Ça y est! Le chiffre fatidique est tombé comme un couperet: je fais désormais partie d’une tranche d’âge qui se prononce comme les deux précédentes après la trentenaire que je fus dans un passé pas si simple que ça: sexa, oui ce n’est pas aussi harmonieux qu’un saxo, mais ça a le mérite sur les quadras et les quinquas de remettre sur le tapis la prononciation d’un mot banni par les tranches d’âges précédentes. Sexagénaire. Sexygénaire. La libido, censurée on ne sait pas pourquoi, est de nouveau en ligne de mire. Je devine. C’est un peu comme la dernière cigarette d’un condamné à mort. Voilà. On donne, aux chromosomées XX comme moi, une dernière chance de goûter aux plaisirs terrestres avant de dépérir et de devenir une chose aux formes flasques et insignifiantes qu’aucun chromosomé XY ne remarquerait. C’est l’âge du sprint final qui permet encore d’accumuler quelques souvenirs pour ses vieux jours. C’est le stade postécriture de la biographie d’une vie. Cette étape récréative dans laquelle il est permis encore de marquer des points et de se laisser aller à quelques fantasmes, pas nécessairement érotiques, mais bon, le ton est donné: oui, il est encore permis de rêver.
À partir de ce soir, je suis censée entamer un journal à quatre mains, écrit en parallèle avec un ami très cher à mon cœur. Nous sommes convenus de rédiger tous les soirs un texte du 20 décembre au 20 janvier, histoire d’enterrer deux non-années et de passer le cap de la nouvelle, la 2022 dont les prémices laissent présager le pire. Mais connaissant son humeur instable, je préfère écrire sans attentes, au cas où il me ferait faux bond. Je me dis qu’au final, il écrira une lettre d’excuses en guise de préface et ce ne serait pas si mal. Ce que j’adore en lui, c’est qu’on peut tout lui pardonner. Lorsqu’il fait faux bond, il se rattrape de manière à vous couper le souffle (et les reproches dans la volée).
Je suis imbibée de Prosecco. Une simple allumette ferait feu de mon bois. Je pourrais me transformer en un brasier gigantesque et illuminer ma ville obscure, ma Beyrouth, ma blessure, gisant dans les ténèbres. Je vis dans un pays où il n’est pas drôle d’avoir soixante ans. Que dis-je ? Où il n’est pas drôle d’avoir aucun âge, de 0 à 90 ans. Mon pays est un non-pays maudit, damné, un pied dans l’enfer et la tête déjà dans le précipice.
Mais trêve de déprime! L’heure est à la fête! Je préfère retourner à mes bulles d’ivresse, celles qui me font m’allonger dans un champ vert des Dolomites, auprès de Stjepan Hauser qui a un prénom aussi compliqué que les nombreuses cordes de son violoncelle. Il joue ma mélodie préférée. The Lonely Shepherd. Celle que j’ai choisie pour franchir ce cap difficile de la vie d’une femme. Sa musique me téléporte. Je suis en moins de deux sur une immense pelouse qui est une porte ouverte aux plus beaux édens. Tout ce qu’on me retire là où je suis physiquement m’est immédiatement rendu au centuple. Il sourit, me regarde, me dédie sa mélodie. Je suis couchée sur cette herbe si dense, si italienne. Son archer fait des va-et-vient. Je ferme les yeux. Cette musique me fait toujours le même effet grisant. Orgasmique. Mon corps frémit sous le vent qui le caresse doucement de sa brise. Des scènes de Kill Bill se télescopent soudain dans ma tête. Je vois des épées qui dansent. Uma Thurman qui tranche des têtes et démembre des corps dans une vengeance si raffinée qu’elle en devient romantique. La grande mort et la petite mort ne font qu’une. J’en suis désormais certaine. Je savoure ce plaisir qui monte… lorsque soudain le bip répétitif de mon portable me ramène à ma réalité.
Cruelle. La nouvelle qui s’affiche me dessaoule instantanément. Selon certaines sources réputées pour leurs fake news, l’enturbanné maléfique qui nous tient en otage serait dans de sales draps. Je lis la dépêche plusieurs fois sans oser y croire, mais en espérant de toutes mes forces que ceci soit vrai. Et que si ça l’était, avoir soixante ans serait définitivement une victoire divine… sur la vie!
À partir de ce soir, je suis censée entamer un journal à quatre mains, écrit en parallèle avec un ami très cher à mon cœur. Nous sommes convenus de rédiger tous les soirs un texte du 20 décembre au 20 janvier, histoire d’enterrer deux non-années et de passer le cap de la nouvelle, la 2022 dont les prémices laissent présager le pire. Mais connaissant son humeur instable, je préfère écrire sans attentes, au cas où il me ferait faux bond. Je me dis qu’au final, il écrira une lettre d’excuses en guise de préface et ce ne serait pas si mal. Ce que j’adore en lui, c’est qu’on peut tout lui pardonner. Lorsqu’il fait faux bond, il se rattrape de manière à vous couper le souffle (et les reproches dans la volée).
Je suis imbibée de Prosecco. Une simple allumette ferait feu de mon bois. Je pourrais me transformer en un brasier gigantesque et illuminer ma ville obscure, ma Beyrouth, ma blessure, gisant dans les ténèbres. Je vis dans un pays où il n’est pas drôle d’avoir soixante ans. Que dis-je ? Où il n’est pas drôle d’avoir aucun âge, de 0 à 90 ans. Mon pays est un non-pays maudit, damné, un pied dans l’enfer et la tête déjà dans le précipice.
Mais trêve de déprime! L’heure est à la fête! Je préfère retourner à mes bulles d’ivresse, celles qui me font m’allonger dans un champ vert des Dolomites, auprès de Stjepan Hauser qui a un prénom aussi compliqué que les nombreuses cordes de son violoncelle. Il joue ma mélodie préférée. The Lonely Shepherd. Celle que j’ai choisie pour franchir ce cap difficile de la vie d’une femme. Sa musique me téléporte. Je suis en moins de deux sur une immense pelouse qui est une porte ouverte aux plus beaux édens. Tout ce qu’on me retire là où je suis physiquement m’est immédiatement rendu au centuple. Il sourit, me regarde, me dédie sa mélodie. Je suis couchée sur cette herbe si dense, si italienne. Son archer fait des va-et-vient. Je ferme les yeux. Cette musique me fait toujours le même effet grisant. Orgasmique. Mon corps frémit sous le vent qui le caresse doucement de sa brise. Des scènes de Kill Bill se télescopent soudain dans ma tête. Je vois des épées qui dansent. Uma Thurman qui tranche des têtes et démembre des corps dans une vengeance si raffinée qu’elle en devient romantique. La grande mort et la petite mort ne font qu’une. J’en suis désormais certaine. Je savoure ce plaisir qui monte… lorsque soudain le bip répétitif de mon portable me ramène à ma réalité.
Cruelle. La nouvelle qui s’affiche me dessaoule instantanément. Selon certaines sources réputées pour leurs fake news, l’enturbanné maléfique qui nous tient en otage serait dans de sales draps. Je lis la dépêche plusieurs fois sans oser y croire, mais en espérant de toutes mes forces que ceci soit vrai. Et que si ça l’était, avoir soixante ans serait définitivement une victoire divine… sur la vie!
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