Rihet El Aanbar: Théâtre dans le théâtre
Le metteur en scène et acteur Issam Bou Khaled monte Rihet El Aanbar qui n’est pas une pièce de théâtre traditionnelle et ne ressemble à aucune de ses créations passées. L'œuvre a été mise sur les planches du Théâtre Tournesol, le 27 novembre 2022, dans le cadre du festival Zoukak Sidewalks, avec Bernadette Houdeib, Joëlle Mansour, Sawsan Chawraba, Samer Kaddouh, Omar Bekaai, Mohamad Al Amari, Gemma Parcasio et Miah Somon. «C’est une représentation ou plutôt une prise de position par rapport au traumatisme du 4 août dont on continue de ressentir les répercussions. Cette œuvre s'inscrit dans les arts de la scène. Cependant, sa construction et sa logique ne relèvent en aucun cas de la mise en place théâtrale traditionnelle», affirme-t-il en guise d’introduction. La pièce sera rejouée le 20 décembre 2022, au Théâtre Tournesol, en attendant une programmation ultérieure.

«Ce projet a débuté il y a un an et demi. L’idée était de créer une réunion Zoom où les gens se retrouveraient comme dans une représentation théâtrale. Certains des participants devaient camper des personnages, d'autres pas, sans que l'on puisse réellement distinguer les uns des autres. Nous avons assez vite fait face à des problèmes techniques. Parmi les participants à ce projet, il y a des acteurs, des victimes de la double explosion du 4 août et des personnes qui s'inspirent des histoires des victimes. De là découle la précision du texte et surtout des témoignages», explique Issam Bou Khaled.

Le plus dur a été d’orienter le texte en restant fidèle aux témoignages, à la création théâtrale et à la réécriture, ainsi qu'à ses propres écrits, inspirés de choses vécues ou observées après l’explosion. Il cite: «Victimes, exploitation, injustice et criminels en liberté, alors que les coupables sont bien connus. Je ne voulais pas que ce soit théâtralisé du point de vue de l'actorat. » Pour lui, il s’agissait surtout de préserver la réalité et la particularité de chaque personnage et de chaque histoire contée.



La représentation est donc un mixage de numérique et de réel; la réunion Zoom et son extension sur les planches ont servi de plateforme aux personnes qui montent sur scène pour clamer leur opinion. «La seule difficulté que l’on a eue est familière; dans ce pays, il n’y a pas de politique précise en termes de culture. Tout est question de pistons et de commercialisation. Cela se reflète sur la société et les institutions personnelles. Les individus prennent alors la relève afin de promouvoir le côté culturel. À tout cela s’ajoute la débâcle économique du pays et toutes les difficultés qu'elle entraîne au quotidien. Or, contre toute attente, le théâtre connaît actuellement un grand essor et les salles sont bondées.

Bernadette Houdeib, actrice affranchie et bête de scène, a toujours joué dans les pièces de son époux, Issam Bou Khaled. Elle parle du projet et de son expérience avec le metteur en scène, soulignant son admiration à son égard.


«Le projet a commencé durant la pandémie. La révolution battait son plein et le pays était en pleine crise. On a monté ce projet sur Zoom pour être diffusé en ligne. Il y a une quinzaine de jours, Issam Bou Khaled a décidé de le mettre en scène sur les planches et de le développer en y ajoutant le vécu de nos jours, dans notre société.

La pièce, dont le thème est l’explosion du 4 août, est portée par une actrice activiste qui mène une campagne pour aider les victimes. On commence à découvrir les approches de chacun par rapport à l’explosion. On comprend aussi l'imposture de cette actrice dont le but se limite, en fait, à se faire de l’argent. Elle se révèle raciste, extrémiste et égoïste. Les divers participants à ce projet sont des acteurs, mais également des individus lambda couplés à des victimes du 4 août qui ont transmis leurs témoignages. Sont aussi abordés des sujets délicats comme la maltraitance de la main d’œuvre étrangère, la répression violente de la révolution du 17 octobre, l'apathie d'une population anesthésiée et d'un gouvernement qui avait promis une enquête de cinq jours et qui n’a toujours pas nommé les coupables ni rendu justice aux parents des victimes, etc. »

Quant à sa collaboration avec le metteur en scène, elle ajoute: «Issam Bou Khaled a l'art de surprendre constamment le public. La performance n’est pas une pièce de théâtre en bonne et due forme: elle comprend des éléments audiovisuels et une présence sur scène. Le travail avec lui n’est pas des plus faciles... on peut ressentir une frustration et manquer de souffle, tant ce que l'on fait semble difficile. Cependant, lorsque le travail est achevé, on se rend compte à quel point on a eu de la chance de travailler avec ce metteur en scène innovateur, cet artiste authentique. Je n’ai jamais travaillé avec quelqu’un comme Issam. Je m'estime chanceuse et me réjouis de pouvoir faire du théâtre avec lui.»

Bernadette Houdeib donne aussi son avis sur le théâtre au Liban: «Heureusement, le théâtre au Liban connaît un dynamisme sans pareil depuis quelque temps. On joue deux, trois pièces par mois, dans des salles pleines. Les gens ont soif de théâtre, ça leur manque.
Je suis très enthousiaste à l’idée de revenir sur scène après la pandémie, et même avant, et je suis encore plus heureuse de la réaction du public. Certains sont étonnés par les sujets abordés, mais la plupart sont ravis de voir reflétée leur manière de penser et d'appréhender les choses, ce qui est merveilleux.»

Marie-Christine Tayah
Instagram : @mariechristine.tayah
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