L’institution militaire risque de s’effondrer dans l’indifférence totale des responsables politiques
Au lieu de se mobiliser pour venir en aide à la dernière institution qui tient encore dans ce pays, qui plus est la plus importante, les responsables politiques affichent une indifférence suspecte quant au devenir de l’armée libanaise. C’est à croire qu’ils ont délégué cette question à l’étranger et considèrent qu’il est du ressort des pays arabes et occidentaux de soutenir la Grande Muette et de voler au secours des militaires, comme si cette question ne les concernait plus ni de près ni de loin. Cette réalité est particulièrement dangereuse et fait que l’institution militaire, pour la première fois de son histoire, se retrouve menacée d’effondrement car elle touche le fond sur le plan financier avec guère plus que 48 dollars américains de solde par soldat. En outre, l’armée risque de perdre de sa superbe, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, vu que son commandement se trouve acculé à quémander aides et subventions de partout, toutes les dispositions prises jusqu’à l’heure s’avèrent insuffisantes pour couvrir ses énormes besoins au vu de la flambée du taux de change, alors que le budget de l’institution reste inchangé.
Or depuis l’irruption de la crise financière et économique il y a deux ans, des mesures phares ont été adoptées (du jamais vu soit dit en passant) comme le fait de passer outre que certains militaires effectuent un autre travail en marge de leurs horaires à l’armée, ou réduire les jours et horaires de service au minimum, ainsi que cultiver des terrains aux alentours des casernes et distribuer les récoltes aux soldats ainsi qu’à leurs familles, et accepter les demandes de démobilisation présentées par de officiers ou de simples soldats. L’armée en est même arrivée à demander dernièrement l’aide du secteur privé afin de fournir les repas à ses soldats. Le désespoir qui touche d’ailleurs soldats et officiers pousse certains à déserter à la recherche de meilleures possibilités de travail et de salaires.
A l’heure actuelle, le commandement de l’armée, qui n’a ménagé aucun effort afin de garder l’institution robuste et empêcher son effondrement, compte sur les résultats des initiatives de la communauté internationale, et notamment des États-Unis, pour assurer un certain montant en dollars à ajouter à la solde des soldats et officiers. C’est ce que le commandement avait annoncé la semaine dernière en dévoilant que "certains pays étudient en coordination avec les Nations unies la formule légale qui leur permet de donner un coup de pouce à la solde des militaires car leur législation le leur interdit." Sur ce, les États-Unis et les Nations unies sont en train d’élaborer une étude qui regroupe toutes les propositions conformes à la législation de ces pays afin de la soumettre aux autorités concernées pour statuer.
Les aides parvenues à l’institution militaire depuis juin dernier, date à laquelle la visioconférence internationale en soutien à l'armée libanaise s’est tenue à Paris, se sont limitées aux aides alimentaires et médicales ainsi qu’aux hydrocarbures entre autres aides en nature. Cependant, la crise majeure que rencontre l’armée, dont le point focal est l’écroulement de la valeur des soldes du personnel militaire, n’a pas été traitée.

Le général à la retraite, Georges Nader, décrit la situation comme "très dangereuse" et insiste sur le fait que "lorsqu’un soldat a faim, c’est la nation qui se meurt". Il ajoute en déclarant à Ici Beyrouth "que cette mendicité pour assurer de l’aide et de l’argent à l’armée est une grande première au Liban". Le général Nader met en garde par rapport "à la situation actuelle qui se reflète négativement sur les missions spéciales notamment en raison de la baisse de la disponibilité pour ménager les soldats suite à la hausse des prix des transports". De plus, "après avoir appauvri l’armée en termes de nombre et d’armement, ils essayent désormais de l’ébranler, alors qu’elle reste la seule institution debout aux côtés du système judiciaire qu’ils combattent et tentent de soumettre au vu et au su de tous… Après avoir pris les rênes du pays politiquement, ils essayent d’asseoir leur pouvoir sur l’ensemble du pays en contrôlant les institutions qui échappent encore à leur mainmise" ajouta-t-il.
Le directeur de l’Institut du Proche-Orient et du Golfe pour l’analyse militaire, Riad Kahwagi, considère que "l’armée qui sollicite l’aide extérieure afin qu’elle puisse assurer sa mission, n’attend plus grand-chose du pouvoir en place corrompu jusqu’à la moelle et complètement incapable d’apporter une solution à la kyrielle de problèmes auxquels l’État et le citoyen font face. Le gouvernement n’est pas en mesure de se réunir pour traiter la moindre problématique, que serait-ce alors lorsqu’il s’agit d’un grand problème tel que les soldes des militaires et les multiples besoins de l’armée".
M. Kahwagi note, dans un entretien accordé à Ici Beyrouth que "face aux difficultés financières et au risque d’effondrement de l’institution militaire, les combattants du Hezbollah, quant à eux, touchent le double des salaires perçus par les soldats et officiers de l’armée en dollars ‘fresh’, sans compter les armes et l’argent qu’ils perçoivent pour renforcer leurs capacités de sorte à ce que ce parti reste la plus grande force qui contrôle la scène militaire et politique".
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