Péripéties touristiques
Comme d’habitude, on se gargarise après cette saison de fêtes à scruter l’activité touristique, dopée par les expatriés et autres visiteurs étrangers. Ce qui est normal; ce secteur a toujours été un moteur de l’économie locale.

Là où ça se gâte c’est lorsque les responsables, ministre du Tourisme en tête, se mettent à débiter des chiffres sans savoir de quoi ils parlent. Rien d’étonnant si l’on se rend compte que notre État a toujours considéré les chiffres et les statistiques scientifiquement prouvés comme des ennemis qu’il faut éviter à tout prix.

Mais contentons-nous aujourd’hui de scruter le degré d’imprécision des chiffres touristiques, en nous basant sur les données suivantes:

- D’après les normes locales, est considéré comme touriste tout visiteur de toute nationalité, sauf les Libanais, les Syriens et les Palestiniens. Or les expats libanais, qui ne sont donc pas comptabilisés, ont un comportement de touristes, du moins partiellement (car certains ont toujours un logement local, ou encore un compte bancaire en LL). De même, certains Syriens plus ou moins fortunés se comportent eux aussi comme des touristes, mais ne sont pas comptabilisés. En revanche, les Égyptiens sont comptabilisés, même s’ils ne sont pas des touristes.

-  En matière de stats touristiques, ce qui est significatif ce n’est pas tant le nombre de touristes, que le ministre met toujours en exergue, mais le nombre de nuitées touristiques, qui détermine l’impact réel de ces visiteurs. Or le département des statistiques du ministère du Tourisme, qui existe en théorie seulement, publiait dans le temps les chiffres des nuitées touristiques, jusqu’à ce qu’il se rende compte que ses chiffres sont tellement farfelus que ça provoquait la risée des professionnels.

Il en est de même d’ailleurs des taux d’occupation des hôtels, des stats que le ministère a cessé de publier quand on lui a fait remarquer qu’il débitait des bêtises. Depuis, seul le cabinet international Ernst & Young publie mensuellement ces chiffres pour l’ensemble de la région.


- Et les chiffres de E&Y ne sont pas si bons, malgré les déclarations béates des responsables. Sur les neuf premiers mois de l’année, dernier chiffre publié, le taux d’occupation des hôtels 4 et 5 étoiles à Beyrouth (selon la nomenclature de l’organisme), s’est établi à 55%, avec un tarif moyen de 61 dollars par nuitée. Ce qui fait que le revenu brut de chaque chambre disponible n’est plus que de 33 dollars, pas de quoi assurer une rentabilité pérenne des établissements. Surtout qu’ils comptent sur leurs propres sources d’énergie pour fonctionner, une charge financière énorme. La preuve, plusieurs hôtels 4 et 5 étoiles au Centre-ville sont toujours fermés. Les estimations pour les régions hors de la capitale sont généralement inférieures à ces chiffres.

- En se vantant de «l’essor de l’activité touristique», comme s’ils en étaient les auteurs, les responsables veulent occulter l’absence de la vraie source historique des revenus touristiques au Liban, une absence dont ils sont justement responsables: les ressortissants du Golfe. C’est ce que le président du Syndicat des hôteliers, Pierre Achkar, avec d’autres, rappelle de temps en temps, un cri d’amertume dans le désert. Car sur les neufs premiers mois de l’année, les Koweitiens ne représentaient que 1,7% des visiteurs, les Saoudiens 0,2% et les Émiratis 0,05%. Or on sait que leurs dépenses touristiques par séjour étaient cinq fois plus élevées que celles des autres visiteurs arabes ou européens.

Et, encore une fois, le ministre aouniste du Tourisme lance à chaque fois des chiffres à l’emporte-pièce sur les revenus touristiques, par milliards de dollars, sous-entendu qu’on a pu ainsi se passer des encombrants ressortissants du Golfe, une fleur gratuite à ses alliés de l'accord de Mar Mikhaël.

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