Vérité et mensonge (1)- La légende
Cette légende date du XIXe siècle:

Un jour la Vérité et le Mensonge se croisèrent.
- Bonjour, dit le Mensonge.
- Bonjour, répondit la Vérité.
- Belle journée, dit le Mensonge.
Alors la Vérité se pencha pour vérifier si c’était le cas. Cela l’était.
- Belle journée, répondit alors la Vérité.
- Le lac est encore plus beau, dit le Mensonge.
Alors la Vérité observa le lac et vit que le Mensonge disait la vérité et elle hocha la tête. Le Mensonge courut vers l’eau et dit:
-L’eau est encore plus belle. Nageons.
La Vérité toucha l’eau du bout des doigts et se rendit compte que l’eau était réellement bonne et à partir de là, elle eut confiance en le Mensonge. Les deux enlevèrent leurs vêtements et nagèrent tranquillement. Quelque temps après, le Mensonge sortit, s’habilla avec les vêtements de la Vérité et s’en alla.

La Vérité sortit de l’eau et, ne trouvant pas ses habits, fut incapable de porter ceux du Mensonge. Elle fut forcée de se déplacer toute nue. Ce que voyant, tout le monde en fut horrifié, gêné de la voir dans sa nudité, et voulut l’éviter. Tout attristée, la Vérité retourna alors se réfugier au fond du puits.

«C’est ainsi qu’aujourd’hui, les individus préfèrent accepter le mensonge déguisé en vérité à la vérité toute nue.»


On définit habituellement le mensonge comme un énoncé contraire à la réalité. Mais qu’est-ce que la réalité? Existe-t-il une réalité «objective»? Ne varie-t-elle pas avec la perception de chaque sujet? Vérité et réalité sont-elles nécessairement synonymes?

Il n’existe pas de réponse univoque à ces questions. Le mensonge contient toujours une part de vérité concernant, pour le moins, le sujet lui-même. Il peut même parfois avoir une fonction protectrice et, dans ce cas, il ne porte pas nécessairement une connotation morale négative. En revanche, dans un registre opposé, dans le cas d’un menteur pathologique par exemple, il peut s’avérer destructeur. Quant à la vérité, ne dit-on pas qu’elle n’est pas toujours bonne à dire? Surtout dans des pays comme le nôtre où celui qui l’énonce risque d’être exécuté, comme le chante Guy Béart: «Combien d’hommes ont disparu/ Qui un jour ont dit non/ Dans la mort propice, leurs corps s’évanouissent/ On ne se souvient ni de leurs yeux ni de leur nom/ Leurs mots qui demeurent/ Chantent 'juste' à l’heure/ L’inconnu a dit la vérité/Il doit être exécuté.»

Mensonge et vérité forment ainsi un couple inséparable: on ne peut parler de l’un sans en référer, explicitement ou implicitement, à l’autre.

Dans la vie sociale, comme d’ailleurs dans la vie privée, le mensonge peut s’avérer parfois utile. Tout comme le faux self protège le vrai self, le mensonge, à l’occasion, préserve l’intimité d’un sujet. À condition toutefois que le menteur soit conscient de la moralité ou de l’immoralité de son acte et de ses conséquences sur sa relation à l’autre. Les salutations quotidiennes nous en offrent l’exemple. Lorsqu’une connaissance vous demande: «Ça va?», vous avez deux choix: soit vous répondez par un autre «Ça va» parce que vous pensez ainsi éviter de déprimer votre interlocuteur avec une litanie interminable de ce qui ne va pas, tout en sachant tous les deux qu’au Liban c’est un gros mensonge, soit, si vous êtes soucieux de sincérité et d’authenticité, vous exprimez, brièvement ou longuement, combien c’est une interrogation totalement insensée dans le Liban actuel.

L’éducation au savoir-vivre communautaire elle-même n’est pas dénuée d’une certaine dissimulation. C’est ainsi que le psychanalyste Donald W. Winnicott s’adresse aux parents: «Vous apprenez à votre enfant à dire merci, vous espérez qu’il apprendra à mentir, c’est-à- dire à se conformer aux usages jusqu’à une certaine limite à partir de laquelle la vie devient supportable. Vous savez parfaitement bien que l’enfant ne veut pas toujours dire merci.»

Il est impossible pour un être humain de ne pas mentir. Pour Jacques Lacan, parler c’est mentir, le mensonge étant intrinsèque à la parole. Personne n’y échappe, avec les conséquences que cet acte entraîne. Des recherches en psychologie sociale ont même pu préciser que nous mentons toutes les trois minutes, d’autres que nos discussions contiennent en général 35% de mensonges, les femmes s’avérant plus menteuses que les hommes!

Pour illustrer ces propos ainsi que ceux qui vont suivre, je vous propose quelques extraits du texte savoureux et tellement vériste de Jean Cocteau, intitulé Le Menteur:

Je voudrais dire la vérité, j’aime la vérité, mais la vérité ne m’aime pas, voilà la vérité vraie, la vérité ne m’aime pas. Dès que je la dis, elle change de figure, se retourne contre moi et j’ai l’air de mentir et tout le monde me regarde de travers. Et pourtant je suis sain, je n’aime pas le mensonge, je le jure. […] si j’aime je dis que je n’aime pas et si je n’aime pas je dis que j’aime et patati et patata! Vous devinez la suite, c’est intolérable, il n’y a rien à faire, j’ai beau me sermonner, me mettre devant mon armoire à glace, me dire: tu ne mentiras plus, tu ne mentiras plus, tu ne mentiras plus; je mens, je mens, je mens. […] Mais au fait, je suis là, je parle, je parle, je m’exalte, je m’accuse, je ne me suis pas demandé si vous étiez en mesure de me juger: vous aussi vous devez mentir, mentir sans cesse, aimer mentir et croire que vous ne mentez pas, et vous mentir à vous-même. […] Et puis je ne sais pas ce que vous avez tous contre le mensonge après tout. Mentir! Mais c’est magnifique, merveilleux, mentir: imaginer un monde irréel et y faire croire, mentir! Vous me direz la vérité a son charme aussi, d’accord. La vérité et le mensonge, les deux se valent. Peut-être que le mensonge l’emporte tout de même, bien que je ne mente jamais; Hein! Quoi! J’ai menti! Certes j’ai menti en vous disant que je mentais. Ah! Ah! Ah! Ai-je menti en vous disant que je mentais ou en vous disant que je ne mentais pas? Moi, un menteur? Au fond je ne sais plus très bien, je m’embrouille. Suis-je un menteur je vous le demande? Je crois, je crois, que je suis plutôt un mensonge, un mensonge qui dit toujours la vérité!
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