En l’absence de vraies réformes, la situation déplorable des enfants au Liban risque de s’aggraver
Selon un nouveau rapport de l’Unicef, un enfant sur deux risque de subir des violences physiques, psychologiques ou sexuelles.

À l’âge de 13 ans, Rahaf a été poussée à se marier avec un garçon de cinq ans son aîné. La petite fille ne voulait pas se marier, mais elle n’avait pas d’autres choix. Comme le lui avait annoncé sa mère. Rahaf ne connaissait pas son futur époux. Elle était encore écolière. "J’avais des amis, dit-elle. Nous apprenions, nous jouions, nous rêvions de notre avenir. Lorsque je me suis mariée, tout cela s’est arrêté."

Rahaf a aujourd’hui 15 ans. Elle est tombée enceinte quelques semaines après ses noces. Son mari la battait. La jeune femme est retournée vivre dans la maison familiale, mais son mari lui a arraché sa fille, juste après sa naissance.

Le cas de Rahaf, rapporté dans un nouveau rapport de l’Unicef, n’est pas isolé. Avec la crise économique qui pèse lourd sur le Liban, les cas de violence domestique, de mariage précoce et de travail des mineurs sont devenus de plus en plus nombreux dans le pays, en l’espace de quelques mois. De fait, entre octobre 2020 et octobre 2021, les cas des enfants victimes d’abus et d’exploitation pris en charge par l’Unicef a augmenté de 44%, passant de 3.913 à 5.621 cas, d’après un rapport de l’agence onusienne rendu public vendredi à l’occasion de la visite à Beyrouth de la représentante spéciale du secrétaire général des Nations unies pour la violence contre les enfants, Najat Maalla M’jid.

Selon ce document intitulé Des débuts violents: des enfants qui grandissent à l’ombre de la crise libanaise, "un enfant sur deux risque de subir des violences physiques, psychologiques ou sexuelles". Près de 1,8 million d’enfants, soit plus de 80% d’entre eux, vivent aujourd’hui dans une pauvreté multidimensionnelle, contre 900.000 en 2019, lit-on dans le document. Ils risquent d’être victimes d’abus, comme le fait d’être obligés de travailler ou de se marier, pour permettre à leurs familles de boucler le mois.

L’Unicef souligne que pour 53% de ses partenaires, le travail des enfants reste la principale préoccupation, d’autant qu’il a augmenté de 41% en l’espace de trois mois. L’agence note dans ce cadre que de plus en plus d’enfants âgés de 6 ans travaillent actuellement dans des fermes, dans les rues ou vendent illégalement du carburant, ce qui les expose à des risques de graves brûlures, voire de mort.

Par ailleurs, les filles sont de plus en plus forcées de se marier tôt par des familles qui cherchent à obtenir des dots en échange: au Liban, une Syrienne sur cinq est mariée entre 15 et 19 ans, précise l’Unicef. De plus, les cas de violence domestique basée sur le genre ont considérablement augmenté entre 2018 et 2020, passant de 21% en 2018 à 35% en 2020. À cela s’ajoutent les problèmes liés à la santé mentale, un adolescent sur quatre confiant être déprimé, selon une étude menée par l’agence en septembre 2021 auprès de jeunes âgés entre 15 et 24 ans.


Alors que les familles défavorisées risquent d’être délocalisées, de nombreux enfants pourraient se retrouver dans des familles d’accueil, selon le rapport, qui note en outre que de plus en plus de familles abandonnent leurs bébés dans les rues et que le risque de rapt des enfants est également à la hausse. Enfin, d’après le document, de plus en plus d’enfants sont déférés devant la justice après avoir pris part à des manifestations, subi des violences, ou ont été poussés à commettre un crime pour survivre.

Des constats non surprenants

"Bien que choquants, ces constats ne sont pas surprenants à l’ombre de la crise au Liban", avance Roula Lebbos, assistante sociale et experte en protection des enfants et en justice juvénile. "Avec tout ce que les enfants ont vécu depuis le mouvement de contestation du 17 octobre 2019 jusqu’à la crise économique et financière, en passant par le Covid-19, l’enseignement à distance et la double explosion du 4 août 2020, il est normal de constater une augmentation des problèmes liés à la santé mentale parmi les jeunes. Ces enfants ont été sujets à une forte pression semblable à celle que peut engendrer une guerre aux armes lourdes", explique-t-elle à Ici Beyrouth.

Roula Lebbos souligne en outre que depuis la crise syrienne, "le problème du mariage précoce des mineures était pesant au sein des communautés de réfugiés syriens au Liban". "Aujourd’hui, nous constatons une augmentation des cas de mariage précoce au sein des communautés libanaises défavorisées, déplore-t-elle. Cela est dû à la crise économique. Malheureusement, de jeunes adolescentes de 15 et 16 ans choisissent de se marier à un âge précoce pour fuir la misère dans laquelle elles vivent. C’est un phénomène dangereux d’autant qu’il constitue une infraction aux lois visant la protection de l’enfant et de la famille."

Avec un État absent, ce sont les organisations non gouvernementales libanaises et internationales qui assurent la protection de l’enfance au Liban. "Elles sont les seules à œuvrer sur le terrain", constate Roula Lebbos, qui note que seul "un soutien financier et psychosocial aux familles" est capable de freiner ces abus dont sont victimes les enfants, dans l’espoir de faire reculer la tendance à un stade ultérieur. "En l’espace de deux ans, le Liban a malheureusement fait un bond de trente ans en arrière. Nous nous occupons de nouveau des besoins élémentaires, alors que le Liban avait atteint le stade où il se penchait sur l’aide psychosociale des enfants et la modernisation de ses lois pour mieux protéger l’enfance", déplore-t-elle.

Quid de la carte d’approvisionnement? Peut-elle constituer une partie des solutions? "Elle peut aider dans une certaine mesure, à condition que le taux de change du dollar soit stabilisé et que les sommes allouées aux familles soient versées en dollars frais et qu’elles prennent en considération la taille de la famille, répond Mme Lebbos. Mais surtout si elles sont distribuées équitablement et non pas sur une base électorale ou autre". Et l’experte d’insister: "En l’absence de vraies réformes économiques, la situation déplorable décrite dans le rapport de l’Unicef risque de s’aggraver."
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