La sécurité alimentaire en termes simples
Sécurité alimentaire ou autosuffisance alimentaire? Les deux concepts se mélangent dans les propos de certains responsables, face à un risque soudain de pénurie. Le sujet est international par essence, mais avec un pendant libanais.

Le spectre de la famine hante l’humanité depuis toujours. Nos ancêtres la considéraient même comme étant une loi de la nature tellement elle était fréquente. Des siècles plus tard, la sécurité (ou plutôt l’insécurité) alimentaire est toujours d’actualité et fait la une des journaux, en Afrique ou ailleurs. Les responsables libanais l'évoquent aussi, mais souvent loin de la réalité, préférant tomber dans leur populisme légendaire. Il s’agit ici de scruter le concept de sécurité alimentaire et de répondre aux questions qui peuvent troubler les esprits.

Mesurer la sécurité alimentaire

Il faut d’abord prendre garde de ne pas confondre autosuffisance alimentaire et sécurité alimentaire. L’autosuffisance, supposée se réaliser dans le cadre d’une nation, est une chimère, parfois utilisée par des politiciens populistes. Aucune nation au monde n’est capable d’assurer intérieurement l’ensemble des denrées alimentaires nécessaires à sa population. Et, même si une vaste surface arable est disponible dans un pays donné, une pénurie peut provenir du climat, de l’eau d’irrigation, des machines agricoles...

La sécurité alimentaire est une notion plus vaste et globale. Elle a pour but de satisfaire l’ensemble des besoins alimentaires de la population, quelle que soit l’origine des denrées. Elle est assurée lorsque l’ensemble de la population peut accéder à tout moment aux denrées alimentaires, soit en les produisant, soit en les achetant. Il ne suffit donc pas de dire que le marché regorge de tonnes de riz si une partie de la population ne peut y accéder pour des raisons géographiques, réglementaires, sécuritaires ou financières.

L’outil le plus utilisé pour mesurer la sécurité alimentaire est le Global Food Security Index, publié par The Economist. D’après cet indice, la Finlande, l’Irlande et la Norvège, dans cet ordre, sont bizarrement les trois pays les plus sûrs en matière d’alimentation.

On remarquera en passant que le premier pays est glacial et présente peu de terres arables permanentes. Un bref survol suffit pour en deviner la raison. La Finlande a une économie de marché à tendance libérale. Elle a peu de barrières entravant le commerce avec l’étranger. Il est vrai que le secteur agricole est subventionné, mais cela ne veut pas dire que les subventions sont nécessaires pour le succès d’une entreprise. Sinon, on pourrait subventionner chaque coin et recoin de l’économie d’un pays pour qu’il soit prospère, ce qui est absurde.

Le monde mange-t-il mieux?

Le progrès réalisé grâce à la révolution industrielle est stupéfiant. Un siècle plus tôt, même les plus riches n’avaient pas accès à une matière aussi vitale que l’eau propre. Si nous avons aujourd’hui un niveau de vie sans précédent, c’est en grande partie grâce à la hausse spectaculaire de la productivité qui a eu lieu au cours des siècles derniers.

Néanmoins, on n’est jamais à l’abri d’une secousse. Avec la pandémie du COVID-19 et la guerre en Ukraine, les prix de nombreux produits alimentaires ont subi une forte hausse, quand ils ne se sont pas raréfiés par moments, mettant en péril la sécurité alimentaire dans nombre de pays.

Quelques stratégies clefs


En matière de sécurité alimentaire, le libre-échange et la concurrence sont bénéfiques pour tous. Le principe de l’avantage comparatif, formulé par le fameux théoricien David Ricardo au XIXe siècle, est toujours accepté par la plupart des économistes contemporains. D’après ce principe, il serait plus opportun qu’un pays se spécialise dans la production de la denrée dont les coûts sont les plus faibles et d’importer celles qui sont trop chères à produire. Ainsi, si la production d’une denrée coûte plus cher que son achat à l’étranger, il sera alors plus avantageux de l’importer.

D’autres stratégies consistent à lever les subventions et à s’abstenir de contrôler les prix. Il est presque consensuel que les subventions aident les producteurs les plus riches aux dépens des plus pauvres, et qu’elles engendrent des marchés noirs. Quant aux contrôles des prix, ils sont tout aussi inefficaces et ont des effets pervers puisqu’ils empêchent l’offre et la demande de s’ajuster. Un prix minimal mène à des surplus, tandis qu’un prix maximal provoque des pénuries, dissuade l’offre et augmente la contrebande. C’est le b.a.-ba de la théorie économique.

Géographie et idées reçues

On a souvent tendance à inculper l’environnement naturel, c’est-à-dire la présence ou non de ressources naturelles, pour expliquer les méandres alimentaires de différentes régions du monde. C’est un réflexe commun et pourtant erroné: les ressources naturelles (terres arables ou autres) sont presque inutiles sans la capacité de les exploiter et de les transformer en actifs générant une valeur.

L’Arabie saoudite est un cas curieux. Le royaume est peu nanti en terres arables, et pourtant ses citoyens ne meurent pas de faim et ont accès à tout genre de produits. C’est parce que l’Arabie saoudite compte sur les investissements (et donc les innovations) ainsi que sur les importations pour nourrir ses habitants. En effet, l’Arabie saoudite accueille les investissements et le développement de nouvelles techniques de culture prenant en considération ses données climatiques. Mais, parallèlement, une autre stratégie s’est dessinée. Des entreprises agricoles saoudiennes acquièrent de vastes terrains à l’étranger, notamment en Afrique, pour y planter ce dont leur population a besoin, assurant ainsi à celle-ci une sécurité alimentaire indirecte.

Un plan pour le Liban?

La situation du Liban n’est pas idéale, c’est le moins qu’on puisse dire. La pandémie, l’explosion du port, les silos détruits et la guerre en Ukraine ont tous apporté leur pierre à l’édifice de l’insécurité alimentaire.

Pourtant, le Liban a la plus grande proportion de terres arables par habitant dans le monde arabe. Son secteur agricole est cependant négligé. Les fermiers n’ont pas accès aux crédits, et la valeur de la livre libanaise se déprécie de plus en plus, dissuadant les investissements.

Certains responsables prônent depuis la guerre en Ukraine l’élargissement des terres arables consacrées à la culture du blé «pour assurer une sécurité alimentaire à la population». Mais ces mêmes responsables ne répondent pas aux questions essentielles pour atteindre ce but: qui va mener les investissements nécessaires? Aura-t-on assez d’eau pour les irriguer? Le coût de production sera-t-il compétitif eu égard aux prix mondiaux? Et cela ne va-t-il pas se réaliser au détriment d’autres cultures qui, elles, seront alors en pénurie?

Alors que retentit l’indifférence des autorités, la FAO onusienne a concocté un plan. Il se focalise sur la modernisation de l’infrastructure, l’érection de marchés pour les producteurs agricoles saisonniers et permanents, l’organisation du travail collectif, l’accès aux prêts et l’incitation à l’exportation et aux investissements privés. Attendons donc que l’herbe verdisse.

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