suis pour la recherche, je respecte toute créativité, mais appliquer le non binaire c’est nier tout ce qu’il y a eu avant. Donc je m’interroge pour le moment sur le genre neutre qui est pour moi une autre vision des choses. C’est une tendance qui reconnaît le corps biologique et évite sur le plan social que le biologique soit marqué. C’était d’abord destiné aux transgenres, puis c’est devenu une mode, un courant, qui revendique la liberté de choisir l’identité sociale sans être déterminé par le genre biologique.»

 
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