Chine, Iran, Syrie : \
©Les activistes de CodePink en visite à Téhéran, auprès de Javad Zarif, ex-ministre des Affaires étrangères. (Photo : social media)
ANALYSE – Sous couvert de militantisme anti-guerre, des individus et organisations se rendent complices de régimes criminels en leur offrant une propagande à moindre frais.

Depuis l’ère numérique et l’avènement des réseaux sociaux, de nouvelles plateformes idéologiquement engagées ont vu le jour au sein des sociétés occidentales, jusqu’alors dominées par l’influence des médias traditionnels. Si ces plateformes se veulent être une réponse aux politiques occidentales qu’elles désapprouvent ou une « voie alternative », elles servent bien souvent de caisse de résonance aux propagandes des régimes autoritaires en manque de notoriété. Ces organisations et médias forment un véritable écosystème de la désinformation, en multipliant les canaux de diffusion, en mélangeant le vrai au faux aboutissant au confusionnisme, terreau fertile sur lequel peuvent prospérer les pires dictatures. En répétant de fausses allégations ad nauseam et en instillant le doute en permanence, certains organes jouent – au mieux – le rôle d’idiots utiles en leur redonnant du crédit à moindre frais, quand d’autres s’évertuent sciemment à blanchir leurs crimes via des plateformes et dispositifs médiatiques savamment orchestrés.

Des activistes prétendument antimilitaristes lancent des campagnes de dénigrement envers les opposants des régimes autoritaires faisant l’actualité, notamment CodePink qui cible les opposants au régime chinois en tentant de les réduire au silence. CodePink se présente comme «une organisation fondée par des femmes œuvrant à mettre fin aux interventions militaires américaines, en soutenant la paix et les droits de l’homme», selon leur site internet. Sa fondatrice Medea Benjamin a été aperçue le 14 novembre dernier sur l’île de Cuba, arborant un t-shirt pro-Castro, au moment même où des milliers de Cubains se sont mobilisées contre l’injustice. Quelque 500 personnes ont été emprisonnées suite à la répression. Le groupe cible également les groupes de l’opposition hongkongaise et les activistes de la communauté Ouïghour. En ligne de mire, la défense du régime chinois et une rhétorique unilatéralement dirigée contre les États-Unis. CodePink a d’ailleurs spécialement créé la page China Is Not Our Enemy, sur les réseaux sociaux. CodePink s’est également fait remarquer comme groupe de pression aligné sur l’agenda iranien, son positionnement « anti-guerre » étant utilisé comme couverture. En voyage à Téhéran, le groupe de militants de CodePink s’est affiché en présence de l’ex-ministre des Affaires étrangères Javad Zarif, comme en témoigne une photo publiée sur le compte Twitter. Comme d’autres organisations, il est l’exemple le plus visible de la posture « anti-impérialiste » cachant en réalité des intentions moins avouables.

Publié dans neuf langues et affichant des objectifs similaires, le collectif Qiao se présente comme le média de la diaspora chinoise visant à «contrer les agressions impérialistes américaines». Également populaires ces derniers temps dans le monde anglo-saxon, Mango Press et The Grayzone, plateformes se présentant comme ancrées dans une gauche anti-impérialiste. Le gouvernement chinois a plébiscité à de nombreuses reprises The Grayzone pour sa couverture favorable du régime. Le site s’est également fait connaître en affichant une ligne éditoriale compatible avec le Kremlin et ses alliés. Ces plateformes n’hésitent pas à relayer des personnalités issues de l’alt-right américaine, tant que la ligne « anti-impérialiste » est respectée. Cette porosité peut se rapprocher de ce que certains appellent la nébuleuse « rouge-brune », alliage a priori atypique d’éléments d’extrême-droite et d’extrême-gauche.

Des manifestantes de CodePink s'élèvent durant l'allocation de l'ex-Secrétaire d'Etat Mike Pompeo, le 9 avril 2019 au Capitol . (AFP / SAUL LOEB)

Influenceurs, médias participatifs et médias d’État

D’autres exemples largement documentés ont fait date dans l’histoire de la désinformation sous couvert de pacifisme, notamment avec le groupuscule Hands of Syria, une organisation liée au régime syrien très active lorsque que celui-ci était menacé de représailles militaires. En outre, certains organes revêtent une image plus académique pour diffuser leurs contenus, tel que le Gravel Institute, se présentant comme un média à la ligne progressiste, se voulant être l’opposé de l’influent média conservateur et réactionnaire PragerU. En se positionnant idéologiquement dans le camp progressiste, Gravel Institute se présente comme « une infrastructure visant à pousser le public alternatif vers la gauche ».


Les régimes bénéficiant de ces plateformes ont compris qu’ils pouvaient tirer profit de l’imaginaire conspirationniste post-11-septembre et post invasion de l’Irak (2003), comme l’explique l’historienne spécialiste du complotisme Marie Peltier à travers ses ouvrages qui font désormais référence. Le narratif de défiance envers la «version officielle» peut dès lors prospérer plus efficacement. Au militantisme «anti-impérialiste» s’ajoute un complotisme latent, le premier renforçant le second et inversement.

Il faut distinguer trois types d’acteurs interdépendants : les influenceurs (activistes), les médias participatifs et les médias d’État. Des influenceurs devenus célèbres ont été approché par les chaînes de régimes autoritaires. Les médias participatifs constituent le second groupe. Leur financement repose sur une participation des internautes via des abonnements (le système Patreon) ou via des dons. Leur forme se rapproche de standards journalistiques modernes. Troisièmement, les médias d’État (chinois, iraniens ou russes) qui se présentent comme les pendants nationaux des médias américains ou européens tels que CNN ou France 24 – une image déconstruite par le chercheur spécialiste de la désinformation russe Maxime Audinet. Ces acteurs interdépendants aux origines et dispositifs différents forment un écosystème homogène, car ils sont éminemment politiques et servent tous de courroie de transmission aux narratifs des régimes autoritaires.

Posture en trompe-l’œil

Un rapport de l’Atlantic Council souligne que l’Iran diffuse dans pas moins de 32 langues différentes sur ses plateformes et gère des centaines de réseaux mixant le vrai et le faux. Les réseaux sociaux sont également investis, puisqu’ils touchent davantage de public que leurs chaînes d’information en continu. Pour reprendre leurs narratifs respectifs sur les réseaux les plus populaires (Instagram, TikTok ou Facebook) plébiscités par un jeune public, ces régimes ont recours à des influenceurs de préférence occidentaux. C’est le cas de la libano-américaine Rania Khalek qui comptabilise des milliers d’abonnés sur différentes plateformes. Celle-ci reprend mot pour mot la propagande des régimes russes et syriens dans plusieurs vidéos devenues virales sur TikTok, en expliquant que le régime Assad n’a jamais bombardé la Ghouta aux armes chimiques en 2013 ; une attaque ayant entraîné la mort de plus de 1300 civils. Du côté iranien, le narratif favorable au régime et ses alliés est assuré depuis peu par Richard Medhurst, influenceur syro-anglais, dans une émission quotidienne dont les nombreux extraits sont partagés sur Twitter par PressTV. Reprenant le format et les codes des grands médias occidentaux pour décrypter les fausses informations, le régime iranien entend ici imposer son contre récit d’une manière plus discrète et efficace. Sans qu’aucun lien ne puisse être établi, des suspicions ont émergées sur l’engagement soudain de R. Khalek pour le gouvernement central éthiopien, engagé dans une guerre d’élimination contre le TPLF (Front de libération du peuple tigréen). Cette dernière a publié un long podcast faisant partie de la série «Dispatched» pour «décrypter les mensonges des médias occidentaux». Le conflit a fait plusieurs milliers de morts jusqu’à présent.

Cela démontre l’extrême malléabilité des narratifs reproductibles et adaptables selon les situations. Ces contre-narratifs sont déployés dans une formule clé-en-main par ces influenceurs plébiscités par les régimes en manque de notoriété. Si les conflits armés engageant des forces occidentales sont honnis à cor et à cri par les acteurs établis ci-dessus, les interventions militaires des régimes défendus par ce même camp ne posent pas de dissonances cognitives. Le camp anti-guerre ne s’embarrasse pas de beaucoup de considérations pour détourner du regard les crimes pourtant largement documentés contre les opposants, notamment en Syrie ou en Chine. Cette posture en trompe-l’œil ne trompe en réalité plus personne dès lors que les compromissions sont mises en lumière. La posture anti-guerre est un écran de fumée sciemment orchestré par les organes et régimes précités, dans l’optique d’imposer un contre-récit favorable.

Medea Benjamin, la présidente de CodePink, entourée des portraits du dirigeant vénézuelien Nicolas Maduro et de son prédécesseur Hugo Chavez. (AFP / Andrew CABALLERO-REYNOLDS)
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