Victimes des massacres de 1860 dans le Mont-Liban et à Damas, les trois frères pourraient faire avancer, aujourd’hui, avec la résurgence de la persécution des chrétiens au Moyen-Orient et en Afrique, la cause de l’œcuménisme des saints.
L’Église maronite vient d’annoncer, par la voix du patriarche Béchara Raï, que le pape François a approuvé le décret proclamant les frères Francis, Abdel Mohti et Raphaël Massabki «martyrs de la foi». Morts au cours des tristement célèbres massacres de 1860 à Damas, les trois frères seront comptés au nombre des saints de l’Église universelle, indépendamment de tout miracle qui serait accompli à leur intercession.
«C’est notre cadeau de Noël», a affirmé le chef de l’Église maronite, parlant de l’honneur rendu, à travers eux, à sa communauté. La date de la cérémonie de canonisation, qui se célèbre normalement à Rome, n’a pas encore été fixée.
Les frères Massabki ont trouvé la mort à Damas dans des massacres dont les causes historiques remontent à des rivalités dans le Mont-Liban entre druzes et maronites, attisées par des ingérences étrangères et dont le gouverneur ottoman Ahmad Pacha fut l’un des acteurs clés. Les trois hommes ont été tués le 10 juillet 1860 au couvent des franciscains, après avoir refusé de renier leur foi chrétienne au cours d’une jacquerie qui s’est étendue du 9 au 18 juillet, et dont furent victimes à Damas même entre 4.000 et 6.000 chrétiens, mais qui s’étendit aussi à la Békaa, en particulier à Zahlé.
L’aîné, Francis, était un riche commerçant, droit en affaires, un homme généreux qui secourait les pauvres et dont la grande maison était ouverte à tous. Il était père de huit enfants. Le cadet, Abdel Mohti, enseignait à l’école des franciscains et avait cinq enfants. Raphaël, le plus jeune, était célibataire et aidait ses frères. Entre la famille Massabki et les franciscains, les liens n’étaient pas seulement de bon voisinage mais aussi de spiritualité commune.
Massacre de Damas en 1860
Au pied de l’autel de la Vierge
Au jour tragique du 10 juillet, alors que les massacres des chrétiens avaient commencé à Damas, les Massabki gagnèrent le couvent des franciscains près de Bab Touma, pour y trouver refuge. Les agresseurs attaquèrent le couvent, toutes portes fermées, et y pénétrèrent par une entrée arrière qui leur fut ouverte par un «habitué» des lieux qui agit en traître. Francis se trouvait au pied de l’autel de la Vierge, à l’intérieur de l’église, quand la horde de tueurs fit irruption. Fortuné, il avait prêté de l’argent à l’un des instigateurs des violences, le cheikh Abdallah el-Halabi. Les assaillants le sommèrent, pour avoir la vie sauve, de devenir musulman. Il leur répondit: «Votre maître, cheikh Abdallah, peut garder mon argent. Vous pouvez prendre ma vie. Mais ma foi, nul ne peut me l’arracher. Je ne peux renier mon Dieu. (…) Je suis chrétien.» Ils l’abreuvèrent de coups, avant de l’achever à coups de poignards et de haches. Sa chair s’en trouva dispersée dans toute l’église. Ses frères refusèrent eux aussi de renier le Christ. Ils furent tués d’une façon aussi barbare que leur frère aîné: Abdel Mohti dans la cour de l’église et Raphaël à l’intérieur du couvent. Les huit religieux franciscains du couvent, sept espagnols et un autrichien, subirent le même sort.
Durant les neuf jours où se poursuivirent les massacres, près de 20.000 chrétiens furent assassinés à Damas et dans la Békaa. Onze églises et trois couvents furent détruits dans la capitale syrienne, et entre 1.500 et 2.000 maisons et 200 magasins incendiés et/ou rasés. Les consulats russe, hollandais, belge, américain et grec furent saccagés et brûlés.
Icône représentant les frères Massabki.
Des musulmans sauvent l’honneur
De pieux musulmans sauvèrent l’honneur, dont l’émir algérien Abdel Kader, exilé par la France à Damas, grâce auquel beaucoup de chrétiens furent sauvés et purent gagner des régions sûres du Liban. De nombreux musulmans, horrifiés par la folie meurtrière qui, au nom de la religion, animait les hordes d’Ahmad Bacha, offrirent de cacher des chrétiens pourchassés. Selon une source épiscopale, le fanatisme antichrétien qui se manifesta alors n’a rien à envier à celui que l’État islamique manifeste aujourd’hui. C’est au point, dit-il, que des femmes enceintes furent empalées et éventrées.
Juste retour des choses, les nouvelles des massacres perpétrés en 1860 horrifièrent un Occident qui se voulait protecteur des chrétiens d’Orient. La France de Napoléon III envoya au Liban un contingent militaire. Les démarches des puissances occidentales auprès de la Sublime Porte eurent l’effet désiré. Ahmad Bacha fut exécuté, avec d’autres fonctionnaires de l’Empire qui avaient trempé dans le massacre et des centaines de complices emprisonnés ou exilés.
En 1926, quelque 66 ans après les massacres, sur une démarche commune au nonce apostolique à Damas et à l’archevêque maronite de Damas, Mgr Béchara Chémali (dont le territoire s’étendait jusqu’à Sarba, au Liban), les trois frères Massabki furent déclarés bienheureux par le pape Pie XI (7 octobre 1926), en même temps que les religieux franciscains martyrisés. Depuis, l’Église maronite fête les bienheureux frères Massabki le dimanche qui suit le 12 juillet de chaque année.
Icône des décapités.
Œcuménisme des martyrs
Aujourd’hui, dans l’esprit d’unité promu par le saint pape Jean-Paul II et perpétué par ses successeurs, des voix s’élèvent pour que la cérémonie de canonisation des bienheureux soit l’occasion de mettre mieux en évidence «l’œcuménisme des martyrs».
Il se fait, en effet, qu’au nombre des victimes des massacres de 1860, on compte aussi celui de Youssef Mehanna-Haddad, un prêtre de l’Église orthodoxe d’Antioche. Ce dernier, qui sortait de chez lui incognito, en même temps que sa bru (tous les prêtres orthodoxes sont mariés), fut, en effet, reconnu par des émeutiers, saisi et tué. Son souvenir est solennellement commémoré par son Église.
Or, jusqu’à présent, les Églises latine, maronite et orthodoxe commémorent le souvenir des martyrs de 1860 indépendamment les unes des autres, relèvent les milieux ecclésiastiques sensibles aux enseignements du Concile Vatican II, sachant que parmi les victimes des massacres de 1860 à Damas, les fidèles de l’Église grecque melkite catholique étaient plus nombreux que les fidèles maronites. Or, relève-t-on avec force dans ces milieux, il faut prendre conscience que ces chrétiens de différentes confessions «ont témoigné de leur vie pour le même Christ».
Ce que Jean-Paul II voulait dire, explique-t-on en substance dans ces milieux d’Église, c’est que «l’unité des chrétiens n’est pas à rechercher»; qu’elle n’est pas à faire comme si elle n’existait pas, mais à élargir, «car elle est déjà réalisée dans les martyrs et les saints» des différentes Églises qui ont témoigné de leur foi, jusqu’au don de la vie.
Au sein de l’Église catholique, certains militent pour l’instauration d’une journée des nouveaux martyrs du Moyen-Orient qui, dans la diversité de leur appartenance, paient de nos jours, de leur vie, leur fidélité au Christ. D’après ces milieux, où on relève la résurgence massive de la persécution des Églises, aussi bien au Moyen-Orient que dans d’autres parties du monde telles que l’Afrique, on estime qu’une telle journée serait une occasion «providentielle» pour demander pardon pour les divisions entre les chrétiens, qui ont même entraîné dans le passé des conflits sanglants entre les différentes communautés. Ainsi, même le mal de la persécution pourrait se muer et devenir un bien, le bien d’une plus grande unité.
Massacre de Damas en 1860
L’Église maronite vient d’annoncer, par la voix du patriarche Béchara Raï, que le pape François a approuvé le décret proclamant les frères Francis, Abdel Mohti et Raphaël Massabki «martyrs de la foi». Morts au cours des tristement célèbres massacres de 1860 à Damas, les trois frères seront comptés au nombre des saints de l’Église universelle, indépendamment de tout miracle qui serait accompli à leur intercession.
«C’est notre cadeau de Noël», a affirmé le chef de l’Église maronite, parlant de l’honneur rendu, à travers eux, à sa communauté. La date de la cérémonie de canonisation, qui se célèbre normalement à Rome, n’a pas encore été fixée.
Les frères Massabki ont trouvé la mort à Damas dans des massacres dont les causes historiques remontent à des rivalités dans le Mont-Liban entre druzes et maronites, attisées par des ingérences étrangères et dont le gouverneur ottoman Ahmad Pacha fut l’un des acteurs clés. Les trois hommes ont été tués le 10 juillet 1860 au couvent des franciscains, après avoir refusé de renier leur foi chrétienne au cours d’une jacquerie qui s’est étendue du 9 au 18 juillet, et dont furent victimes à Damas même entre 4.000 et 6.000 chrétiens, mais qui s’étendit aussi à la Békaa, en particulier à Zahlé.
L’aîné, Francis, était un riche commerçant, droit en affaires, un homme généreux qui secourait les pauvres et dont la grande maison était ouverte à tous. Il était père de huit enfants. Le cadet, Abdel Mohti, enseignait à l’école des franciscains et avait cinq enfants. Raphaël, le plus jeune, était célibataire et aidait ses frères. Entre la famille Massabki et les franciscains, les liens n’étaient pas seulement de bon voisinage mais aussi de spiritualité commune.
Massacre de Damas en 1860
Au pied de l’autel de la Vierge
Au jour tragique du 10 juillet, alors que les massacres des chrétiens avaient commencé à Damas, les Massabki gagnèrent le couvent des franciscains près de Bab Touma, pour y trouver refuge. Les agresseurs attaquèrent le couvent, toutes portes fermées, et y pénétrèrent par une entrée arrière qui leur fut ouverte par un «habitué» des lieux qui agit en traître. Francis se trouvait au pied de l’autel de la Vierge, à l’intérieur de l’église, quand la horde de tueurs fit irruption. Fortuné, il avait prêté de l’argent à l’un des instigateurs des violences, le cheikh Abdallah el-Halabi. Les assaillants le sommèrent, pour avoir la vie sauve, de devenir musulman. Il leur répondit: «Votre maître, cheikh Abdallah, peut garder mon argent. Vous pouvez prendre ma vie. Mais ma foi, nul ne peut me l’arracher. Je ne peux renier mon Dieu. (…) Je suis chrétien.» Ils l’abreuvèrent de coups, avant de l’achever à coups de poignards et de haches. Sa chair s’en trouva dispersée dans toute l’église. Ses frères refusèrent eux aussi de renier le Christ. Ils furent tués d’une façon aussi barbare que leur frère aîné: Abdel Mohti dans la cour de l’église et Raphaël à l’intérieur du couvent. Les huit religieux franciscains du couvent, sept espagnols et un autrichien, subirent le même sort.
Durant les neuf jours où se poursuivirent les massacres, près de 20.000 chrétiens furent assassinés à Damas et dans la Békaa. Onze églises et trois couvents furent détruits dans la capitale syrienne, et entre 1.500 et 2.000 maisons et 200 magasins incendiés et/ou rasés. Les consulats russe, hollandais, belge, américain et grec furent saccagés et brûlés.
Icône représentant les frères Massabki.
Des musulmans sauvent l’honneur
De pieux musulmans sauvèrent l’honneur, dont l’émir algérien Abdel Kader, exilé par la France à Damas, grâce auquel beaucoup de chrétiens furent sauvés et purent gagner des régions sûres du Liban. De nombreux musulmans, horrifiés par la folie meurtrière qui, au nom de la religion, animait les hordes d’Ahmad Bacha, offrirent de cacher des chrétiens pourchassés. Selon une source épiscopale, le fanatisme antichrétien qui se manifesta alors n’a rien à envier à celui que l’État islamique manifeste aujourd’hui. C’est au point, dit-il, que des femmes enceintes furent empalées et éventrées.
Juste retour des choses, les nouvelles des massacres perpétrés en 1860 horrifièrent un Occident qui se voulait protecteur des chrétiens d’Orient. La France de Napoléon III envoya au Liban un contingent militaire. Les démarches des puissances occidentales auprès de la Sublime Porte eurent l’effet désiré. Ahmad Bacha fut exécuté, avec d’autres fonctionnaires de l’Empire qui avaient trempé dans le massacre et des centaines de complices emprisonnés ou exilés.
En 1926, quelque 66 ans après les massacres, sur une démarche commune au nonce apostolique à Damas et à l’archevêque maronite de Damas, Mgr Béchara Chémali (dont le territoire s’étendait jusqu’à Sarba, au Liban), les trois frères Massabki furent déclarés bienheureux par le pape Pie XI (7 octobre 1926), en même temps que les religieux franciscains martyrisés. Depuis, l’Église maronite fête les bienheureux frères Massabki le dimanche qui suit le 12 juillet de chaque année.
Icône des décapités.
Œcuménisme des martyrs
Aujourd’hui, dans l’esprit d’unité promu par le saint pape Jean-Paul II et perpétué par ses successeurs, des voix s’élèvent pour que la cérémonie de canonisation des bienheureux soit l’occasion de mettre mieux en évidence «l’œcuménisme des martyrs».
Il se fait, en effet, qu’au nombre des victimes des massacres de 1860, on compte aussi celui de Youssef Mehanna-Haddad, un prêtre de l’Église orthodoxe d’Antioche. Ce dernier, qui sortait de chez lui incognito, en même temps que sa bru (tous les prêtres orthodoxes sont mariés), fut, en effet, reconnu par des émeutiers, saisi et tué. Son souvenir est solennellement commémoré par son Église.
Or, jusqu’à présent, les Églises latine, maronite et orthodoxe commémorent le souvenir des martyrs de 1860 indépendamment les unes des autres, relèvent les milieux ecclésiastiques sensibles aux enseignements du Concile Vatican II, sachant que parmi les victimes des massacres de 1860 à Damas, les fidèles de l’Église grecque melkite catholique étaient plus nombreux que les fidèles maronites. Or, relève-t-on avec force dans ces milieux, il faut prendre conscience que ces chrétiens de différentes confessions «ont témoigné de leur vie pour le même Christ».
Ce que Jean-Paul II voulait dire, explique-t-on en substance dans ces milieux d’Église, c’est que «l’unité des chrétiens n’est pas à rechercher»; qu’elle n’est pas à faire comme si elle n’existait pas, mais à élargir, «car elle est déjà réalisée dans les martyrs et les saints» des différentes Églises qui ont témoigné de leur foi, jusqu’au don de la vie.
Au sein de l’Église catholique, certains militent pour l’instauration d’une journée des nouveaux martyrs du Moyen-Orient qui, dans la diversité de leur appartenance, paient de nos jours, de leur vie, leur fidélité au Christ. D’après ces milieux, où on relève la résurgence massive de la persécution des Églises, aussi bien au Moyen-Orient que dans d’autres parties du monde telles que l’Afrique, on estime qu’une telle journée serait une occasion «providentielle» pour demander pardon pour les divisions entre les chrétiens, qui ont même entraîné dans le passé des conflits sanglants entre les différentes communautés. Ainsi, même le mal de la persécution pourrait se muer et devenir un bien, le bien d’une plus grande unité.
Massacre de Damas en 1860
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