L’agroforesterie peut-elle sauver l’agriculture libanaise?
Comment sauver l’agriculture libanaise? Malmenée par la crise, comme tous les secteurs du pays, elle doit se réinventer pour calmer son appétit pour les produits chimiques et les industries fossiles si elle veut survivre. Une partie de la solution pourrait passer par l’agroforesterie.

Association française d'Agroforesterie

Ces dernières années, l’agriculture libanaise a été confrontée à deux problèmes majeurs. Comme partout dans le monde, le réchauffement climatique a grandement affecté le secteur. Alternances de sécheresse et d’inondations, incendies, gels, déforestations… Tout au long de l’année, les cultures sont désormais victimes des aléas de la nature.

À cet enjeu global s’ajoute la crise économique que subit le pays du Cèdre depuis 2019. La dépréciation de la livre libanaise et l’inflation galopante ont fait exploser les prix de l’énergie et des intrants. Presque entièrement conventionnelle, l’agriculture libanaise dépendait, dans plus de 90% des cas, de produits chimiques et, bien sûr, de l’électricité et du fioul pour faire fonctionner ses équipements. Désormais, nombreux sont les agriculteurs qui n’arrivent plus à vivre de leur métier.

Pour améliorer la situation, la France et l’association libanaise Jouzour Loubnan ont lancé une initiative pour démocratiser la pratique de l’agroforesterie au Liban. Dans cette optique, deux experts de l’Association française d’agroforesterie sont arrivés à Beyrouth pour tenir une première réunion d’information (qui a eu lieu le 5 décembre à l’Université Saint-Joseph) et parcourir le territoire libanais (du 6 au 9 décembre) à la rencontre des agriculteurs, dans le but de promouvoir les bienfaits de la pratique, en pleine expansion en France.

Association française d'Agroforesterie

Des plantes pour en sauver d’autres

Mais qu’est-ce que l’agroforesterie? Comme son nom l’indique, cette pratique consiste à planter des arbres dans les cultures et les pâturages. Il ne s’agit pas toutefois de reforestation dans le sens strict du terme, puisque ces arbres ne doivent couvrir que 20 à 30% d’une surface agricole, afin de ne pas entraver les plantations et les bêtes.


Répartis en rangées espacées sur plusieurs dizaines de mètres, les arbres plantés apportent plusieurs bienfaits. Ils sont avant tout des barrières naturelles contre le soleil, l’érosion des sols et les inondations. Ils attirent également de nombreux animaux et insectes qui peuvent être bénéfiques à la production, comme des pollinisateurs ou des prédateurs d’espèces invasives. Enfin, ils permettent de diversifier les cultures en apportant de nouvelles récoltes et de générer ainsi de nouveaux profits.

Cependant, l’agroforesterie ne se limite pas uniquement aux arbres. Au lieu de laisser un terrain en jachère hors des périodes de cultures, il peut être intéressant de planter une autre espèce afin de permettre aux sols de conserver leur vitalité et à la biodiversité de perdurer. «En France, certains de nos terrains sont toujours couverts de plantes. Les insectes restent sur place et la terre ne perd aucune de ses qualités», explique Philippe Brion, responsable agronome à l’Association française d'agroforesterie.

Association française d'Agroforesterie

Des combinaisons infinies

Dans l’agroforesterie, il existe autant de combinaisons que d’espèces de plantes et d’arbres, et les associer avec de l’élevage est encore plus bénéfique. Vaches, chèvres et moutons peuvent, par exemple, brouter une partie des végétaux inutiles. Leurs déjections peuvent ensuite servir d’engrais naturels pour les nouvelles plantations, et ainsi de suite. «J’élève des moutons depuis quelques années. Mes voisins les laissent se nourrir dans leurs champs, ce qui permet de régénérer ceux-ci et assure de la nourriture pour mes bêtes», indique Pierre Pujos, agriculteur dans le Gers et membre de l’Association.

Avec son secteur agricole en crise, la France tente, comme elle peut, de trouver des alternatives pérennes aux pratiques conventionnelles. D'ici à 2030, elle espère que 16% de ses fermes se convertissent à l’agroforesterie et compte y investir 50 millions d’euros. Un plan qui n’est pas forcément très ambitieux pour un pays européen, mais qui a néanmoins le mérite d’exister.

Philippe Brion (gauche) et Pierre Pujos (droite) de l'Association française d'Agroforesterie

Le Liban, quant à lui, n’en est pas encore à ce stade. Lors de la réunion du 5 décembre, les représentants des ministères de l’Écologie et de l’Agriculture semblaient découvrir le sujet pour la toute première fois. Dans un pays où un très grand nombre d’agriculteurs préfèrent mettre la clef sous la porte plutôt que de se passer de produits chimiques, réussir à changer les mentalités risque de représenter un vrai défi. «Avec la crise, ils mettent de toute façon la clef sous la porte, donc ils n’ont plus trop le choix», estime Raoul Nehmé, vice-président de l'association libanaise Jouzour Loubnan. «Mais il faut garder espoir. Il suffira de convaincre les bonnes personnes et les autres suivront», conclut-il.
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