Déconstruction théologique du discours Onfray-Houellebecq 1/2
«Parmi les esprits qui comptent dans la famille intellectuelle, il y a les mineurs, les alpestres et les beaucerons. Les premiers creusent, les seconds dominent, et les troisièmes, qui sont les moindres, s’étendent à plat.» Cette pensée d’Edmond Thiaudière exprime parfaitement la chute (provisoire) de la querelle qui vient de secouer le Landerneau des gendelettres en ce début d’année 2023. Faisant suite à la publication des entretiens entre Michel Onfray et Michel Houellebecq dans le dernier hors-série de Front Populaire, le recteur de la Grande Mosquée de Paris a menacé de déposer plainte à cause des propos, particulièrement offensants envers les musulmans, proférés par ce dernier. C’était légitime. Après une heureuse rencontre entre les deux hommes, initiée par le grand rabbin Haïm Korsia, Michel Houellebecq a accepté de modifier les passages litigieux. En échange, le recteur de la Grande Mosquée suspend sa plainte dans l’attente d’un livre à paraître. Michel Houellebecq est un beauceron. Il vient de s’étendre, et c’est mieux ainsi. Nonobstant, cet entretien entre Michel Onfray et Michel Houellebecq a révélé une autre faille: la mauvaise interprétation de certains points liés à la nature de l’Islam qui se trouvent être parmi les causes du malentendu. Il est difficile d’être à fois théologien et philosophe. Je propose d’étudier 4 questions comprises dans cet entretien, tout en contredisant un autre propos tenu par Michel Onfray en 2017.

Michel Houellebecq: «Les succès des salafistes, celui des talibans comme celui, plus éphémère, de Daech, m’ont prouvé qu’un retour en arrière est possible. Les talibans ont réussi à revenir au VIIe siècle, alors que les réactionnaires les plus extrêmes du monde occidental proposent de revenir au XIIIe siècle.»

Le mot salafisme, salafiyya en arabe, vient de l’expression «al-salaf al-salih», que l’on peut traduire par «les ancêtres vertueux». Une idéologie salafiste prône ainsi un retour au mode de vie des quatre califes bien guidés – les quatre premiers califes – ou, dans certains cas, au mode de vie des compagnons du prophète. Aujourd’hui, le salafisme alimente la gouvernance de plusieurs pays ou organisations, comme les talibans en Afghanistan. Dire qu’un tel retour en arrière est possible et a été réalisé est totalement faux. En effet, les talibans désirent un retour en arrière selon leur propre interprétation, et nullement celle du prophète.

Pour eux, cela équivaudrait à revenir à une période où les femmes ne travaillaient pas, n’étudiaient pas et ne possèdaient aucune autorité. Ils oublient l’importance de la première femme du prophète, Khadija, dans l’établissement de l’Islam. Marchande expérimentée et établie dans la région de La Mecque, elle soutint le prophète financièrement, socialement et moralement lorsqu’il révéla à la population la parole divine qu’il avait reçue. Sans elle, Mohammed n’aurait pu subvenir à ses besoins et n’aurait pu faire usage des relations de sa femme pour légitimer son rôle en tant que prophète. Khadija fut ainsi la première femme de pouvoir de l’islam, suivie peu de temps après par A’isha, femme préférée du prophète, qui apparaît dans les Hadiths comme une femme forte et autoritaire, protestant en particulier contre le traitement des femmes, déclarant: «Vous nous comparez aux ânes et aux chiens.» (Leila Ahmed, Women and Gender in Islam: Historical Roots of a Modern Debate (New Haven & London: Yale University Press, 1992, p 47.)

Retourner à l’époque des quatre califes bien guidés reviendrait également à revenir à l'époque de confusion politique générale qui suivit la mort du prophète. En effet, ce dernier n’a laissé aucun testament ou instruction quant à la gouvernance de sa communauté. Ses disciples se sont divisés entre chiites et sunnites; les uns prônant une hérédité du pouvoir, les autres l’élection démocratique de leur chef. Finalement, ce sont les sunnites qui l’emporteront, inaugurant la notion de démocratie en islam. Il paraît évident que les talibans ont négligé ce point, prenant le pouvoir de manière fort peu démocratique. Il semble qu’ils aient également oublié que les quatre premiers califes, qu’ils encensent, ont tous été assassinés, un destin que les talibans ne désirent sûrement pas…


Les talibans prêchent ainsi un retour à un temps qui n’existe pas. Celui du prophète et de ses quatre premiers califes, les talibans ne l’envieraient pas. Un temps où les califes sont assassinés, un temps où la Charia, que les talibans aiment tant appliquer à la lettre, n’existe pas, et un temps où le Coran n’a pas encore été écrit. Un temps où le prophète s’appuie sur l’influence de ses épouses pour fonder sa religion. En d’autres mots, le pire cauchemar des talibans!

Michel Onfray: «(...) les arabo-musulmans ont violé des femmes blanches, mais qu’en même temps, ils ont été privés de leur dignité pendant des années par le colonialisme, si bien qu’ils sont en réalité les victimes. Pour les gauchistes, les violeurs sont des victimes du privilège blanc. Grâce au raisonnement sartrien sur la contre-violence, grâce à Franz Fanon, ils ont l’idéologie pour justifier ce genre de choses. C’est le discours victimaire, qui consiste à dire qu’un blanc a toujours tort parce qu’il est descendant de blancs qui étaient des génocidaires.»

Par cette déclaration foncièrement outrancière, Monsieur Onfray entretient le mythe européen du violeur africain, de l’homme barbare ignorant qui ne pense qu’à assouvir sa vengeance sur le corps de femmes blanches. C’est faire honte à tout un peuple que de dépeindre «les Arabo-musulmans», sans distinction, comme des barbares qui usent du viol pour venger leurs ancêtres. Et, s’il existe bien des cas de viols commis par des musulmans d’origine arabe, ces derniers ne sont aucunement portraiturés comme des victimes. Il suffit de voir la réaction de l’opinion publique à la suite de la vague d’agressions sexuelles commises le soir de la Saint-Sylvestre 2015 en Allemagne. 1088 plaintes furent déposées contre des groupes d’hommes décrits comme «arabes» et «nord-africains». Les demandeurs d’asiles et réfugiés politiques furent alors stigmatisés et un débat sur l’accueil des migrants s’ouvrit en Allemagne. «L’extrême droite religieuse musulmane», comme l’appelle la sociologue Marieme Helie Lucas, est dénoncée et les réactions racistes se multiplient. Ce qui était visé était la place des femmes en Europe. Toute personne d’apparence maghrébine ou arabe est alors clouée au pilori, condamnée sans avoir commis de crime. Celui qui ne possède pas un physique caucasien est automatiquement suspect. On aurait pensé que les funérailles à cercueil ouvert d’Emmett Till, révélant le corps mutilé et méconnaissable de l’enfant de quatorze ans accusé à tort d’avoir flirté avec une femme blanche dans le sud ségrégationniste de Jim Crow, auraient mis fin à de tels postulats.

Michel Onfray encourage une guerre raciale, là où elle n’a pas lieu d’être. Je n’ai jamais entendu parler d’un procès pour viol où l’agresseur, d’origine «arabo-musulmane», ait eu pour circonstance atténuante celle de la «contre-violence» sartrienne!

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