Une nouvelle année à nos portes. Les Libanais le savent, parfois elle peut être pire. Même si c’est difficile à croire. Mais comme on l’a appris aussi, on ne peut rien maîtriser. Ni les tensions, ni la crise, ni les caprices fous des politiques, ni le temps qu’il fera. Mais à défaut d’influencer la météo, on peut l’anticiper. Et en ces temps d’incertitude, c’est tellement rassurant de s’accrocher à cette forme de sagesse que maîtrisaient parfaitement les anciens, en scrutant le ciel, mais surtout en transmettant ce que ce ciel leur apprenait.
Retour aux fondamentaux donc où, entre proverbes, maximes, expressions et traditions, on se laissera guider au fil des mois par ces logiques implacables qui, même avec les perturbations climatiques, continuent de faire office de boussoles. Protégé des tornades, des cyclones et des grands froids, notre pays a le mérite d’étaler fièrement ses quatre saisons. L’été peut durer si longtemps au Liban qu’on dit que «bsat el seif wase’», le tapis de l’été est vaste. Et l’automne puisera largement dans l’été avant de basculer un jour, sans prévenir, dans l’humidité de l’hiver. «Crains le froid de l’automne plus que celui de l’hiver». Hiver qui à son tour laissera filer des jours d’un soleil d’une franchise bienvenue avant de tendre ses branches déjà bourgeonnantes vers le printemps éclatant. Les anciens disaient joliment que «l’hiver et l’été ne se rencontrent pas sur la même terrasse». Il pleuvra gentiment en septembre comme pour annoncer tout doucement l’automne. Mais «entre octobre et novembre, il y a un second été». Et la boucle sera ainsi bouclée avec cette espèce de bonhomie qui résonne encore dans nos vallées.
Faisons simple, comme sait l’être la nature quand on ne lui cherche pas noise, et commençons par janvier puisque c’est ainsi que l’homme a décidé de commencer l’année. Janvier donc, «l’étalon de l’hiver» pour nos sages qui préconisaient aussi de «rester à la maison et pour les pauvres d’avoir de la compassion». Même si tout est relatif, c’est quand même le mois le plus froid au Liban et les paysans répétaient d’année en année «en janvier reste chez toi, à côté de tes bûches et de tes huiles». Si le soleil fait irruption, les arbres deviendront fous «ya loz el majnoun, bitzahir bi kanoun».
Vient ensuite chbat (du syriaque sbat, flagellation) el labbat (l'imprévisible février) qui ne tient jamais parole. En effet, les nuages de février sont d’une impertinente inconstance et il ne faut pas se fier non plus à son soleil. En revanche, «qu’il donne des coups de main ou de pied, février porte en lui l’odeur de l’été» et, s’il fait froid durant ce mois, c’est que les récoltes seront bonnes. On dit dans les montagnes que les braises se mettent en place en février avec trois dates fatidiques: le 7 où une braise réchauffera la terre, le 14, une autre chauffera l’eau et le 21 février c’est l’air ambiant qui sera plus chaud.
Mars arrive avec un surnom qui lui colle à la peau: Azar, du babylonien récolte, mais on dit Azar el ghaddar, le mois traître avec, comme le veut la tradition, sept grandes chutes de neige sans parler des petites. Et, de ce fait, les paysans conseillent: «en mars prépare tes gros charbons» ou «garde pour mars tes plus grosses bûches» car «les pluies de mars égarent le berger du chemin de sa maison». Ce même berger qui, durant ce mois schizophrène, «peut se mouiller et sécher dans une même journée».
Mais avril est aux portes, nissan du babylonien fleuri ou tige verte, et «en avril éteins ton feu, ouvre ta fenêtre et prends le soleil jusqu’à la taille». Mais «avril sans pluie est comme une mariée sans voile» et, c’est bien connu, mayyet nisan bitahyé el insan, la pluie de ce mois ranime l’homme. Donc, que du bonheur.
En mai, ayyar el nawwar, tout s’éclaire. «En ce mois des roses, à l’ombre mets-toi et des jours froids souviens-toi». L’hiver n’est qu’un lointain souvenir, mais attention, c’est bien connu, «le froid de mai ruine les maisons».
Hezayrane bizawwej el rabi’ ma el seif (juin marie le printemps à l’été) et il faut «élaguer la vigne qui donnera des quintaux». C’est là que le paysan «distribue prunes, abricots et pommes» qu’on dégustera aussi en juillet où «la vieille est réchauffée» et où «l’eau bout dans la jarre». Mais ce ne sera rien comparé à Ab el lahhab (août l’enflammé) où, normalement, il ne pleuvra pas, même si selon la tradition, la fête de la Transfiguration, le 8 août, chasse l’été. C’est le moment d’aller cueillir les grappes en anticipant septembre, mais aussi de semer le blé sur les hauteurs.
Septembre, ayloul (du mot chaldéen «fruit»), «a son extrémité qui trempe déjà dans la pluie», comme on le dit joliment. C’est après la fête de la Croix, le 14, que les choses se gâtent. C’est à ce moment-là qu'il faut être vigilant, car les douze jours qui suivent, et que l’on appelle slaybiyyat, détermineront le temps qu’il fera durant les douze mois de l’année. Les slaybiyyat des orthodoxes sont situées treize jours plus tard et sont réputées plus précises, mais ne nous fâchons pas. Si l'on fait ses provisions ce mois-là, on peut dormir tranquille, diront les anciens.
Octobre arrivera avec ses lunes limpides et son froid «plus aiguisé qu’un couteau». Raisins et figues sont sur la table pour la dernière fois et l’eau coule à flots.
Les jours de novembre sont appelés les «journées de l’huile». À peine le jour se lève qu’il fait déjà nuit. Et «le froid d’octobre et de novembre est plus tranchant qu’une lame».
Décembre dénudera tous les arbres hormis le chêne, le pin et l’olivier. Et s’il y a du tonnerre en décembre, il y aura fatalement de la neige en février. Attention à bien scruter le ciel la veille du 3 décembre, l’observation des étoiles détermine le temps qu'il fera les 40 prochains jours.
Tout au long de l’année, l’astre lunaire est un guide puissant pour qui veut bien l'observer. Ainsi le premier jour du premier quartier de la lune détermine le temps qu’il fera les jours suivants. S’il y a beaucoup de rosée le soir, il fera beau le lendemain. Quand l’arc-en-ciel va du nord au sud, il faut rentrer à la maison. S’il paraît le matin, on peut sortir sans crainte, s’il paraît l’après-midi, il vaut mieux allumer un feu. Certitudes libanaises: il pleuvra le jour de la Saint-Maron, de la Saint-Joseph, le Vendredi Saint des orthodoxes et à l’Épiphanie.
En règle générale, le soleil du printemps réjouit, le soleil d’été chauffe, le soleil d’automne dépouille les arbres et le soleil d’hiver est néfaste. «Soleil de février pour ma bru, soleil de mars pour ma fille et soleil d’avril pour moi et mes cheveux gris.» Quand «la feuille de figuier a la taille de la patte du canard, on peut dormir sans se couvrir», mais «si la neige est entourée d’un halo, la nuit à venir sera pluvieuse». Et tendons bien l’oreille, quand les grenouilles commencent à coasser, le froid n’a plus aucune nocivité.» Mais si «la peau de l’oignon est épaisse, l’hiver sera rude, les amis».
Bonne année donc et regardons vers le haut. Le ciel ne nous tombera pas sur la tête, le ciel nous aidera.
*Certains proverbes sont tirés de l’excellent ouvrage Les proverbes de ma mère de Hana Naaman.
Retour aux fondamentaux donc où, entre proverbes, maximes, expressions et traditions, on se laissera guider au fil des mois par ces logiques implacables qui, même avec les perturbations climatiques, continuent de faire office de boussoles. Protégé des tornades, des cyclones et des grands froids, notre pays a le mérite d’étaler fièrement ses quatre saisons. L’été peut durer si longtemps au Liban qu’on dit que «bsat el seif wase’», le tapis de l’été est vaste. Et l’automne puisera largement dans l’été avant de basculer un jour, sans prévenir, dans l’humidité de l’hiver. «Crains le froid de l’automne plus que celui de l’hiver». Hiver qui à son tour laissera filer des jours d’un soleil d’une franchise bienvenue avant de tendre ses branches déjà bourgeonnantes vers le printemps éclatant. Les anciens disaient joliment que «l’hiver et l’été ne se rencontrent pas sur la même terrasse». Il pleuvra gentiment en septembre comme pour annoncer tout doucement l’automne. Mais «entre octobre et novembre, il y a un second été». Et la boucle sera ainsi bouclée avec cette espèce de bonhomie qui résonne encore dans nos vallées.
Faisons simple, comme sait l’être la nature quand on ne lui cherche pas noise, et commençons par janvier puisque c’est ainsi que l’homme a décidé de commencer l’année. Janvier donc, «l’étalon de l’hiver» pour nos sages qui préconisaient aussi de «rester à la maison et pour les pauvres d’avoir de la compassion». Même si tout est relatif, c’est quand même le mois le plus froid au Liban et les paysans répétaient d’année en année «en janvier reste chez toi, à côté de tes bûches et de tes huiles». Si le soleil fait irruption, les arbres deviendront fous «ya loz el majnoun, bitzahir bi kanoun».
Vient ensuite chbat (du syriaque sbat, flagellation) el labbat (l'imprévisible février) qui ne tient jamais parole. En effet, les nuages de février sont d’une impertinente inconstance et il ne faut pas se fier non plus à son soleil. En revanche, «qu’il donne des coups de main ou de pied, février porte en lui l’odeur de l’été» et, s’il fait froid durant ce mois, c’est que les récoltes seront bonnes. On dit dans les montagnes que les braises se mettent en place en février avec trois dates fatidiques: le 7 où une braise réchauffera la terre, le 14, une autre chauffera l’eau et le 21 février c’est l’air ambiant qui sera plus chaud.
Mars arrive avec un surnom qui lui colle à la peau: Azar, du babylonien récolte, mais on dit Azar el ghaddar, le mois traître avec, comme le veut la tradition, sept grandes chutes de neige sans parler des petites. Et, de ce fait, les paysans conseillent: «en mars prépare tes gros charbons» ou «garde pour mars tes plus grosses bûches» car «les pluies de mars égarent le berger du chemin de sa maison». Ce même berger qui, durant ce mois schizophrène, «peut se mouiller et sécher dans une même journée».
Mais avril est aux portes, nissan du babylonien fleuri ou tige verte, et «en avril éteins ton feu, ouvre ta fenêtre et prends le soleil jusqu’à la taille». Mais «avril sans pluie est comme une mariée sans voile» et, c’est bien connu, mayyet nisan bitahyé el insan, la pluie de ce mois ranime l’homme. Donc, que du bonheur.
En mai, ayyar el nawwar, tout s’éclaire. «En ce mois des roses, à l’ombre mets-toi et des jours froids souviens-toi». L’hiver n’est qu’un lointain souvenir, mais attention, c’est bien connu, «le froid de mai ruine les maisons».
Hezayrane bizawwej el rabi’ ma el seif (juin marie le printemps à l’été) et il faut «élaguer la vigne qui donnera des quintaux». C’est là que le paysan «distribue prunes, abricots et pommes» qu’on dégustera aussi en juillet où «la vieille est réchauffée» et où «l’eau bout dans la jarre». Mais ce ne sera rien comparé à Ab el lahhab (août l’enflammé) où, normalement, il ne pleuvra pas, même si selon la tradition, la fête de la Transfiguration, le 8 août, chasse l’été. C’est le moment d’aller cueillir les grappes en anticipant septembre, mais aussi de semer le blé sur les hauteurs.
Septembre, ayloul (du mot chaldéen «fruit»), «a son extrémité qui trempe déjà dans la pluie», comme on le dit joliment. C’est après la fête de la Croix, le 14, que les choses se gâtent. C’est à ce moment-là qu'il faut être vigilant, car les douze jours qui suivent, et que l’on appelle slaybiyyat, détermineront le temps qu’il fera durant les douze mois de l’année. Les slaybiyyat des orthodoxes sont situées treize jours plus tard et sont réputées plus précises, mais ne nous fâchons pas. Si l'on fait ses provisions ce mois-là, on peut dormir tranquille, diront les anciens.
Octobre arrivera avec ses lunes limpides et son froid «plus aiguisé qu’un couteau». Raisins et figues sont sur la table pour la dernière fois et l’eau coule à flots.
Les jours de novembre sont appelés les «journées de l’huile». À peine le jour se lève qu’il fait déjà nuit. Et «le froid d’octobre et de novembre est plus tranchant qu’une lame».
Décembre dénudera tous les arbres hormis le chêne, le pin et l’olivier. Et s’il y a du tonnerre en décembre, il y aura fatalement de la neige en février. Attention à bien scruter le ciel la veille du 3 décembre, l’observation des étoiles détermine le temps qu'il fera les 40 prochains jours.
Tout au long de l’année, l’astre lunaire est un guide puissant pour qui veut bien l'observer. Ainsi le premier jour du premier quartier de la lune détermine le temps qu’il fera les jours suivants. S’il y a beaucoup de rosée le soir, il fera beau le lendemain. Quand l’arc-en-ciel va du nord au sud, il faut rentrer à la maison. S’il paraît le matin, on peut sortir sans crainte, s’il paraît l’après-midi, il vaut mieux allumer un feu. Certitudes libanaises: il pleuvra le jour de la Saint-Maron, de la Saint-Joseph, le Vendredi Saint des orthodoxes et à l’Épiphanie.
En règle générale, le soleil du printemps réjouit, le soleil d’été chauffe, le soleil d’automne dépouille les arbres et le soleil d’hiver est néfaste. «Soleil de février pour ma bru, soleil de mars pour ma fille et soleil d’avril pour moi et mes cheveux gris.» Quand «la feuille de figuier a la taille de la patte du canard, on peut dormir sans se couvrir», mais «si la neige est entourée d’un halo, la nuit à venir sera pluvieuse». Et tendons bien l’oreille, quand les grenouilles commencent à coasser, le froid n’a plus aucune nocivité.» Mais si «la peau de l’oignon est épaisse, l’hiver sera rude, les amis».
Bonne année donc et regardons vers le haut. Le ciel ne nous tombera pas sur la tête, le ciel nous aidera.
*Certains proverbes sont tirés de l’excellent ouvrage Les proverbes de ma mère de Hana Naaman.
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