Déconstruction théologique du discours Onfray-Houellebecq 2/2
Faisant suite à la publication des entretiens entre Michel Onfray et Michel Houellebecq dans le dernier hors-série de Front populaire, le recteur de la Grande Mosquée de Paris a menacé de déposer plainte à cause des propos particulièrement offensants envers les musulmans, proférés par ce dernier. C’était légitime. Après une heureuse rencontre entre les deux hommes, initiée par le grand rabbin Haïm Korsia, Michel Houellebecq a accepté de modifier les passages litigieux. En échange, le recteur de la Grande Mosquée suspend sa plainte dans l’attente d’un livre à paraître.

Michel Houellebecq: «Il avait raison de penser qu’il est impossible de rester un bon musulman dans un pays occidental. Il faut lire le Coran. L’interprétation la plus juste, à mon avis, est l’interprétation salafiste, mais pas djihadiste. Mahomet n’a pas prescrit de coloniser le monde entier ni de détruire tous les mécréants de la planète.»

L’utilisation du mot «interprétation» ici semble être déplacée. Le salafisme et le «djihadisme», tel qu’il est compris aujourd’hui dans le contexte occidental, me semblent correspondre plus à des courants politiques qu’à des méthodologies exégétiques.

L’interprétation fondamentaliste du Coran, car c’est ce que Michel Houellebecq doit vouloir dire, est contraire à l’esprit du Coran et donc à la Charia, deux termes que les fondamentalistes interchangent souvent. La Charia, qui est tirée des versets à caractère légal du Coran, est une loi flexible, ouverte à l’interprétation, et donc une loi en constante évolution. Dès l’adoption des règles du Coran dans la vie de la communauté, les juristes et les premiers califes se retrouvent au pied du mur. Parmi les cinq cents versets juridiques du Coran, seule une petite minorité est explicite. Les versets juridiques doivent donc impérativement être interprétés et faire l’objet d’un raisonnement afin qu’un système juridique logique et durable puisse être appliqué dans la vie quotidienne des musulmans. L’acte de comprendre et d’interpréter la Charia est appelé fiqh, tandis que les différentes méthodes pour y parvenir sont désignées par le terme général ijtihad, ces méthodes ayant été employées pendant les cinq premiers siècles de la religion islamique, notamment par les quatre écoles de jurisprudence: Hanbalite, Hanafite, Malikite et Chafi’ite.

Nasim Hasan Shah, président de la Cour suprême du Pakistan entre 1993 et 1994, affirmait qu’en raison de sa nature divine, la Charia permettait une évolution historique, en fournissant «aux croyants un nombre très limité de grands principes politiques, au-delà, elle laisse un vaste champ d’activité constitutionnelle, de méthodes gouvernementales et de législation quotidienne à l’ijtihad de l’époque concernée».

Les musulmans qui prônent le taqlid, l’application aveugle des lois de la Charia, le font car la Charia a déjà été interprétée, manipulée et adaptée. Ils refusent simplement une autre interprétation de celle-ci dans le monde moderne. Une fois de plus, être salafiste vis-à-vis de la Charia équivaut à revenir à une époque où celle-ci n’existait pas et où les versets juridiques du Coran étaient impraticables et inapplicables.

La définition que donne Monsieur Houellebecq du «djihadisme» me paraît complètement fausse. Je remettrais déjà en question l’existence d’une doctrine «djihadiste». Si par là Monsieur Houellebecq veut désigner les islamistes fondamentalistes de Daech et qui utilisent le concept de djihad pour revendiquer leurs actions, l’utilisation du terme me paraît déplacée, étant donné que ces individus ne respectent aucunement les codes du djihad traditionnel. Le mot «djihad» peut se traduire par «abnégation» ou «lutte» et prend plusieurs significations. Il peut s’interpréter comme la lutte contre ses propres démons, le «grand djihad», ou comme une lutte pour défendre l’islam, une sorte de guerre sainte. Le mot «défendre» est ici très important. Ibn Taymiyya, l’un des idéologues majeurs du djihad, qui est aujourd’hui utilisé par les fondamentalistes islamistes, affirme qu’il n’existe pas de djihad «offensif». Ainsi, un djihad «qui prescrit de coloniser le monde entier» n’existe pas. Le djihad n’est déclaré que lorsque l’islam est attaqué, sur son territoire ou dans ses pratiques. Les conquêtes islamiques du VIIe siècle ne sont aucunement «djihadistes», elles sont politiques et militaires, prosélytes peut-être, mais pas «djihadistes». Et les attaques de Daech sur le sol français ne devraient pas, selon les codes du djihad, être revendiquées comme «djihadistes». Appeler un terroriste islamiste un «djihadisme», serait comme appeler le groupe de chrétiens extrémistes qui tuèrent vingt musulmans dans une attaque en Éthiopie en avril 2022 des «croisés». Ces individus se revendiquent peut-être «moudjahidine», mais il ne faut pas réduire le djihad à leur interprétation fallacieuse.


Enfin, Michel Onfray écrivait le 29 septembre 2017: «Les 'collabos' sont ceux qui estiment que l’islam est une religion de paix, de tolérance et d’amour et ne veulent pas entendre parler d’un islam de guerre, d’intolérance et de haine. Certes, il existe un Islam pratiqué par des gens qui voient en cette religion une coutume familiale ou un signe d’appartenance dans laquelle dominent effectivement la tolérance, la paix et l’amour. Mais il y a aussi, dans le Coran et dans l’histoire de l’islam, terrorismes inclus, une autre voie qui est celle de la misogynie, de la phallocratie, de l’homophobie, de l’antisémitisme, du bellicisme, de la guerre qui constituent des valeurs à exporter par le djihad guerrier. Le collaborateur ne veut voir que le premier islam en estimant que le second n’a rien à voir avec l’islam. Le Coran est un livre dont les sourates justifient aussi bien le premier que le second islam. Concrètement, ces collaborateurs sont les islamo-gauchistes qu’on trouve ici ou là au NPA, dans la France.»

Il est naturel que les prédications religieuses reflètent le contexte historique au sein desquelles elles évoluent. Ainsi, il ne faut pas oublier que l’islam est une religion de l’Antiquité tardive et que ses doctrines répondent au contexte géopolitique de l’époque. Mohammed était un chef politique et guerrier autant qu’il était un prophète. Il semble donc logique que l’islam soutienne les conquêtes militaires qu’il entreprend, et que ses successeurs continuent. Ceci n’est pas une spécificité de l’islam. On retrouve des éléments fort similaires dans la Torah, incitant également à entrer en guerre avec les peuples ennemis des Israélites. Le livre du Deutéronome (chapitre IX), n’incite-t-il pas à «aller déposséder des nations plus grandes et plus puissantes que toi, et prendre des villes immenses dont les fortifications montent jusqu’au ciel»? Tout cela avec l’accord de Dieu qui «exterminera» les ennemis du peuple israélite, «les abaissera devant toi; alors [que] tu les déposséderas et tu les feras périr aussitôt, comme te l’a dit le Seigneur».

Le Judaïsme n’est pas construit sur la tolérance et l’amour; l’islam ne l’est pas non plus. Le christianisme prétend peut-être au pacifisme, incitant ses fidèles à s’aimer les uns les autres, mais il ne faut pas oublier que l’Église catholique justifia par la religion l’esclavage des peuples d’Afrique et le massacre des peuples d’Amérique. S’il ne l’avait appâtée de consolation, le christianisme ne se serait jamais emparé de l’âme humaine. Aucune des trois monothéistes n’est une religion de paix et d’amour. L’islam, et le christianisme en particulier, ne peuvent l’être, ayant été des organes politiques.

Cependant, le fait que l’islam ait été établi dans un esprit de conquête militaire, de guerres et de stratégies politiques ne signifie pas qu’il est voué à justifier tout acte d’intolérance. Il faut simplement reconnaître que la religion, quelle qu’elle soit, est avant tout un phénomène social, politique et historique; un élément essentiel de l’hygiène des peuples.

Michel Onfray et Michel Houellebecq ont l’intention de faire paraître un ouvrage reprenant leurs six heures d’entretien. Qu’ils soient lettrés et philosophes, nous n’en doutons pas, car ils soulèvent d’excellentes réflexions par ailleurs. Mais théologiens sûrement pas. Exégètes de l’islam en aucun cas. Ils devraient s’abstenir de s’aventurer sur ce terrain-là. On prête à Albert Camus cette citation: «Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde…»

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