4 août: journée d’interrogatoires de proches des victimes
De Verdun à Ramlet el-Baïda, des proches de victimes de la double explosion au port interrogés puis libérés, avec un appui populaire et politique. 

Au milieu d’une mobilisation populaire et politique de solidarité avec leur cause, onze proches des victimes de la double explosion au port de Beyrouth du 4 août 2020 ont été interrogés lundi par la police judiciaire à la caserne Barbar el-Khazen à Verdun (Beyrouth), sous la supervision de l’avocat général près le parquet d’appel de Beyrouth, le juge Zaher Hamadé. Ils avaient été convoqués après le sit-in sous tension qu’ils avaient observé devant le Palais de justice de Beyrouth mardi dernier, pour réclamer un déblocage de l’enquête sur la tragédie, et mettre en garde contre la nomination d'un juge suppléant à Tarek Bitar, en charge de l'instruction du dossier. Au terme de deux heures trente d'interrogatoires entamés vers 10h45 et répartis entre trois salles par souci de rapidité, «en présence des avocats respectifs des personnes convoquées et conformément la procédure légale», selon les termes d’un avocat proche des victimes, le juge Hamadé a décidé de leur mise en liberté, tout en les maintenant à la disposition des enquêteurs. Il s’agit de Georges Hitti, Oussama Fakih, Kian Tlaïs, Majid Hélou, Élie Mallahi, Abdo Matta, Élie Bou Saab, Anthony Salamé, Charbel Wardé, William Noun et Peter Bou Saab. Les avocats Cécile Roukoz et Pierre Gemayel, ayant chacun perdu un frère dans la tragédie, n’ont pas été interrogés, puisque bénéficiant d’une immunité judiciaire que le bâtonnier de Beyrouth a décidé de maintenir sur cette affaire. Ils étaient présents sur place en signe de solidarité, mais sans entrer dans la caserne.

Une fois achevée la procédure menée devant la police judiciaire qui aura duré un peu moins de trois heures de temps, le juge Hamadé a donné l’ordre de mettre en liberté les personnes interrogées dans l’affaire des dommages matériels causés au Palais de justice, mais aussi de muter au poste de la Sécurité de l’État à Ramlet el-Baïda pour un nouvel interrogatoire William Noun et Peter Bou Saab, qui ont chacun perdu un frère dans la double explosion au port de Beyrouth.

Indépendamment de l’interrogatoire qu’ils ont subi à Verdun, les deux jeunes hommes sont également visés depuis la nuit de vendredi à samedi par un mandat de recherche délivré par le juge Hamadé, pour une affaire distincte liée à des propos qu’ils ont tenus dans le cadre d’une émission télévisée à la chaîne MTV jeudi dernier. Cette affaire a valu à William Noun d’être interpellé vendredi par la Sécurité de l’État, avant la délivrance formelle d’un mandat d’amener. S’il a été mis en liberté le lendemain samedi, William Noun reste sujet à interpellation pour les besoins de l’enquête, a précisé son avocat.

Pour ce qui est de Peter Bou Saab, celui-ci n’ayant pas été dûment notifié du mandat d’amener le visant, selon ses avocats, il s’est abstenu de se manifester devant la Sécurité de l’État en fin de semaine. Sa présence à Verdun a donc été l’occasion pour le juge de décider de le muter à Ramlet el-Baïda avec William Noun.

Engagements écrits

Les deux jeunes hommes ont été transportés à bord du véhicule privé du député et avocat Georges Okaïs (Forces libanaises), une démarche devant servir de gage de sécurité face au risque d’abus judiciaires et sécuritaires subi par William Noun. Les deux activistes ont été interrogés pendant près de deux heures, avant que le juge ne décide de les remettre en liberté.

Selon nos informations, les onze personnes interrogées auraient été contraintes de signer un engagement écrit préalablement à leur libération de la caserne de Verdun. Il s’agit d’un engagement à « ne pas porter atteinte au juge Hamadé, ne pas causer de dommages matériels au Palais de Justice, et ne pas planifier de manifestations violentes avec actes de vandalisme ».


En outre, l’avocat de William Noun a affirmé, après la libération des deux prévenus à Ramlet el-Baïda, que la Sécurité de l’État "a promis" de ne plus inviter les activistes à "des échanges informels" sans mandat d’amener officiel, comme elle l’a fait vendredi avec William Noun, aboutissant à sa détention prolongée jusqu’à samedi.

Deux poids deux mesures

Les proches des victimes et des personnes solidaires de leur cause ont observé toute la journée un sit-in devant la caserne de Verdun, avant de se déplacer à Ramlet el-Baïda, en attendant la mise en liberté de William Noun et de Peter Bou Saab.

Devant les deux postes, ils ont multiplié leurs appels à la justice et rappelé qu’ils ne plieront pas face aux tentatives de les intimider. Ils ont en même temps affirmé s’en remettre aux juges, écartant toute intention de se confronter à l’appareil judiciaire.

«Ce n’est pas normal de voir les frères de victimes convoqués par la justice, alors que les responsables poursuivis (dans le cadre de l’enquête sur la double explosion) continuent de refuser de se livrer», a déclaré l'avocat Pierre Gemayel, dont le frère a été tué. «C’est la jungle. On veut la vérité, on n’arrêtera pas de réclamer la justice, jusqu’au jugement de toutes les personnes responsables», a-t-il affirmé à notre correspondant sur place, Sami Erchoff. À une question sur le bienfondé de la convocation des proches des victimes pour les dégâts causés au Palais de justice dans la foulée de leur sit-in de mardi dernier, il a tenu à préciser que «ce qui s’est passé mardi au Palais de justice n’était pas une action de la part des parents mais une réaction: ce que personne ne dit, c’est qu’il y avait des employés debout derrière les fenêtres du bâtiment, tournant en dérision la cause des parents et leur faisant des signes insultants de la main. Qui plus est, on ne peut pas condamner le fait que des vitres du bâtiment aient été brisées lorsque des députés poursuivis pénalement et qui refusent de comparaître devant le juge sont en train de briser l'ensemble de la justice, et pas seulement le Palais », a-t-il conclu.

De nombreux députés issus de la contestation, comme Michel Doueihy, Waddah Sadek et l’ancien bâtonnier Melhem Khalaf, ou de partis de l’opposition, comme le député FL Georges Okaïs et Élias Hankache (Kataëb) étaient également présents sur place en signe de solidarité avec les proches des victimes, promettant de relayer leur cause au Parlement. «Ceux qui font obstruction à l’enquête sur la double explosion au port sont les mêmes qui veulent dissuader les proches des victimes de maintenir leur cause vivace», a déclaré M. Okaïs, devant le poste de la Sécurité de l’État.

Même si toutes les personnes interrogées ont été remises en liberté, l’affaire du sit-in de mardi devant le Palais de justice n’a pas été officiellement close, et toute personne qui y a pris part risque toujours d’être interpellée à tout moment.
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