J’ai redécouvert Scarface sur Netflix, cicatrice indélébile de mon parcours cinéphilique. J’ai adoré ce film, puis je l’ai détesté. Aujourd’hui, libéré des passions fanatiques de l’adolescence, je le considère comme une œuvre du cinéma américain.
Mon expérience du cinéma américain est un étrange mélange de fascination et de rejet. Aucun film n’incarne mieux cette dissociation culpabilisante que Scarface de Brian De Palma. J’y retrouve la magnificence du tragique shakespearien et la tragédie du cinéma efficace hollywoodien.
Comme une drogue, ce film exprime un désir et inspire un dégoût.
Le désir est l’identification au personnage, Rastignac des années 80, attendrissant jusqu’aux larmes par sa douloureuse solitude.
Le dégoût est le rejet naturel de la malhonnêteté, de la corruption et de la violence.
Mais la violence n’exclut pas une certaine forme de romantisme, une poésie dure comme la charogne de Baudelaire, sauvage comme les tableaux dévorants de Bacon. La jubilation qu’on ressent au cinéma, est tout aussi passionnelle que morbide, elle chatouille les bas instincts, balise les trajectoires tangentes que l’on n’oserait jamais parcourir. Mais souvent, la violence au cinéma exhume le voyeurisme.
Chez Hitchcock, la violence et l’instinct étaient un refoulement freudien aliéné dans le plâtre de James Stewart ou le chignon de Kim Novak. Chez De Palma, Scorsese et leur pâle avatar Tarantino, la violence et l’instinct sont un défoulement flamboyant avec une sempiternelle triade: le pouvoir, le sexe et l’argent.
De ces deux équations extrêmes, le cinéma commercial moderne, éphémère par son puérilisme, tire l’épingle utopique de la bienveillante violence au service manichéen du bien; la force ne s’exerce plus comme un instinct, mais comme un droit. La violence devient légitime et le héros qui l’exerce est un personnage lisse qui aime comme il faut aimer, qui boit quand il faut boire, qui a des remords quand il faut avoir des remords et qui se rattrape très vite lorsqu’il oublie la date d’anniversaire de son fils ou de sa fille. Il est, ce qu’on ne sera jamais, un clone étiolé, vide de passion, surchargé de bonnes intentions, qui reconnaît tout le temps ses erreurs. Bref… un type improbable qui pilote un avion supersonique avec un brushing inaltérable, alors qu’on pense à nos enfants lors d’une turbulence dans un avion de ligne (Top Gun peut-être).
À l’inverse, le cinéma de De Palma des années 80 n’a pas pour vocation une identification totale au personnage; il s’évertue à naviguer dans une zone grise, culpabilisante, mais jubilatoire. L’absurde attire, l’absurde dérange et ce cinéma grand public provocateur, est au final une expression de la philosophie de l’absurde, sans concessions ni minauderie. La sauvagerie n’y est pas excusable, ni véritablement explicable, et elle n’est combattue que par une autre forme de sauvagerie. L’élimination de Montana n’est finalement qu’un règlement de comptes qui n’a aucune portée morale.
Mais au-delà de cette poésie noire, il y a la prouesse de l’art de la mise en scène. L’obsolescence inévitable de la technologie cinématographique est rattrapée par la modernité théâtrale du film, centralisée autour d’un personnage abject, sombre face de notre humanité, héros sadien à la cicatrice réelle.
Grandeur et décadence:
Je revois Scarface, je pense à notre somptueuse misère.
Je revois Scarface, je pense à nos somptueuses fêtes.
Mais il reste peut-être quelque part en nous, une vie entre misère et fête.
https://youtu.be/cv276Wg3e7I
Mon expérience du cinéma américain est un étrange mélange de fascination et de rejet. Aucun film n’incarne mieux cette dissociation culpabilisante que Scarface de Brian De Palma. J’y retrouve la magnificence du tragique shakespearien et la tragédie du cinéma efficace hollywoodien.
Comme une drogue, ce film exprime un désir et inspire un dégoût.
Le désir est l’identification au personnage, Rastignac des années 80, attendrissant jusqu’aux larmes par sa douloureuse solitude.
Le dégoût est le rejet naturel de la malhonnêteté, de la corruption et de la violence.
Mais la violence n’exclut pas une certaine forme de romantisme, une poésie dure comme la charogne de Baudelaire, sauvage comme les tableaux dévorants de Bacon. La jubilation qu’on ressent au cinéma, est tout aussi passionnelle que morbide, elle chatouille les bas instincts, balise les trajectoires tangentes que l’on n’oserait jamais parcourir. Mais souvent, la violence au cinéma exhume le voyeurisme.
Chez Hitchcock, la violence et l’instinct étaient un refoulement freudien aliéné dans le plâtre de James Stewart ou le chignon de Kim Novak. Chez De Palma, Scorsese et leur pâle avatar Tarantino, la violence et l’instinct sont un défoulement flamboyant avec une sempiternelle triade: le pouvoir, le sexe et l’argent.
De ces deux équations extrêmes, le cinéma commercial moderne, éphémère par son puérilisme, tire l’épingle utopique de la bienveillante violence au service manichéen du bien; la force ne s’exerce plus comme un instinct, mais comme un droit. La violence devient légitime et le héros qui l’exerce est un personnage lisse qui aime comme il faut aimer, qui boit quand il faut boire, qui a des remords quand il faut avoir des remords et qui se rattrape très vite lorsqu’il oublie la date d’anniversaire de son fils ou de sa fille. Il est, ce qu’on ne sera jamais, un clone étiolé, vide de passion, surchargé de bonnes intentions, qui reconnaît tout le temps ses erreurs. Bref… un type improbable qui pilote un avion supersonique avec un brushing inaltérable, alors qu’on pense à nos enfants lors d’une turbulence dans un avion de ligne (Top Gun peut-être).
À l’inverse, le cinéma de De Palma des années 80 n’a pas pour vocation une identification totale au personnage; il s’évertue à naviguer dans une zone grise, culpabilisante, mais jubilatoire. L’absurde attire, l’absurde dérange et ce cinéma grand public provocateur, est au final une expression de la philosophie de l’absurde, sans concessions ni minauderie. La sauvagerie n’y est pas excusable, ni véritablement explicable, et elle n’est combattue que par une autre forme de sauvagerie. L’élimination de Montana n’est finalement qu’un règlement de comptes qui n’a aucune portée morale.
Mais au-delà de cette poésie noire, il y a la prouesse de l’art de la mise en scène. L’obsolescence inévitable de la technologie cinématographique est rattrapée par la modernité théâtrale du film, centralisée autour d’un personnage abject, sombre face de notre humanité, héros sadien à la cicatrice réelle.
Grandeur et décadence:
Je revois Scarface, je pense à notre somptueuse misère.
Je revois Scarface, je pense à nos somptueuses fêtes.
Mais il reste peut-être quelque part en nous, une vie entre misère et fête.
https://youtu.be/cv276Wg3e7I
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