Quand l’enchantement naît du «Chaos»
«Chaos» est une nouvelle galerie d’art qui, pour son inauguration, ouvre ses portes du 10 décembre au 10 janvier à la rue Sursock, rue connue pour ses palais prestigieux et son bouillonnement culturel.



L’inauguration de ce nouvel espace dédié à la promotion de l’art et curieusement baptisé «Chaos» débute par une exposition intitulée Enchanted, deux appellations dissonantes résolument choisies par Charbel Lahoud, propriétaire de la galerie: «Chaos», choisi, d’une part, pour se mettre au diapason d’un pays où anarchie et désordre sont banalisés, et «Enchanted» choisi, d’autre part, pour conjurer le mauvais sort, briser le cercle vicieux de la négativité. Ce paradoxe fait écho au mythe du déluge propre à toutes les civilisations. Il rappelle aussi qu’une nouvelle ère succède toujours au chaos, que l’anéantissement total appelle aussi à la renaissance et que cette dernière s’inaugure avec l’homme nouveau en quête de transcendance, à l’instar de l’artiste dont les aspirations élevées et la créativité permettent la réhabilitation de l’espèce humaine.



Cette exposition s’érige ainsi en symbole, mettant en lumière la force de résistance d’un pays englouti dans le marasme, dont la survie dépend, pour beaucoup, de son pouvoir de sublimation des forces négatives par l’expression artistique.

Pouvoir salvateur de l’art, seul exutoire dans un pays-épave où l’angoisse existentielle continue à alimenter un vivier d’artistes dont un bel échantillon nous est offert dans cette exposition faite pour rallumer les étoiles...

La porte de la galerie à peine franchie, la magie de l’art opère avec une multitude de pépites qui se dévoilent à nos yeux ravis. Des sculptures travaillées à l’argile, coulées dans le bronze puis patinées par la suite pour obtenir différentes teintes du métal avec Karine Hochar et Jacqueline Ohanian.

Artiste autodidacte, Karine Hochar sculpte des silhouettes massives, aux lignes simplifiées et minimalistes solidement plantées comme un tronc dans le sol. L’exagération des volumes et  la disproportion des formes produisent un effet brut de la matière et rappellent vaguement l’aspect  art primitif caractérisant la peinture de Picasso et Braque précédant la période du cubisme.



Karine Hochar tempère l’effet massif des personnages par l’inclinaison de la nuque qui permet de créer le mouvement et d’animer le petit ange flanqué de petites ailes. Cet ange qui rêve, la tête levée vers le ciel, ou cette mère de bronze penchée dans une attitude protectrice sur le petit cèdre qu’elle tient dans ses bras...

Jacqueline Ohanian, utilisant la même technique, nous touche par ses statuettes aux formes graciles, par la légèreté et la fragilité de ses oiseaux et poissons, nous émeut par la grâce aérienne de sa musicienne et nous effare dans sa représentation de la mort après le désastre, par ces corps ensevelis dans la glaise ou figés dans la lave, à l’instar des habitants de Pompéi.


Un autre univers s’ouvre avec le peintre sculpteur Toufic Melhem et ses silhouettes filiformes en fils métalliques colorés, qui s’élancent dans le vide comme portées par un élan vital.

Hayat Nazer présente une œuvre tableau et sculpture à la fois: main portant des gousses d’ail sculptées en relief, ressortant de la toile et illuminant cette dernière par un subtil effet d’éclairage. L'artiste rend hommage à une pauvre femme dans la misère ayant marqué son enfance.

Dans l’espace de la galerie, les peintres viennent se rallier aussi aux sculpteurs pour un dialogue vivifiant tant par sa diversité que par son intensité.



Hoda Baalbaki nous fascine avec ses paysages aux couleurs vivaces, aux tonalités vibrantes quand elle fait palpiter les turquoises, éclater les rouges, s’envoler les branches dans un ciel bleu vif. Le rouge fauve de ses arbres vient aussi envahir, enflammer l’espace de la toile en effluves de feu dont l’énergie dévastatrice semble sortir des entrailles de la Terre.

Ailleurs, l’artiste nous étonne par ses tonalités plus froides, celles d’une ville dont les immeubles semblent figés en apnée ou flotter dans une promiscuité étouffante, entourés de coquillages, oiseaux ou papillons cherchant désespérément une issue vers le ciel comme pour une bouffée d’oxygène.

Peintre et chanteur d’opéra à la fois, Matteo el-Khodr, lui, prône la dualité dans une mise en scène jumelée partagée entre deux passions, celle qu’il voue à la musique en tant que chanteur d’opéra et celle dédiée à la peinture imprégnée par la vie du spectacle faite d’artifices, de masques et de maquillage. L’artiste nous présente ainsi une série de personnages issus du monde du théâtre  où s’opposent, dans un duel constant, la comédie et le drame, la vie d’artiste dans sa vérité et la fiction jouée sur scène. Effet miroir aussi de l’arlequin triste représenté face à un double en version souriante… Dualisme et ambiguïté aussi avec le personnage de Pierrot dont l’identité hésite entre l’homme et la femme. Dédoublement encore, puisque Matteo passe de l’univers du théâtre occidental avec les stéréotypes de l’Arlequin et du Pierrot à la culture orientale en affichant sa passion pour l’orientalisme avec une série de personnages coiffés de turbans sur un fond de toile aux couleurs or et rouge passion.



Rolla Dolly et Névine Mattar, elles, nous séduisent et nous amusent par leurs toiles naïves et colorées. La première raconte des histoires à la manière des contes pour enfants, la seconde nous invite à rêver dans une ville réinventée, idéalisée dans un décor de maisons au style oriental et stylisé.

Les œuvres de Michel Harmouche se présentent comme un jeu subtil de texture écaillée ou quadrillée, mettant en relief, par effet de collages, des arbres aux formes abstraites sur des plans géométriques, superposés. Les couleurs assourdies, bleu, vert ou gris diffusent ainsi clarté et sérénité dans un style moderne et épuré.

Toute une panoplie d’artistes talentueux qu’on ne peut tous citer, dont David Daoud, avec ses paysages expressionnistes, Bassam Kyrillos avec ses sculptures étonnantes ressemblant à des façades trouées d’immeubles, Charles Khoury au style cubiste, naïf et coloré, Hayat Nazer aux installations écolos, tous rassemblés dans cette exposition  qui crée l’enchantement et rallume les étoiles...
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