Une seconde d’éternité (d’après une idée de Charles Baudelaire) de Marcel Broodthaers est une installation dans laquelle l’artiste belge présente le film le plus court du monde. Il s’agit de vingt-quatre images, projetées en boucle, sur lesquelles apparaissent les initiales de l’artiste. Conçu en 1970, ce film, qui dure ainsi une seconde, fait apparaître la présence de l’artiste par la simple figuration de sa signature, en un instant fugitif et suspendu. Une seconde d’éternité donne le ton d’une exposition qui, à la Bourse de commerce, présente un ensemble d’œuvres de la Collection Pinault et transporte le visiteur dans un monde futuriste inspiré de la réalité et habité par la question et l’expérience du temps, un temps où l’intensité de la présence des corps et des images n’a d’égale que leur fugacité.
Vingt artistes de renom du monde de l’art contemporain y sont mis en avant: Arca, Larry Bell, Marcel Broodthaers, Miriam Cahn, Nina Canell, Liz Deschenes, Ryan Gander, Dominique Gonzalez-Foerster, Felix Gonzalez-Torres, Roni Horn, Pierre Huyghe, Gustave le Gray, Sherry Levine, Carrie Mae Weems, Philippe Parreno, Anri Sala, Tino Sehgal, Rudolf Stingel, Sturtevant, Wolfgang Tillmans.
Nouveau temple de l’art contemporain parmi le réseau de lieux et d’initiatives développés depuis 2006 par François Pinault, la Bourse de Commerce — Pinault Collection propose un point de vue sur la collection d’œuvres contemporaines qu’elle rassemble depuis plus de cinquante ans, à travers un programme d’expositions et d’événements.
«À la faveur de l’ouverture d’un nouveau lieu de présentation de ma collection à la Bourse de Commerce, au cœur de Paris, une nouvelle étape est franchie dans la mise en œuvre de mon projet culturel: partager ma passion pour l’art de mon temps avec le plus grand nombre.» annonce l’homme d'affaires milliardaire français, fondateur des sociétés Artémis et Kering (anciennement PPR). François Pinault, dont la fortune est classée 24e fortune mondiale en 2021 et qui figure parmi les dix plus grands collectionneurs d'art contemporain au monde, fonde son entreprise en 1962 dans le négoce de bois. À la fin des années 1980, il diversifie ses activités et entre dans le secteur du luxe à l'approche du millénaire. En 2003, il passe le relais à son fils François-Henri et se consacre à sa passion pour l'art contemporain.
Dans les années 1970, François Pinault achète son premier tableau, une œuvre de Paul Sérusier, un peintre postimpressionniste français, associé au mouvement des nabis. Il enchaîne ensuite les acquisitions de tableaux de peintres du début du XXe tels que Picasso, Georges Braque, Fernand Léger ou Yves Tanguy, prenant ensuite goût à l'art contemporain avec l'achat d'une œuvre de Koons (Equilibrium), en 1985, et du tableau Losangique II de Piet Mondrian, en 1990. Profitant d'un repli du marché, il accumule des œuvres d'artistes du pop art, tels que Robert Rauschenberg ou Andy Warhol, ou d’expressionnistes abstraits comme Mark Rothko, Barnett Newman, Jackson Pollock ou Willem de Kooning. La collection s’élargit ensuite avec des pièces acquises directement dans les ateliers d'artistes, dont celles de Jeff Koons, Cy Twombly, Richard Serra, Damien Hirst, Cindy Sherman, Marlene Dumas et David Hammons. En 1998, il rachète la maison britannique de vente aux enchères Christie's pour 1,2 milliard d'euros. En 2005, il reprend le Palazzo Grassi à Venise. Le site comprend deux bâtiments: un palais historique construit au milieu du XVIIIe siècle au bord du Grand Canal et un ancien théâtre adjacent tombé en ruine. La rénovation du palais est confiée à l'architecte japonais Tadao Andō. L’espace est inauguré en 2006 avec la première exposition d’une sélection d'œuvres de Pinault Collection intitulée «Where Are We Going?». En mai 2007, il reprend la Punta della Dogana qui rajoute 5.000 m² de surface d'exposition aux espaces du Palazzo Grassi. Tadao Andō transforme l'ancien entrepôt en musée d'art contemporain. La réouverture a lieu en mai 2009. En 2013, il lance la rénovation du Teatrino, petit théâtre adjacent au Palazzo Grassi, totalement en ruine. Tadao Andō y conçoit un auditorium de 225 places.
Simplicité apparente des formes, épures des matériaux, rapport direct avec l'environnement, c'est la signature architecturale du maître japonais, prix Pritzker 1995, présenté comme le «Nobel» de l’architecture et qui, à l’âge de 24 ans, rêvait de rencontrer Le Corbusier. Adolescent, il adore la tranquillité des temples et des maisons de thé, toujours en harmonie avec leurs jardins. Son architecture sera très ancrée dans cette culture japonaise et dans ce rapport très direct à la nature qui définira son art. Pour lui, néanmoins, la nature reste abstraite, présente avant tout dans l'air, les variations de température ou d'humidité, la pluie, le ciel et la lumière. Toujours dans cette quête de l'essentiel et cette fusion à l'environnement, il rénove d'abord le Palazzo Grassi en jouant sur des triangles de lumière, puis la Punta della Dogana où l'espace intérieur est réorganisé autour de structures plus cubiques respectant les formes originelles de l'ancien bâtiment des douanes de la Cité.
Au mois d'avril 2016, François Pinault officialise avec la mairie de Paris le projet de transformer la Bourse de commerce de Paris en musée d'art contemporain avec une collection exceptionnelle de plus de 10.000 œuvres – peintures, sculptures, vidéos, photographies, œuvres sonores, installations et performances – de près de 350 artistes issus de nombreux pays et représentant plusieurs générations. «Cet ensemble offre un regard sur l’art de notre temps, le regard d’un passionné, un regard subjectif, qui contribue à saisir notre époque.» lit-on sur le site de la Bourse de commerce.
L’ouverture de l’espace, également rénové par Tadao Andō, a lieu en mai 2021. Au centre du projet, la construction d'un cylindre de 30 m de diamètre pour 9 m de haut, une sorte de «bâtiment dans le bâtiment». Une réalisation complexe dans un édifice du XIXe partiellement classé, associant la première colonne isolée de Paris, destinée au 15e siècle pour l’hôtel de Catherine de Médicis, les vestiges d’une halle au blé, avec son plan circulaire du 18e siècle, couverte dès 1812 par une coupole de métal et de verre à l’extraordinaire fresque glorifiant le capitalisme naissant. On pourrait aussi mentionner l’escalier à double révolution du Camus de Mézières qui permettait de faciliter la circulation entre stockage et déstockage des sacs de céréales. Ce véritable manifeste de l’architecture parisienne du 16e au 19e siècle que constitue cet ensemble composite a été assemblé en 1889 pour devenir la «Bourse de commerce». Il s'agissait, pour Tadao Ando, d’en préserver la structure. Sous la spectaculaire coupole en fonte de François Bélanger et sur un parquet d'époque, Tadao Ando a installé une légère ossature creuse en acier recouverte de deux fines voiles de béton offrant la même minéralité que son béton habituel et une lumière idéale pour les œuvres. Un geste architectural contemporain créant les conditions d’un dialogue entre l’architecture et son contexte, entre le patrimoine et la création contemporaine, entre le passé et le présent, entre la collection et le visiteur et, pour revenir au sujet de l’exposition, entre l’éternel et l’instant fugace.
Parmi les très belles œuvres exposées, une œuvre emblématique de Boris Mikhaïlov, la série «At Dusk», composée de 110 photographies prise à Kharkiv, la ville natale de l’artiste ukrainien. Dominique Gonzalez-Foerster développe une œuvre qui convoque à la fois les influences de l’opéra, de la littérature et du cinéma. La photographie contemplative de Wolfgang Tillmans, prise à travers un hublot d’avion, brouille les frontières visibles entre la terre et le ciel vers une autre dimension spatiale et temporelle. Entre apparition et disparition, le dispositif mis en place par Larry Bell transporte le visiteur vers un monde fantomatique aux limites incertaines. La vidéo «Ceci est un mensonge» de Pierre Huygue s’inscrit dans le cadre d’un projet collectif (No Ghost Just a Shell) au sein duquel le comportement du personnage d’Annlee brouille perpétuellement la frontière entre la réalité et la fiction. Sherrie Levine revisite une série de photographies d’Alfred Stieglitz. En associant des œuvres antérieures à de nouvelles situations – une sculpture de Robert Gober ou une installation de Felix Gonzalez-Torres – Sturtevant s’intéresse au contexte qui influe sur la réception et la lecture de l’œuvre. L’installation de Maurizio Cattelan travaille sur l’angoisse hitchcockienne et la menace de voir arriver des pigeons à l’intérieur de nos espaces. L’exposition «Une seconde d’éternité» explore ces différentes dimensions dans lesquelles le temps paraît fugitif ou étiré, au sein d’une expérience tant esthétique qu’existentielle ou politique.
Jusqu’au 9 janvier 2023 à la Bourse de commerce, sur un commissariat d’Emma Lavigne, directrice générale de Pinault Collection, avec Caroline Bourgeois, conservatrice auprès de la collection, et Matthieu Humery, conservateur auprès de la collection, chargé de la photographie.
«Une seconde d’éternité» se clôt autour de Time No Longer (2021) d’Anri Sala, une œuvre vidéo présentée sur un immense écran courbe épousant le cylindre de la Rotonde, au cœur du musée. (A lire dans la prochaine chronique).
Sturtevant, sur une sculpture de Robert Gober ou une installation de Felix Gonzalez-Torres
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