A Beyrouth, Guterres appelle les politiques libanais à \
©Photo: Ici Beyrouth
Le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a appelé dimanche soir les hommes politiques libanais à "mettre un terme à leurs divisions qui paralysent le pays" et le peuple libanais à "s’engager en force dans le processus de désignation des moyens à même de faire progresser le pays", un processus que l’ONU "accompagnerait à chaque pas" estimant que les prochaines élections législatives seront "déterminantes" pour l’avenir du pays.

Antonio Guterres a entamé dimanche au Liban une visite de trois jours au cours de laquelle il entend afficher sa "solidarité" avec ce pays frappé par une crise économique et financière sans précédent.

"S'il y a bien un mot qui caractérise ma visite, c'est le mot solidarité", a déclaré M. Guterres dès son arrivée dans l'après-midi à Beyrouth, selon l'ONU.

C’est ce même "simple message de solidarité avec le peuple libanais" que le responsable onusien a affirmé avoir transmis au président de la République, Michel Aoun, en début de soirée, lors de leur entretien au palais de Baabda.

Guterres a également remercié le Liban pour "l’accueil réservé à beaucoup de réfugiés syriens en raison du conflit en Syrie" à l’issue de sa rencontre avec le chef de l’Etat libanais. "J’ai rarement vu des Etats et des peuples aussi généreux que le Liban l’a été avec les réfugiés syriens", a-t-il dit, évoquant les répercussions du conflit syrien sur l’économie, la société et la sécurité du Liban.

"Je suis convaincu que la communauté internationale n’a pas suffisamment fait pour aider le Liban comparativement à d’autres pays qui ont ouvert leurs frontières pour accueillir les réfugiés, d’autres pays plus capables ayant tout bonnement fermé les leurs", a-t-il noté.

"Le modèle libanais mérite que ceux qui président à la sécurité internationale assument leurs responsabilités pour soutenir intégralement le Liban face aux difficultés auxquelles il fait face à l’heure actuelle", a ajouté Antonio Guterres.

Le reproche aux chefs politiques

Le secrétaire général de l’Onu a par ailleurs appelé les "politiques libanais à œuvrer ensemble pour résoudre la crise et la communauté internationale à soutenir davantage le Liban". "Le peuple libanais s’attend des chefs politiques à ce qu’ils restaurent l’économie, redynamisent le gouvernement et les institutions étatiques, mettent fin à la corruption et préservent les droits de l’homme (…). Ils n’ont pas le droit de se diviser et de paralyser le pays. Le président de la République doit être le symbole de cette unité nécessaire", a noté le responsable onusien.

Le diplomate onusien avait déjà appelé jeudi dans une conférence de presse les responsables politiques libanais à l'unité pour trouver des solutions à la crise que traverse le pays, l'une des pires au monde depuis 1850, d'après la Banque mondiale.

Le gouvernement libanais ne s'est pas réuni depuis la mi-octobre, sur fond de divisions politiques autour du travail du juge d'instruction Tarek Bitar, chargé de l'enquête sur l'explosion au port de Beyrouth en août 2020, qui a fait au moins 215 morts, 6.500 blessés et détruit des pans entiers de la capitale. Un autre aspect de la crise est lié aux tensions entre les pays du Golfe et l’Iran, le Conseil de coordination du Golfe, et plus spécifiquement l’Arabie saoudite reprochant au Liban de servir de base à des "actes terroristes" du Hezbollah à l’encontre du monde arabe.

Législatives "déterminantes" et "accompagnement" de l’ONU

Devant Michel Aoun, Antonio Guterres a souligné que "les prochaines législatives l’an prochain seront déterminantes", appelant "le peuple libanais à s’engager en force dans le processus de désignation des moyens à même de faire progresser le pays", a-t-il noté, et précisant que "l’ONU accompagnera chaque pas de ce processus".

Le secrétaire général de l’ONU a également appelé "au respect intégral de la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU, à l’arrêt des actions hostiles le long de la Ligne bleue, et à la décrispation des tensions entre" le Liban et Israël, saluant l’action des forces de la Finul pour préserver la paix.

Il a enfin mis en exergue la nécessité du "maintien du soutien international à l’armée libanaise et aux autres institutions sécuritaires, qui est fondamental pour la stabilité du Liban", appelant "les pays membres à poursuivre et augmenter ce soutien".

Aoun : Attachement à la 1701, élections au printemps


De son côté, Michel Aoun a évoqué avec son interlocuteur "les crises successives dont souffre le Liban et les moyens d’en sortir, à la lumière de la régression notable de la situation sur le plan social et économique durant les derniers mois".

M. Aoun a dit avoir souligné à M. Guterres que "le Liban œuvre pour dépasser ces crises, ne serait-ce que progressivement, à travers la mise en place d’un plan de salut économique pour le soumettre au Fonds monétaire international en vue de négociations, ainsi que la réalisation de nombreuses réformes aux plans économique, financier et administratif".

Parmi ces réformes, "une refonte de certaines des administrations étatiques, un contrôle des dépenses, une lutte contre le gaspillage et la corruption, ou encore l’audit financier dans les comptes de la Banque du Liban, dans le but de pointer du doigt les responsabilités dans les pertes subies au cours des dernières années, l’objectif ultime étant une gouvernance durable qui puisse rectifier les failles et les tares au sein des institutions étatiques", a indiqué le président de la République.

Il a par ailleurs confirmé au secrétaire général de l’ONU que des "élections législatives auront lieu au Liban au printemps prochain, et que tous les moyens seront mis en œuvre pour qu’elles soient transparentes, intègres et représentatives", affirmant que Beyrouth "accueillera positivement tout rôle de l’ONU dans le suivi de ces élections en coordination avec les autorités libanaises concernées".

Michel Aoun a en outre plaidé devant Antonio Guterres en faveur d’une "nouvelle approche du dossier des déplacés syriens qui se trouvent sur le territoire libanais", évoquant "le fardeau" que cette crise constitue pour le pays, notamment dans les circonstances actuelles. Il a une fois de plus appelé "la communauté internationale à assumer ses responsabilités à ce niveau et à encourager les déplacés à un retour sûr dans leur pays".

Concernant la situation avec Israël, le chef de l’Etat a souligné son "attachement au respect de la résolution 1701 du Conseil de sécurité dans toutes ses dispositions, au maintien de la stabilité à la frontière sud et à la coordination permanente avec l’armée libanaise et les forces de la Finul". Il a condamné dans ce cadre les violations israéliennes de l’espace aérien, terrestre et maritime libanais, notamment lors des attaques répétées contre la Syrie, soulignant son attachement à ce que le Liban exerce sa souveraineté sur l’ensemble de son territoire, obtienne ses droits à exploiter ses ressources naturelles, notamment celles qui se trouvent dans les champs gazier et pétrolier et poursuive les négociations indirectes pour le tracé des frontières maritimes au Sud.

Lundi, M. Guterres, qui doit multiplier les rencontres avec les milieux politiques, religieux et de la société civile libanais, inspectera le port de Beyrouth "pour observer une minute de silence en hommage aux victimes de l'explosion et de leurs familles".

Au cours de sa visite qui s'achèvera mercredi, il devrait aussi rendre visite à la Force intérimaire des Nations unies (FINUL) dans le sud du Liban, où il se déplacera le long de la ligne de cessez-le-feu qui a été convenu après le retrait israélien du Liban-Sud en 2000.

Entre symbole, lassitude et droit à la santé

Pour le politologue Sami Nader, la visite d’Antonio Guterres à Beyrouth est particulièrement symbolique dans le contexte actuel. "C’est la légalité internationale qui vient au chevet d’une légalité libanaise menacées, qui fait face à un coup d’Etat contre elle et contre la Constitution", dit-il à *Ici Beyrouth*. "De plus, M. Guterres vient à Beyrouth chargé de toute la mémoire, de tout le legs de l’ONU au Liban, en l’occurrence le poids politique des résolutions 1559, 1680 et 1701, qui constituent les assises et la garantie du retour à la vie et à la normalité pour le pays du Cèdre", ajoute M. Nader. "La visite intervient à l’heure où l’Etat est suspendu, le Conseil des ministres paralysé, le pouvoir judiciaire encerclé et le pouvoir législatif délégitimé par les démissions et du fait de la révolution et à la veille d’élections dont le déroulement est menacé. Il faut donc en profiter pour marteler l’idée d’un scrutin sous le contrôle de l’ONU", conclut-il.

Mais le va-et-vient diplomatique sans résultats de ces dernières années ne suscite plus le même enthousiasme partout. Pour le politologue Antoine Haddad, "ce genre de rencontres, comme cela a été le cas lors des dernières visites du président français Emmanuel Macron au Liban, pourrait être interprété comme une tentative de relégitimer les responsables qui sont à l’origine de l’effondrement du pays, de la destruction de ses institutions et de son économie, de son isolement de son environnement arabe et de la communauté internationale et de leur entêtement à persister dans les mêmes options qui ont conduit au désastre".

"La simple visite de M. Guterres dans un contexte d’occupation iranienne du Liban, constitue le signe d’une volonté internationale de ne pas le laisser tomber ce pays", estime pour sa part l’ancien député Farès Souhaid. S’il ne croit pas en des résultats immédiats de cette visite sur le plan politique, que ce soit sur le plan de la tenue dans les délais des élections législatives, de l’application des résolutions internationales ou du soutien à l’armée libanaise, M. Souhaid souligne toutefois la nécessité pour l’ordre des médecins, l’ordre des hôpitaux privés et les blouses blanches, de présenter une requête au secrétaire général de l’Onu demandant à ce que l’Organisation mondiale de la santé mette la main sur le dossier de la santé au Liban, de manière à créer un fonds monétaire international pour aider les hôpitaux publics et privés et essayer d’assurer l’accès à la santé pour les Libanais à partir de ce fonds géré par l’ONU. "C’est le cas pour les réfugiés syriens et palestiniens. Or les Libanais sont devenus des réfugiés dans leur propre pays. Ils ont perdu la garantie de l’Etat libanais sur le plan de la santé et sont aujourd’hui à la recherche d’une garantie internationale de substitution à ce niveau. Cela est primordial", souligne M. Souhaid.

AFP/Ici Beyrouth

 

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